Rapport sur les concours de l’année 1912

Le 21 novembre 1912

Paul THUREAU-DANGIN

RAPPORT SUR LES CONCOURS DE L’ANNÉE 1912

DE

M. THUREAU-DANGIN
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL

 

 

MESSIEURS,

648 ouvrages imprimés soumis à notre examen, 121 récompenses décernées, formant un total de 114 350 francs, tel est le bilan de l’année dont j’ai à vous rendre compte. Des critiques, dont l’opinion n’est pas négligeable, ont émis l’idée assez spécieuse que, par le trop grand nombre de nos prix, nous en diminuions la valeur. Si nous n’avions souci que de nos loisirs, nous nous laisserions volontiers ramener à l’époque où nos devanciers n’avaient que deux ou trois prix à décerner. Est-ce notre faute si, avec le temps, et par l’effet de libéralités successives que nous n’avons pas sollicitées, mais que nous n’aurions pu décliner sans trahir les intérêts des hommes d’étude, œuvre de l’Académie est devenue beaucoup plus complexe, si ses concours et ses prix se sont multipliés ?

D’ailleurs, nos critiques semblent ne pas avoir une idée exacte de ce que l’Académie a charge de faire avec ces prix. Elle dispose sans doute de quelques récompenses d’une importance exceptionnelle, par lesquelles elle désigne à l’attention du public les auteurs dont le mérite lui paraît hors de pair ; la plus ancienne est le prix Gobert, la plus récente le Grand Prix de littérature. Mais ce n’est pas toute sa tâche. Elle a aussi mission d’aider, par des récompenses moins éclatantes, ceux qui, dans des ordres divers, lui présentent des œuvres estimables, fruits de longs labeurs, et pour lesquelles la récompense accordée est d’autant mieux venue que, souvent, par la nature austère de leurs sujets, ces auteurs ne peuvent se flatter ni de recueillir les profits d’une vente étendue, ni d’intéresser la curiosité du public mondain. Nous nous croyons plus de devoirs encore envers ces modestes travailleurs qu’envers ceux qui n’ont pas besoin de notre recommandation pour asseoir leur renommée. À y bien penser, l’Académie n’est-elle pas appelée ainsi, par les prix si nombreux qu’elle s’est trouvée peu à peu chargée de distribuer, à remplir un office qui se trouvait vacant dans notre société moderne ? Je veux parler de cette sorte de Mécénat qu’exerçaient, sous l’ancien régime, le roi, les princes, les grands seigneurs. Autrefois, que de gens de lettres, les uns illustres, les autres plus humbles, étaient payés sur la cassette du roi ou recevaient les libéralités de quelque haut personnage ! Aujourd’hui, plus de Montauron pour aider les jeunes poètes, plus de Chapelain pour dresser la liste des bénéfices littéraires. Nos prix ne sont-ils pas une sorte de compensation offerte aux écrivains ? Je ne sache pas que leur dignité personnelle ait perdu. Nous ne regrettons qu’une chose, c’est de ne pouvoir faire davantage. En ce qui concerne notamment les livres d’histoire ou de haute critique littéraire, il nous en coûte de ne pouvoir donner que vingt-cinq ou cinquante louis pour des ouvrages qui ont demandé des années de travail.

 

Une autre cause de regret, dont je suis conduit à vous reparler tous les ans, est l’impossibilité matérielle où se trouve votre rapporteur de rendre compte de tous les ouvrages ainsi récompensés. À peine peut-il en mentionner quelques-uns au passage. Tels, parmi les travaux historiques, ceux de MM. Radiguet[1], Bost[2], Jacques Rambaud [3], Pichon [4], Baloche [5], Pannier[6] ; tel notamment l’ouvrage de M. Pierre Champion sur Charles d’Orléans, auquel est attribué le second prix Gobert : livre d’érudition, mais d’une érudition alerte et vivante. Mêlé aux événements les plus tragiques et les plus douloureux de notre histoire, Charles d’Orléans n’y a joué qu’un rôle de second plan ; figure effacée, mais qui attire par un certain charme mélancolique, et qu’illumine doucement le renom de vers charmants qui ont marqué une étape dans le développement littéraire de la France.

Dans les livres de critique, la diversité des sujets traités montre sur quel vaste champ se disperse la curiosité de nos travailleurs. Tandis que les uns, comme MM. Collas [7], Magne [8], Bernardin [9], s’attaquent au grand siècle, M. Jeanroy s’arrête en Italie devant la figure de Carducci [10], MM. Loiseau et Tibal se transportent en Allemagne pour étudier Goethe [11] ou Hebbel [12]. Il n’est pas jusqu’à la littérature serbe, sur laquelle M. Yovanovitch ne nous apporte, à propos de la Guzla de Mérimée, le fruit de recherches très fouillées [13]. Parfois, des travailleurs de milieux très différents se rencontrent autour du même écrivain, pour l’étudier à des points de vue divers : ainsi l’abbé Grillet nous parle de la Bible dans Victor Hugo, tandis que M. Rochette étudie l’Alexandrin chez le grand poète. Les uns sont des auteurs déjà en possession d’un juste renom, comme M. Dupuy, lui-même poète et humaniste, qui nous apporte un livre définitif sur Alfred de Vigny ; les autres sont de jeunes débutants qui souvent nous présentent leurs thèses de doctorat.

Comme chaque année, une part de nos récompenses est réservée aux récits de soldats coloniaux ou d’explorateurs ; notons les livres des capitaines Deschamps [14], Cornet[15], Grasset[16], Meynier[17] ; signalons surtout celui où le commandant d’Ollone raconte une mission de trois années à travers des parties, souvent inconnues, de la Chine, du Thibet et de la Mongolie : récit clair, simple, pittoresque, sans effort de plume, descriptions sobres et précises de paysages et de mœurs ; vive curiosité à l’égard de ces civilisations primitives, émotion historique sincère en présence de ces « barbares » fils de ceux qui ont vaincu Cyrus, arrêté Alexandre, ravagé l’Empire romain, conquis l’Asie et la moitié de l’Europe, demeurés dans l’état de leurs pères, mais dont on peut se demander ce qu’ils nous réserveraient le jour où, armés de nos fusils et de nos canons, il, voudraient se servir de nos chemins de fer pour recommencer leurs invasions.

Ce sont des problèmes plus proches et plus immédiatement angoissants qu’abordent MM. Legras et Moysset, l’un dans une œuvre d’imagination où vibrent les plus nobles sentiments, la Grande Attente, l’autre dans une étude d’une observation pénétrante sur l’Esprit public en Allemagne, vingt ans après Bismarck.

À ce point, de vue patriotique, il est deux autres livres que je me reprocherais de passer sous silence : celui du comte de Maleissye sur les Lettres de Jehanne d’Arc, et celui de M. Ducrocq sur la Blessure mal fermée, Notes d’un Voyageur en Alsace-Lorraine. S’étonnera-t-on de la pensée qui me fait les rapprocher ?

M. de Maleissye, descendant d’un frère de la Pucelle et possesseur, à ce titre, de trois lettres originales de Jeanne, a découvert, par l’étude pieusement attentive de ces reliques de famille, un nouvel argument pour établir que, lors de la cérémonie dérisoire du cimetière de Saint-Ouen, la Pucelle n’a pas abjuré, qu’elle n’a pas désavoué sa mission, et que tout ce qui s’est passé en cette occasion n’a été qu’une infâme comédie, arrangée par l’évêque Cauchon en vue de tromper les contemporains et la postérité. Pour ceux qui, à la lumière des récents travaux, ont pénétré le caractère de Jeanne, il était moralement impossible qu’elle se fût menti à elle-même. Mais on saura gré à M. de Maleissye d’avoir voulu apporter une preuve matérielle à l’appui de cette conviction morale, et l’Académie, en lui décernant un prix, se fait un devoir d’appeler l’attention du public sur un travail d’inspiration et de portée si françaises.

Dans ses « Notes », M. Ducrocq ne fait pas seulement revivre avec art les paysages de Lorraine et d’Alsace, le pittoresque des villages et des petites villes, les monuments des grandes cités, la physionomie diverse des habitants ; ce qui est le fond de ce livre, ce qui en fait l’originalité et l’émotion, c’est ce que l’auteur a su découvrir, chez tous, paysans ou citadins, de souvenirs du passé, d’impatience du présent et d’attente de l’avenir, c’est — comme il dit lui-même au titre de son ouvrage — cette « blessure mal fermée » qu’il sonde partout d’une main attendrie ou frémissante.

J’ai mentionné bien des livres. Combien d’autres, que j’eusse aimé à louer, et dont je ne puis même pas citer les titres ! Le temps me presse et je dois me réserver pour ce que nous pouvons appeler nos grands prix. À suivre le rang d’âge, je dois commencer par le prix Gobert, vieux de soixante-dix-sept ans. Il est attribué, cette année, à un historien qui a été déjà plusieurs fois lauréat de l’Académie, M. Louis Madelin, pour son livre : la Révolution. L’auteur nous dit lui-même quel a été son dessein. Il n’a pas cherché à faire, dans les archives, des découvertes nouvelles ; il a voulu nous donner la synthèse des découvertes faites par d’autres. Ce n’est donc pas une œuvre d’érudition, puisée aux sources originales. Mais faut-il moins de labeur, de sagacité, de divination, de talent en un mot, pour faire de haut, d’après les travaux déjà publiés, l’histoire d’une période étendue, que pour fouiller à fond quelque point restreint ? Certes je ne veux pas médire de ces recherches particulières qui sont le fondement de l’histoire générale ; mais elles ne sont pas toute l’histoire. Et, à l’heure où trop de travailleurs se contentent d’accumuler, sans les éclairer ni les vivifier, les petites notes recueillies par eux dans les bibliothèques ou les archives, n’appartient-il pas à l’Académie de leur rappeler que l’histoire est autre chose et que le public ne connaîtrait rien du passé, s’il ne se rencontrait des écrivains pour lui apporter des vues d’ensemble.

Nul sujet où cette vue d’ensemble ne fût à la fois plus nécessaire ni plus difficile, où elle n’exigeât plus de maîtrise, que la Révolution française. Après des publications innombrables et souvent contradictoires, où en était-on ? Quelle vérité historique s’en dégageait ? Sachons gré à M. Madelin d’avoir entrepris cette tâche et d’y avoir appliqué les rares qualités d’historien dont il avait déjà donné la mesure dans ses précédents travaux. Son don propre, c’est la vie, le mouvement. Sous sa plume, tous les acteurs du drame, nous apparaissent emportés par le vent de tempête qui souffle alors sur la France : princes, politiques, tribuns, prêtres, émigrés, bourreaux et victimes, et aussi ce personnage à cent visages divers, la foule ; en même temps, voici les armées qui se battent glorieusement à la frontière ; puis, à travers cette confusion sanglante, on sent une société qui se dissout, une autre qui se construit. La langue est rapide, nerveuse, colorée. Toutefois l’auteur, dans sa recherche du pittoresque, dans sa crainte de la banalité, a, par moments, des tours qui étonnent les juges d’un goût sévère ; il importe d’autant plus de le mettre en garde contre ces tendances qu’il a d’autre part plus de qualités solides et brillantes.

Quant à ses jugements sur la tragique époque qu’il a entrepris de nous raconter, je les crois sages. Non sans doute qu’on puisse assurer qu’ils ne rencontreront aucune contradiction. S’imaginer qu’on peut écrire sur la Révolution et être approuvé de tous, ce serait admettre que les Français d’aujourd’hui se sont mis d’accord sur toutes les questions qui les ont jusqu’ici divisés. Mais — et c’est là ce qui importe — le livre n’est à aucun degré un livre de parti. L’auteur a cherché sincèrement la vérité, sans aucune idée préconçue, et il l’a dite sur tous. « À l’heure où je livre cette œuvre au public, écrit-il dans son Introduction, il me serait impossible, en toute sincérité, de voir en faveur ou aux dépens de qui j’ai pu être partial. » Il a le droit de se rendre ce témoignage, qui est le plus beau dont puisse se prévaloir un historien.

 

Ce même prix Gobert, M. de Lanzac de Laborie l’avait obtenu en 1907 pour les trois premiers volumes de son grand ouvrage : Paris sous Napoléon. Depuis lors, quatre nouveaux volumes ont paru. Combien en faudra-t-il encore ? L’auteur le sait-il bien lui-même ? Il semble que son sujet s’amplifie devant lui à mesure qu’il avance. À notre époque d’inspiration un peu courte et d’exécution hâtive, l’Académie sait gré aux rares historiens qui entreprennent d’élever des monuments aussi considérables ; c’est pourquoi, disposant cette année du prix Berger destiné aux travaux relatifs à Paris, elle a attribué, sur ce prix, à M. de Laborie, une somme de dix mille francs. Les juges les plus difficiles s’accordent à louer les qualités dont l’auteur a fait preuve dans son enquête : étendue et sûreté des informations, sagacité et surtout probité de la critique ; il n’avance rien qu’il n’ait vérifié. Lui aussi il a dû réunir un nombre immense de fiches, mais il ne s’y noie pas ; il les domine. La forme est d’un écrivain maître de sa langue, sobre, claire, simple, avec la préoccupation d’être avant tout exact et vrai.

Trop souvent l’historien qui aborde la période napoléonienne, fasciné par la prestigieuse figure du personnage principal, ne voit que lui et nous laisse ignorer ce que devenaient pendant ce temps ceux des Français qui n’étaient pas à la Cour ou à l’armée. C’est précisément ce que nous apprend M. de Laborie, au moins en ce qui touche Paris. Non certes que là encore, on ne rencontre Napoléon : celui-ci remplit à ce point son époque qu’il est, pour ainsi dire, partout présent ; alors qu’on le croit au loin, absorbé dans ses combinaisons stratégiques, tout à l’émotion de la terrible partie où il joue sa fortune et celle de la France, il intervient soudainement dans les questions petites ou grandes de la vie parisienne, envoie ses ordres, ses incitations, ses remontrances, avec un singulier mélange de vues géniales et de minutieuse sollicitude, de réalisme pratique et de chimères. C’est de Moscou, à l’une de ses heures les plus tragiques, qu’il a daté le décret demeuré, depuis lors, la Charte du Théâtre Français. Toutefois, si, dans le livre de M. de Laborie, la figure de l’empereur surgit ainsi de temps à autre, la scène est principalement occupée par la nation, ou plus spécialement par la population parisienne ; c’est elle dont il nous fait connaître la vie sociale, administrative, économique, mondaine, religieuse. N’est-ce pas ce qu’il importait particulièrement de connaître alors qu’une société nouvelle se dégageait de la confusion révolutionnaire, mais aussi ce qu’il était le plus malaisé de découvrir à une époque où le gouvernement imposait le mot d’ordre du silence et aimait à parler seul ? De là l’intérêt et le mérite de l’ouvrage auquel nous décernons l’une de nos principales récompenses.

 

Si l’Académie avait voulu donner le grand prix de littérature, récemment fondé par elle, à quelque romancier déjà en possession de la renommée, elle n’aurait eu que l’embarras du choix ; mais elle aurait eu cet embarras. Est-ce pour s’y soustraire que, cette année, et sans prétendre en faire une règle pour l’avenir, elle a préféré attribuer ce prix à l’œuvre d’un débutant ? Les qualités du livre sur lequel elle a porté son choix — l’Élève Gilles, par M. André Lafon — peuvent échapper à une lecture superficielle. La fable est des plus simples, des plus ordinaires ; nulle intrigue, nul conflit de passions. C’est le récit — l’auteur qualifie ainsi son œuvre — de ce qui se passe, durant une année, dans l’âme d’un garçon de dix ans, que sa famille est obligée de mettre au collège. Mais voici où est l’originalité, l’intérêt et l’émotion du livre. Nous ne savons des événements que ce que nous en raconte l’enfant lui-même ; cela suffit à nous faire entrevoir qu’il y a, dans cette famille, un mystère douloureux, dont cet enfant a l’impression d’abord incertaine et dont il ressent le contrecoup, sans en pénétrer le secret, et surtout sans vouloir en parler ; cette initiation solitaire et silencieuse à la souffrance développe en lui, au milieu même de sa vie de collégien, une sensibilité chaque jour plus affinée, plus inquiète, jusqu’au moment où un événement tragique déchire le voile et lui révèle que son père était fou et qu’il vient de se tuer.

L’auteur prétend nous donner autre chose qu’un de ces récits faits après coup, où le narrateur analyse et transforme ses impressions d’enfant avec ses idées d’homme : il imagine ce que l’enfant éprouve, sur le moment même, au fur et à mesure des événements. On ne saurait trop louer la justesse de psychologie enfantine par laquelle il devine les sentiments qu’une telle situation a dû éveiller dans une jeune âme ; il ne fait dire à son collégien que ce que celui-ci a pu ressentir et apercevoir ; il lui fait, même taire plusieurs des questions que, dans la secrète angoisse de son cœur, il ne peut manquer de se poser, mais, en même temps, il fait deviner au lecteur ce que l’enfant ne perçoit pas ou ne veut pas dire. Des autres personnages nous ne connaissons que ce que cet enfant nous en fait voir, et celui-ci n’a pas souci de tracer des portraits ; néanmoins c’en est assez pour que, dans l’ombre où ils restent forcément, ces personnages se dessinent à nous avec leur physionomie propre : la vieille tante dont la figure austère laisse transparaître l’affection compatissante ; l’humble servante, la bonne Segonde ; la mère plus lointaine, voilée dans la douleur qu’elle tâche de dissimuler à son fils ; le malheureux père enveloppé dans son tragique mystère. Les camarades de collège, naturellement plus accessibles et plus intelligibles au jeune narrateur, se meuvent dans une réalité plus proche et plus précise. Quant à l’élève Gilles lui-même, bien qu’il ne pense pas se peindre, ne le devinons-nous pas avec un visage un peu pâlot, des yeux interrogateurs, facilement attendris, une physionomie inquiète et rêveuse, des nerfs toujours tendus ? En tout cela, une habileté inaperçue, une sûreté de main, et surtout une mesure qui sont remarquables chez un débutant. La langue est excellente sans rien de ce pittoresque un peu voyant où se plaisent parfois les jeunes écrivains. Le poète qui, chez M. Lafon, double le romancier et auquel nous devons déjà deux volumes de vers, se révèle dans quelques paysages charmants qui se mêlent discrètement au récit. L’ensemble est recouvert d’un voile de mélancolie, mais sans rien d’affadi ni de découragé. Au contraire, le livre se termine par une pensée de résignation virile, et l’on entrevoit que, sous la leçon d’une douleur qui a enfin livré son secret, l’enfant, jusque là d’une sensibilité un peu maladive, sent s’éveiller en lui la notion du devoir et se dispose à affronter d’un cœur plus ferme ce qu’il appelle « l’hostilité de la vie ».

Telles sont les qualités délicates et élevées qui ont déterminé le choix de l’Académie. Si M. Lafon réalise les promesses que nous avons cru découvrir dans ce premier livre, rien ne nous aura été plus agréable que d’avoir pu signaler et encourager l’avènement d’un jeune talent.

L’Académie disposait cette année, pour la première fois, du prix Saint-Cricq Theis, prix triennal de trois mille francs, qui, d’après la volonté de la donatrice, doit être attribué à un ouvrage de poésie spiritualiste, morale et patriotique. Cette fondation était d’autant mieux venue que la poésie était jusqu’à présent assez maigrement dotée dans nos concours. Combien de fois notre cher Sully Prudhomme avait-il gémi de cette inégalité entre les vers et la prose ! Nous avons cru ne pouvoir nous conformer plus exactement à la pensée de la donatrice ni mieux inaugurer cette nouvelle récompense qu’en l’attribuant à M. Francis Jammes pour ses Géorgiques chrétiennes.

Bien d’autres avant moi ont chanté cette terre,

dit le poète ; mais il n’en est pas découragé.

Si nombreux qu’aient été les poètes du blé,
Je le célèbre aussi et n’en suis point troublé.

M. Jammes a raison : il ne répète point ceux qu’il appelle « les grands ancêtres » ; il apporte une inspiration nouvelle. Comme eux, sans doute, il aime la terre pour elle-même, pour ses travaux graves ou joyeux, pour ses couleurs, ses chants, ses souffles et ses parfums, pour les mœurs qu’elle inspire, les peines qu’elle impose et les joies qu’elle donne, et il nous la décrit avec amour, avec minutie, avec candeur, avec piété. De même que les plaines de Mantoue, sont immortalisées par le vers de Virgile, ainsi le vers de Jammes nous semble avoir ennobli désormais le coin de terre pyrénéenne qu’il a chanté. Mais il y a plus : notre poète aime la terre surtout parce qu’elle est une image du ciel, parce qu’il voit, de l’une à l’autre, des échanges mystérieux et comme une échelle de Jacob incessamment dressée ; parce que, nuit et jour, dans la lumière ou dans l’ombre, elle semble couchée, sous la face auguste des cieux, comme une servante soumise qui reflète le visage de son maître. Dès le premier chant, les anges jouent parmi les moissonneurs ; le pauvre passe et repasse ainsi que dans l’Évangile ; la vigne et le blé collaborent au grand mystère chrétien de l’Eucharistie ; les spectacles de cette humble vie rustique semblent autant de symboles d’une vie plus haute ; et, tout le long du poème, comme dans le tableau d’un primitif, on voit apparaître la face de Dieu, paternelle et grave, qui, du haut d’un nuage, sourit à sa création. Ce sont bien des « Géorgiques chrétiennes ». Sans doute la technique — quoique l’auteur s’en déclare très fier et ne se montre guère disposé à accueillir les réserves de la critique — manque un peu d’ampleur pour une inspiration aussi haute et aussi large. Quand son vers monte vers les cieux, on ne peut s’empêcher de lui trouver l’aile un peu courte. Si l’éloquence continue ennuie, peut-être aussi la simplicité obstinée lasse-t-elle. Quoi qu’il en soit, nous sommes en présence d’une œuvre vraiment originale, après tant de fades imitations de Théocrite ou de Virgile ; vraiment sincère, après tant de bergeries de salon ou d’opéra-comique ; poème rude et doux, familier et sublime, naïf et raffiné, qui porte bien la marque de son époque, qui n’en a peut-être pas évité les défauts, mais qui dégage le charme propre à son auteur et que goûteront tous les fervents du Roman du Lièvre ou de l’Église habillée de feuilles.

Il est certains prix par lesquels l’Académie entend d’ordinaire récompenser l’ensemble des œuvres d’un écrivain, et qu’elle donne directement sans que les auteurs se soient présentés. Cette année, pour les principaux de ces prix, ses choix se sont portés sur un romancier, M. René Boylesve, un critique, M. Gaston Deschamps, et un historien, M. Alfred Rébelliau.

M. Boylesve, qui reçoit le prix Née, a eu beaucoup de fées autour de son berceau, des fées avenantes, gaies, bien françaises, qui ajoutaient chacune un sourire à leur don. Il a lu dans leurs yeux que la vie serait amusante et spirituelle ; que l’effort était moins utile que la chance et le mérite moins précieux que la fortune ; qu’il y a dans les choses une grâce cachée, el dans les gens une comédie inépuisable ; que les petites existences valent les grandes, qu’il ne faut pas aller chercher bien loin des sujets d’observation et que rien n’est si joli, si varié, si bien ordonné, si plein de sens et de poésie qu’un coin de vieille province française ; enfin, qu’il vaut mieux rire que pleurer, sourire que rire, mais que la moquerie elle-même peut être un hommage attendri, et comme une piété qui veut s’ignorer. Le moraliste aurait bien eu quelques réserves à faire. Mais comment beaucoup regretter un état d’esprit qui nous a valu des œuvres d’une si charmante insouciance ? Un jour est venu cependant, où, dans la conscience de l’écrivain, une voix plus grave s’est élevée qui lui a dit : « Si tout n’est pour toi qu’une fantaisie poétique ou un spectacle plaisant, si tu t’enfermes dans cette vision d’artiste, tu ne connaîtras pas la noblesse réelle de la vie, sa beauté véritable, la loi du devoir et celle du sacrifice. » M. Boylesve avait l’âme trop haute pour ne pas comprendre ce langage, et c’est alors qu’il nous a donné La Jeune fille bien élevée et Madeleine jeune femme, deux œuvres charmantes encore, mais profondes cette fois, études averties et nuancées d’une âme et en même temps d’un milieu, qui resteront comme le miroir le plus fidèle de la jeune fille de la bourgeoisie française à la fin du XIXsiècle. Pauvre Madeleine ! élevée pour être une épouse de tout repos, certes, mais aussi femme ardente et de noble idéal, la voici sevrée à la fois d’amour et d’héroïsme, obligée de chercher son devoir à mi-côte, de se faire une morale très humble, à force de résignation, de bon sens et de courage ! Histoire de chaque jour, émouvante dans sa banalité ! Par un chemin un peu nonchalant, qui semble hésitant comme la vie elle-même, M. Boylesve nous mène ainsi à des perspectives qu’on n’était pas accoutumé à découvrir dans ses premières œuvres, à de hauts horizons où l’âme humaine prend tout son vol et la vie toute sa large beauté.

L’œuvre de M. Gaston Deschamps, auquel nous attribuons le prix Vitet, est considérable et variée. Élève de l’École d’Athènes, il a débuté par deux volumes, d’un tour alerte, d’une observation exacte et piquante sur la Grèce d’aujourd’hui et sur les Routes d’Asie. Au sortir de l’École, journaliste dans l’âme, il s’est voué dans le Journal des Débats d’abord, puis dans le Temps, à la critique littéraire. Pas une heure de fatigue et de défaillance dans ce travail ainsi poursuivi depuis de longues années. Il y a fait preuve des qualités qu’exige le genre : souplesse, rapidité d’information, curiosité sans cesse en éveil qui se porte tour à tour sur toutes les formes de la production littéraire. Il y joint, ce qui est bien à lui et ce qui lui fait le plus d’honneur, une indépendance d’esprit, un éloignement de tout préjugé d’école ou de parti, une répugnance à se faire complice des succès de mauvais aloi, une volonté de ne jamais flatter les goûts bas du public ni servir ses passions.

M. Rébelliau, qui reçoit le prix Botta, est l’un des maîtres de cette nouvelle école qui considère la vie religieuse de notre pays comme l’un des chapitres essentiels de sa littérature et de son histoire, reliant ainsi, après un trop long intervalle d’inattention et d’indifférence, la critique d’aujourd’hui au Port Royal de Sainte-Beuve. Publiée depuis quelque vingt ans, la thèse de M. Rébelliau sur Bossuet, historien du protestantisme, reste un ouvrage définitif. Un petit livre suivit de près, livre exquis, d’une hardiesse spirituelle et discrète, d’un goût parfait, d’une science très sûre : je veux parler du Bossuet de la collection des Grands Écrivains. Je me souviens que notre Brunetière se cabrait, si j’ose dire, devant ce portrait du grand évêque qui ne ressemble pas à celui de Rigaud, mais qui, pour être plus humain et plus vrai, n’en est pas moins imposant. Je ne dois pas omettre, dans l’œuvre de M. Rébelliau, les chapitres considérables qu’il a écrits, pour la grande histoire de M. Lavisse, sur les affaires religieuses durant le règne de Louis XIV. Par de nombreux travaux d’approche, il prépare en ce moment, je le crois du moins, et je l’espère, une étude d’ensemble sur la fameuse Compagnie secrète du Saint-Sacrement, dont le rôle, même dans l’ordre politique, eut au XVIIe siècle une si grande importance. Je ne me flatte pas d’avoir lu tout ce qu’a écrit M. Rébelliau, mais tout ce que j’ai lu a rendu plus vive et plus cordiale l’estime que je porte à cet esprit judicieux, subtil et charmant, à ce savant consciencieux et soucieux du bien dire. Ajouterai-je qu’il est cher à beaucoup d’entre nous pour d’autres raisons plus intimes ? Il fut un temps où les écrivains pressés allaient à l’Arsenal consulter le bon Nodier. Sans sortir de l’institut, nous avons notre Nodier, notre Encyclopédie vivante, et nous sommes assurés de n’épuiser jamais ni son érudition, ni son aimable patience.

Notons ensuite le prix Lambert, attribué à M. Paul Harel, poète normand, dont les vers d’une allure franche, d’une inspiration saine, nous apportent les frais parfums des vergers du pays d’Auge et comme le fumet de la vieille auberge où beaucoup de ces petits poèmes ont été composés.

Le prix Maillé-Latour-Landry est destiné à encourager les débuts d’un talent jeune et plein de promesses. Jeunesse, talent, promesses, l’auteur de la Cité des Lampes réunit ces conditions. Son livre est écrit d’une main déjà remarquablement sûre. Nous ayons goûté le rythme à la fois berceur et précis de ces jolies phrases, ces images abondantes et somptueuses, et jusqu’à cette langueur un peu troublante qui n’est pas le moindre charme de cet écrivain. Je regrette néanmoins que l’auteur ait employé de si beaux dons sur un sujet infiniment trop délicat pour être matière à des exercices de ce genre. Ce qu’il appelle la Cité des Lampes est une des provinces privilégiées de ce que d’autres, dont je suis, appellent la cité des Saints, la cité de Dieu. Aux veilleuses du sanctuaire, Claude Silve a allumé trop de pastilles orientales ; dans le jardin fermé de l’Épouse du Cantique, elle a semé. Elle a cueilli trop de tubéreuses. Que sa muse inquiète cherche désormais d’autres lampes et d’autres jardins. Nul plus que nous n’applaudira aux succès que son talent ne manquera pas de lui obtenir.

 

J’aurai fini ma tâche quand je vous aurai rendu compte du concours pour le prix d’éloquence que l’Académie avait à juger cette année. En demandant un Discours sur la Langue française, l’Académie, suivant sa coutume, n’avait pas cru devoir limiter ce beau et peut-être trop vaste sujet. L’auteur pouvait se placer au point de vue de Rivarol, ou au point de vue de Gaston Paris, ou encore au point de vue qu’aurait choisi d’instinct et avec allégresse notre confrère Jean Richepin, je veux dire qu’il pouvait considérer la langue française, soit comme la langue universelle du monde civilisé, soit comme un organisme savant, soit comme un trésor de mots drus, transparents et colorés, de rythmes harmonieux et sonores. J’eusse cru que ce dernier parti attirerait nos concurrents. Comment en effet se mesurer avec Rivarol, refaire ce qu’il avait si bien fait ? Comment aussi résumer en quelques pages l’immense travail historique et analytique de Gaston Paris et de ses élèves ? Au contraire, montrer qu’on aime d’amour notre langue, je dis d’un amour qu’a fait naître et grandir un commerce intime, prolongé, passionné avec nos maîtres de tous les temps ; expliquer, justifier, célébrer ce grand amour, voilà, semblait-il, la tâche où l’on avait le champ libre et où l’éloquence pouvait se donner carrière.

Des deux concurrents dont les travaux nous ont paru mériter d’être retenus, l’un, M. Gohin, auquel est attribué le second prix, paraît avoir entrevu cette façon de concevoir le sujet ; n’avait-il pas pris pour devise le mot de Bouhours : « La langue française est ma grande passion. » Seulement cette passion, il l’a exprimée plus en grammairien qu’en orateur, grammairien du reste avisé, ingénieux, se mouvant avec aisance et sûreté à travers les problèmes les plus subtils de la syntaxe, mais un peu froid, plus soucieux d’exactitude que d’éloquence. M. Gohin déjà deux fois lauréat de nos concours de philologie est, dit-on, professeur dans un collège de Paris. Si nous pouvions désirer de lui quelque chose de plus dans un discours académique, du moins devons-nous reconnaître que les qualités et les connaissances dont, il a fait preuve conviennent excellemment à sa fonction.

L’autre concurrent, M. Hazard, professeur à la Faculté de Lyon, a plus de chaleur, de mouvement, d’éclat ; son œuvre est davantage un discours : c’est par là qu’il a paru mériter le premier prix. Mais il n’a eu qu’une idée, à mon avis, incomplète de ce qui lui était demandé : s’attachant à continuer l’œuvre de Rivarol, il s’est borné à rechercher dans quelle mesure la prééminence, ou tout au moins l’universalité de notre langue, a survécu aux événements qui, depuis la fin du Malle siècle, ont tellement modifié la situation respective de la France et des autres États. Question intéressante qui pouvait être une partie du sujet, mais qui était loin d’être tout le sujet. L’auteur apporte, du reste, dans l’examen de cette question, une compétence d’historien. D’observateur et de psychologue, une connaissance et une intelligence des faits que nous avions déjà appréciées, l’an dernier, dans son livre sur la Révolution et les Lettres italiennes. Il y apporte aussi un souci jaloux de l’importance extérieure de notre langue, dans laquelle il voit avec raison l’une des grandeurs de notre pays. Ce sentiment très louable ne le conduit-il même pas un peu loin, quand, nous investissant de la fonction de « traducteurs universels », il nous attribue le don de « rendre les copies plus belles que l’original », quand il nous compare « à l’homme qui, changeait en or tout ce qu’il touchait » ? Si exigeant que soit notre patriotisme, il ne va pas jusque là. Nos traducteurs n’embellissent que les œuvres médiocres. À l’exception peut-être du Plutarque d’Amyot, les copies qu’on nous donne des chefs-d’œuvre étrangers, d’un Dante ou d’un Shakespeare, par exemple, restent fatalement très au-dessous du modèle.

Dans le noble discours de M. Hazard, la philosophie, l’histoire, les hautes considérations sociales tiennent plus de place que la littérature proprement dite. Je sais bien qu’aujourd’hui nous mêlons volontiers les choses, et qu’à propos du mérite propre de notre langue, on peut mentionner, non seulement l’invention des aéroplanes, — ni l’un ni l’autre de nos deux lauréats n’y a manqué, — mais encore bien d’autres problèmes, celui de la dépopulation, par exemple, comme l’a fait, d’ailleurs très brillamment, M. Hazard. Il était, cependant, dans l’ordre purement littéraire, d’autres problèmes qui appartenaient peut-être plus directement au sujet et sur lesquels on eût été heureux d’avoir l’avis des concurrents. Par exemple, est-ce un bien ou un mal que Rabelais, Montaigne, Amyot, n’aient eu qu’une action si limitée dans la formation de notre langue classique ? Oh ! sans doute, il fallait bien que Malherbe vint, et l’Académie également. Ici même, dans son discours de réception, Bossuet nous a dit pourquoi, mais Bossuet, tout en se soumettant aux réformes essentielles de Vaugelas, a su garder l’infinie variété, la couleur, la souplesse, la liberté du XVIe siècle. D’autres ont fait de même, mais en petit nombre, et, pour ne parler que des vers, on ne peut se féliciter que le français des poésies de Ronsard soit devenu insensiblement le français de la Henriade. Suis-je trop hardi, et faudra-t-il que je m’abrite sous des autorités décisives ? Je ne vous citerai pas Fénelon, dont le jugement, certes très considérable, nous est trop présent ; mais voici un jésuite fort sage et qui n’avait rien d’un romantique, le P. Rapin, qui, en 1673, se plaint que, « par une retenue trop timide et par une fausse pudeur », on ait supprimé « toutes ces hardiesses sages et judicieuses que demande la poésie », comme si l’art « ne consistait que dans la pureté et l’exactitude du langage [18] ».

J’eusse aimé à voir l’éloquence de nos concurrents s’exercer sur ce sujet. S’il n’est ni dans ma fonction, ni dans mes goûts, d’encourager la révolte contre la tradition classique, je ne puis m’empêcher de trouver, en cette matière, les deux lauréats trop indifférents ou trop résignés. Moins tendres que Vaugelas, ils ne donnent pas une larme à tant de vieux mots qu’on a laissé mourir. Et l’un d’eux, plus sévère que Bouhours et que Malherbe, voudrait encore réduire la liberté qu’on nous avait laissée jusqu’ici d’appeler à notre aide, en cas de besoin, ou le latin, ou le français du Pont-Neuf. « Ainsi, écrit-il, s’éliminent peu à peu beaucoup de latinismes qui donnaient de la souplesse à la phrase, mais qui nuisaient à sa clarté. » À quelle morne clarté serions-nous donc réduits ? « On renoncera, dit-il plus loin, aux participes absolus. » Pourquoi ? « On n’admettra plus, ajoute-t-il, la construction pourtant très élégante de La Fontaine :

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter. »

Encore une fois, pourquoi ? Moins dominé par le souvenir de Rivarol, moins exclusivement préoccupé des qualités de clarté nécessaires à l’universalité de notre langue, notre lauréat se fût montré plus libéral. La sobriété lumineuse du code civil est peut-être le premier mérite d’une langue universelle, et, de tous nos poètes, La Fontaine est bien celui que les étrangers entendent le moins. Il n’a écrit que pour nous. Mais vienne un poète qui écrive comme lui, l’Académie lui passera quelques latinismes.

Ce n’est pas de ce côté, et nos lauréats en sont certainement aussi convaincus que nous, qu’est le danger dont notre langue est aujourd’hui menacée. Il est dans l’insensible déliquescence à laquelle collabore, hélas ! aujourd’hui presque tout le monde. Tout au plus arrivons-nous, et non quelquefois sans de petites habiletés un peu lâches, à nous mettre en règle avec la grammaire. Qu’est-ce que cela ? Un solécisme, plus il est éclatant, moins il est contagieux. L’impropriété des termes, cette maladie que les grammaires ne préviennent, ni ne guérissent, fait de bien autres ravages. Nous sommes tous, plus ou moins, les complices de l’écrivain, parfois brillant et disert, qui laisse courir sa plume sans savoir exactement ce qu’il veut dire, ou ce que disent les mots qu’il emploie. Nous lui permettons d’écrire au petit bonheur, sauf à revendiquer pour nous la même licence. Ainsi, peu à peu, notre langue perd de son relief ; elle devient banale, imprécise et vulgaire. L’usage des médiocres finira par fausser l’instrument exquis et fragile que l’usage des honnêtes gens avait façonné avec tant de réflexion et tant de goût. Craignons de n’avoir plus bientôt le droit de répéter avec Bouhours que « la langue française est notre grande passion ». Gardons-en tout au moins le respect.

 

[1] L’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire du 22 avril 1815.

[2] Les Prédicants protestants des Cévennes et du Bas-Languedoc, 1684-1700.

[3] Naples sous Joseph Bonaparte, 1806-1808.

[4] Hommes et Choses de l’ancienne Rome.

[5] L’Église de Saint-Merry de Paris. — Histoire de la paroisse et de la collégiale, 700-1910.

[6] L’Église réformée de Paris sous Henri IV.

[7] Jean Chapelain (1595-1674).

[8] Voiture et les origines de l’Hôtel de Rambouillet 1597-1635). — Voiture et les années de gloire de l’Hôtel de Rambouillet (1635-1648).

[9] L’abbé Frifillis.

[10] Giosué Carducci, l’homme et le poète.

[11] L’Évolution morale de Goethe. — Les années de libre formation (1749‑1794).

[12] Hebbel, sa vie et ses œuvres de 1813 à 1845.

[13] « La Guzla » de Prosper Mérimée.

[14] De Bordeaux au Tchad par Brazzaville.

[15] Au Tchad.

[16] À travers la Chaouia.

[17] L’Afrique noire.

[18] Réflexions sur la poétique d’Aristote et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes, I, XXXI.