Pasteur, une vie. Séance solennelle à l’occasion du centenaire de la mort de Louis Pasteur

Le 20 juin 1995

Alain DECAUX

 

Pasteur, une vie

 

 

Messieurs,Puisque l’on m’a demandé d’évoquer non pas le savant — il est à vous ! — mais l’homme privé que fut Pasteur, je voudrais me souvenir que l’année même où il a quitté ce monde est né le cinématographe. Aussi n’est-ce pas une biographie que je vais me permettre de vous proposer, mais des images en forme de séquences, une sorte de kaléidoscope de la mémoire.

La première ? C’est dans mes propres souvenirs que je la cherche. J’ai huit ans. Je marche aux côtés de mon grand-père, l’instituteur. Nous sommes à Lille, ma ville natale. Nous passons devant un long bâtiment sévère. Je déchiffre au-dessus de la porte principale : Institut Pasteur. Je demande ce qu’est un institut et qui est Pasteur. Mon grand-père me le dit et, pour la première fois, j’entends raconter l’histoire du petit Joseph Meister venu d’Alsace se faire soigner par M. Pasteur. Je le vois — vous le voyez : Pasteur l’a fait déshabiller, il l’a pris sur ses genoux. Il considère l’ampleur et la profondeur des morsures qu’il porte à la main, aux jambes, aux cuisses. Surtout, il hésite. À la seule pensée qu’il puisse échouer, qu’il puisse être responsable de la mort de cet enfant, il se sent saisi d’effroi. Pourtant la méthode qu’il a mise au point a constamment réussi sur les chiens.

Mais jamais il ne l’a expérimentée sur un être humain. Vous connaissez la suite. Moi, à huit ans, j’en ignorais tout. Je fus émerveillé. Tant d’années après, je le suis toujours.

Deuxième séquence : nous sommes à Dole, le 27 décembre 1822. Louis XVIII régnant, un petit garçon vient de naître dans la maison d’un simple tanneur qui, volant derrière les aigles impériales, avait fait la guerre d’Espagne et la campagne de France. Troisième séquence : notre caméra nous entraîne de Dole à Arbois où la famille Pasteur s’est établie. Aujourd’hui, c’est un musée. Tout y parle de celui que nous célébrons cet après-midi. C’est à Arbois que Louis est entré au collège. On voudrait que, dès les premières classes, il se fût passionné pour les sciences, au moins les sciences naturelles. Erreur : s’il montre un goût prononcé, c’est pour le dessin. En vérité, il est loin d’être sans talent : les pastels qu’il nous a laissés le démontrent. Le destin aurait pu faire de lui un artiste. Ses maîtres ont estimé qu’il pouvait ambitionner d’entrer à Normale. Il ne s’y est pas refusé. Élève docile, il a peu à peu rangé ses crayons, ses couleurs, estimant qu’à vouloir courir deux lièvres à la fois, on risque de voir la tortue l’emporter à tout coup.

Nouvelle séquence : la diligence dépose un petit Jurassien à Paris. On l’enferme à la pension Barbet, impasse des Feuillantines, là où a grandi une autre gloire nationale que je n’ai, j’en suis sûr, aucune nécessité de nommer. Hélas, le petit Pasteur a le mal du pays. À l’époque du romantisme naissant, il souffre comme il convient à un lecteur de Lamartine. Ses parents ont pitié de lui. C’est à Besançon — « vieille ville espagnole », encore l’autre ! — qu’il poursuivra ses études. Au baccalauréat, il n’obtiendra en chimie que la mention « médiocre ». N’attendez pas de moi des commentaires.

En 1842, Paris semble le rebuter moins puisqu’une autre séquence permet de le retrouver au lycée Saint-Louis où il vient se préparer au concours d’admission à l’École normale. On nous le montre « élève appliqué et merveilleusement doué dans toutes les branches ». Ce qui suscite plus particulièrement notre intérêt, c’est l’indiscutable enthousiasme qu’il ressent à suivre les cours du célèbre chimiste Jean-Baptiste Dumas. Il a vingt et un ans, il a trouvé sa voie — et cette voie, c’est la chimie. En août 1844, son professeur de chimie, M. Guérin, le juge de la sorte : « Très laborieux, beaucoup de goût pour la chimie, intelligence un peu lente. Très bon élève, éprouve quelque difficulté à s’exprimer. »

Elles se précipitent, les séquences : 1847, Pasteur soutient à vingt-cinq ans ses thèses de doctorat en physique et en chimie. 1848, il est professeur de chimie à l’université de Strasbourg.

Enjoignons à notre caméra de cerner un instant sa silhouette d’homme fait : il est petit — « court de stature », a-t-on souligné —et, en avançant en âge, montrera une tendance à l’embonpoint. Le front est vaste. Très tôt il a porté la barbe. Il la taille en pointe, comme nombre d’universitaires de son temps.

Il soutient d’un binocle le regard de myope de ses yeux verts. Ses photographies dévoilent un visage sévère, intimidant. Un jour, sa fille s’attristera : pourquoi ne sourit-il jamais ? Il répondra en posant une autre question : pourquoi faudrait-il qu’il sourie ?

Sa tenue apparaît tout entière nappée d’austérité : col dur, cravate sombre, redingote et pantalon noir.
Bref, si un metteur en scène avait voulu découvrir le prototype d’un savant imprégné de sa mission, c’est Pasteur qu’il aurait engagé. Il aurait même eu tendance à penser qu’il en faisait un peu trop. Or il va suffire d’un instant et d’un regard pour que cette sévérité de commande vole en éclats.

Le recteur de l’Académie s’appelle M. Laurent. Lui et son épouse reçoivent, en présence de leurs filles, les jeunes universitaires récemment nommés. On chuchote — mais faut-il le croire ? — que c’est là une méthode vérifiée par l’expérience pour « caser » ses filles. Vrai ? Attendez ! Quelques jours après la première entrevue se sont à peine écoulés que M. Laurent reçoit de l’un de ses jeunes invités une lettre qui commence ainsi : « Monsieur, une demande d’une haute gravité pour moi et pour votre famille vous sera faite sous peu de jours. Et je crois de mon devoir de vous adresser les renseignements suivants qui pourront servir à décider votre acceptation ou votre refus. »Cette lettre est signée Louis Pasteur.

Suivent plusieurs pages propres à éclairer M. Laurent sur le passé et les ambitions du jeune homme. Sachez seulement qu’à vingt-six ans, il ne redoute pas d’écrire : « On m’a parlé plusieurs fois de songer sérieusement à l’Institut. » Quel argument, en effet, pour un jeune professeur amoureux ! Car il l’est — et à la passion.

À peine M. Laurent a-t-il reçu cette lettre frémissante d’inquiétude que M. Pasteur, le tanneur, se présente à son domicile et demande la main de sa fille, Mademoiselle Marie. Pas de doute : on mène rondement les choses chez les Pasteur. Mais Louis tremble : sera-t-il agréé ? Il ose écrire à la jeune fille : « Mademoiselle, depuis deux jours tout a changé pour moi. Mon avenir, mon bonheur sont à présent entre vos mains... Je suis si inquiet sur vos premiers sentiments, sur vos premières impressions, et je redoute tant qu’elles me soient trop défavorables ! Tout ce que je vous demande, Mademoiselle Marie, c’est de ne pas me juger trop vite : vous pourriez vous tromper. Le temps vous dira que sous ce dehors froid et timide qui doit vous déplaire, il y a un cœur plein d’affection pour vous et dont tout le bonheur sera dans votre estime et dans votre amitié sincère... »

La lettre est du 31 mars 1849. Et voici ce que Pasteur écrit le 3 avril à la même Mademoiselle Marie : « Ma chère Marie, je crois avoir la certitude maintenant que vous m’aimerez. N’était-ce pas en effet d’un bon cœur qu’hier en me quittant vous m’avez donné la main ? Oh ! merci, merci mille fois si vous m’aimez... Depuis la mort de ma pauvre mère, je n’avais jamais tant pleuré que ces nuits dernières... Je n’ai plus qu’une pensée, c’est vous... Mon travail n’est plus rien, moi qui aimais tant mes cristaux, moi qui désirais le soir que la nuit fût trop courte pour être plus tôt à mes études ! »

Il ne s’est pas trompé. Mademoiselle Marie l’aime. Il n’est plus que le tanneur pour être déçu du choix de son fils. M. Pasteur père confie à l’un de ses proches « Il y avait deux filles. Mon imbécile de fils a pris la plus laide. »

Peut-être, mais le choix va se révéler excellent — ô combien ! C’est à juste titre que l’arrière-petit-neveu de Madame Pasteur la voit modeste, conseillère écoutée, héroïque dans l’épreuve, encourageante dans les heures de doute, étonnamment complémentaire de son époux. Le docteur Roux, collaborateur de toujours de Pasteur, confirme : « Elle fut le modèle de la femme du savant… dévouée jusqu’au renoncement… et le plus utile des collaborateurs. »

Elle a su très tôt qu’elle aurait une rivale à redouter, mais comme celle-ci était la science, elle a dès le premier jour consenti à lui faire bon visage. Je dirai d’ailleurs que Pasteur ne l’avait pas prise en traître. La séquence que voici va nous en apporter la preuve.

Derrière la caméra, entrons dans l’église Sainte-Magdelaine, à Strasbourg M. Laurent s’avance dans la nef au bras de sa fille. Il cherche des yeux son futur gendre. Pas de gendre. Il s’enquiert et apprend que Pasteur était encore une heure auparavant absorbé par la contemplation des acides tartriques droit et gauche. M. Laurent craint le pire. Il expédie au domicile de Pasteur un messager qui le trouve en effet penché sur son microscope. « Eh bien, et votre mariage ? —Mon mariage ? Mon Dieu !... »On court à l’église. La noce tout entière respire, les grandes orgues peuvent tonner et le célébrant peut officier — enfin.

« À toi et à la science pour la vie ! »

Mme Pasteur va donner cinq enfants à son mari. Trois, hélas, mourront en bas âge. Vivront, pour le bonheur de Louis, Jean-Baptiste qui deviendra diplomate et Marie-Louise qui épousera René Vallery-Radot, publiciste. Ces enfants-là, comme leur mère, devront admettre très tôt que dans la vie familiale, rien ne passe avant la science. Mme Pasteur leur donne l’exemple. C’est ainsi qu’elle écrit à son beau-père : « Louis est un père de famille modèle qui, tout en travaillant beaucoup, trouve encore le moyen de consacrer chaque jour un instant à bercer son nouveau-né et à prendre soin de sa fille. »Voilà un « instant » qui dit tout.

Le plus beau cri d’amour que l’on puisse trouver dans une lettre de Louis Pasteur à sa femme, c’est celui-ci : « À Toi et à la Science pour la vie ! »

Je bénis la séquence suivante qui me ramène à Lille. En 1854, Pasteur y est nommé professeur en chimie et doyen de la nouvelle université. À regret, je dois le suivre à Paris où, à la rentrée de 1857, nous le retrouvons à l’École normale, cette fois en qualité d’administrateur et de sous-directeur des études scientifiques. L’œil de notre caméra le suit dans les couloirs de l’École, cadrant le front sévère et son regard impérieux. Devant lui, les élèves savent qu’ils doivent filer doux. Il ne tolère pas la plus petite entorse à la discipline. Les sanctions pleuvent.

En 1867, il suit dans sa retraite le fameux Nisard, directeur de l’École de qui, à la suite d’un incident disciplinaire, il s’est déclaré solidaire. Ce qui ne l’empêche pas de conserver rue d’Ulm le misérable laboratoire où s’élaborent et s’élaboreront tant de mémorables découvertes. Panoramique sur ce « petit galetas dont on a dit que l’on hésiterait à faire aujourd’hui une cage à lapins ». C’est là qu’ont été jetés les fondements de la microbiologie, que la génération spontanée a péri corps et biens, que sont nées les règles de la prophylaxie.

Là que Louis Pasteur poursuit sa tâche harassante sans jamais vouloir convenir qu’un tel rythme dépasse les forces humaines. Le 19 octobre 1868, quand une attaque d’hémiplégie le paralyse, il n’a que quarante-six ans. Un confrère accourt à son chevet. « Je regrette de mourir, soupire Pasteur. J’aurais voulu rendre plus de services à mon pays. » Il ne mourra pas et, par bonheur, ses facultés intellectuelles demeureront intactes. Cette fois, notre caméra s’émeut elle-même à montrer son côté gauche sans vie, raidi, son avant-bras contracté, sa main retournée, sa jambe traînante.

Lui qui s’est fait une si haute idée de la science ressent plus douloureusement que d’autres la guerre de 1870 et la défaite. Il ne dévie pas cependant de la règle qu’il s’est donnée à lui-même : « Si la science n’a pas de patrie, l’homme de science doit en avoir une, et c’est à elle qu’il doit reporter l’influence que ses travaux peuvent avoir dans le monde. »

Sa gloire, d’abord nationale, est devenue mondiale. Dès 1860, il a été élu à l’Académie des sciences. L’Académie de médecine l’a reçu en 1877. Il est grand-croix de la Légion d’honneur. En 1882, l’Académie française l’accueille en son sein.

En le recevant Renan trouve d’emblée le ton qui convient pour célébrer l’homme d’une telle exception. Cette fois notre caméra saisit .dans la même image la coupole où nous sommes, celui qui est reçu et celui qui reçoit. « Il y a quelque chose, s’écrie Renan, qui appartient au même degré à Galilée, à Pascal, à Michel-Ange, à Molière, quelque chose qui fait la sublimité du poète, la profondeur du philosophe, la fascination de l’orateur, la divination du savant. Cette base commune de toutes les œuvres belles et vraies, cette flamme divine, ce souffle indéfinissable qui inspire la science, la littérature et l’art, nous l’avons trouvée en vous, Monsieur, c’est le génie. »

C’est ce jour-là que Pasteur a prononcé les paroles qui se proposent toujours à notre méditation. Nous savons, par Ernest Legouvé qui les entendit, que Pasteur les a exprimées « avec une émotion profonde » et qu’elles « firent courir dans toute l’assemblée un frisson d’enthousiasme et de foi ». Écoutons-les encore, écoutons-les ici : « Celui qui professe l’idée de l’infini accumule dans cette affirmation plus de surnaturel qu’il n’a dans tous les miracles de toutes les religions. Car la notion de l’infini a ce caractère de s’imposer et d’être incompréhensible. Quand cette notion s’empare de l’entendement, il n’y a qu’à se prosterner ! Il faut demander grâce à sa raison ! Les ressorts de la vie intellectuelle menacent de se détendre ! On se sent près d’être saisi par la sublime folie de Pascal. Le surnaturel entre dans votre cœur, l’idée de Dieu n’est qu’une forme de l’idée de l’infini. »

Tous ces honneurs, dans son esprit, couronnent davantage les succès de la Science plutôt que les siens propres. Peut-être est-ce une lettre naïve parvenue d’Orléans après qu’il eût vaincu la rage qui l’a touché plus que toutes les reconnaissances officielles. Elle était adressée simplement « à celui qui fait des miracles, rue d’Ulm ».

De toute la France, de toute l’Europe, les malades viennent chercher la vie auprès du grand homme. C’est alors que s’impose l’idée d’un Institut où la préparation et l’application du vaccin antirabique pourra se faire en grand. L’Académie des sciences ouvre une souscription nationale et suggère que l’on donne à l’Institut projeté le nom de Pasteur. Les journaux, en France et à l’étranger, convient leurs lecteurs à souscrire. Les dons affluent de partout. Le tsar adresse, à titre personnel, une somme de cent mille francs. Malgré toutes ces bonnes volontés, le résultat reste très insuffisant. Pasteur se résout à aller lui-même solliciter des personnes fortunées. Il se rend chez Mme Boucicaut, fondatrice et propriétaire des grands magasins du Bon Marché. Le maître d’hôtel de celle-ci vient lui dire qu’un certain M. Pasteur demande à lui parler. Elle le prie de s’informer : « Est-ce celui de la rage ? » Il répond qu’il est bien celui de la rage. Alors, Mme Boucicaut crie : « Faites-le entrer, faites-le entrer ! »Ils’avance, réservé, intimidé, gêné. Elle le fait asseoir : « C’est si extraordinaire ce que vous avez trouvé, Monsieur Pasteur ! »Il explique pourquoi il est là. Pour l’Institut que l’on projette, on n’a pas recueilli assez d’argent. Il sait la bonté de Mme Boucicaut, son inépuisable charité…

Mme Boucicaut se dresse, va à son secrétaire, libelle un chèque, .revient à Pasteur, lui tend le chèque plié en deux.

Pasteur se lève, la remercie, la prie de l’excuser, prend congé. C’est au moment où il va quitter le salon qu’il ose jeter les yeux sur le chèque. Il lit alors ce chiffre : un million. Dans les années 1880, l’équivalent d’une énorme fortune. Pasteur s’arrête net. Ses lèvres tremblent. Tout à coup, il se met à pleurer. Alors Mme Boucicaut éclate en sanglots. Il n’y a plus, dans le salon de cette vieille femme partie de rien et devenue si riche de par son acharnement au travail, que deux êtres qui communient dans la même émotion pour le bien.

Belle séquence, en vérité. Non moins frappante est celle que nous devons à son petit-fils Pasteur Vallery-Radot. L’enfant regarde le vieil homme et n’oubliera pas « cette figure comme taillée dans un bloc de granit, ce front haut et large, ce regard gris-vert si pénétrant et si doux ». Il reverra toujours « l’avant-bras gauche à demi fléchi par la contracture, les doigts serrés dans la paume de la main et qu’un spasme rendait souvent douloureux ». « Il était simple, il était bon », répétera l’enfant.

Il vit en ce temps-là à l’Institut Pasteur. Mme Pasteur est « dans son ombre, modeste, discrète, toujours pleine d’entrain ». Chaque jour à six heures, elle se lève, s’habille, s’en va assister à la messe, rentre pour aider son grand homme de mari à s’habiller.

Pasteur commence sa journée en répondant à son courrier. Puis, à onze heures, ayant jeté sur ses épaules sa pèlerine, descend au Service de la rage. Il surveille les travaux de ses collaborateurs. Après le déjeuner pris à onze heures trente, il sort à une heure trente de l’après-midi pour se rendre chez sa fille et son gendre afin de retrouver ses petits-enfants. Vers deux heures, il se fait conduire aux Tuileries, où, soutenu par son gendre, il entreprend une marche très pénible, exigée par les médecins.
Un peu avant trois heures, une voiture l’emporte vers l’une des Académies auxquelles il appartient ou vers l’une des Commissions scientifiques qui sollicitent sans cesse ses conseils.

L’enfant conservera toujours un exemplaire du discours de réception de Pasteur à l’Académie française. À la première page il a écrit : « À mon cher petit-fils. Quand tu auras grandi, je ne serai plus. Du moins j’emporterai, le cœur plein d’espérance, le souvenir de vos berceaux à ta sœur et à toi, vos sourires et vos regards, qui m’auront tant charmé et qui réjouiront longtemps encore, je l’espère, vos bonnes grands-mères et vos chers parents. »

Un jour Pasteur s’est demandé s’il serait scientifiquement possible de mesurer « la part du cœur dans le progrès des sciences ». En lui étaient mêlés, inextricablement, ce cœur, mais aussi la profondeur de la pensée, l’élan créateur, la plus fascinante des intelligences et l’art de faire naître les résultats concrets d’un éclair d’intuition.

Le 27 décembre 1892, pour son jubilé — et la voilà bien notre dernière séquence — il sembla que tout un peuple avait tenu à venir lui crier sa gratitude et son amour.

Le 28 septembre 1895, dans une annexe de l’Institut Pasteur, à Villeneuve-l’Étang, la mort vint le prendre. On lui fit des obsèques nationales. Le Panthéon l’attendait, mais ses proches firent savoir qu’il avait demandé que l’on portât ses restes mortels là où il avait tant œuvré, tant cherché, tant trouvé — là même où souffle toujours son esprit — dans la crypte de l’Institut qui porte son nom, ce nom qui retentit toujours jusqu’aux extrémités de ce monde qui lui doit tant.