Hommage prononcé à l’occasion du décès de M. Louis Leprince-Ringuet

Le 4 janvier 2001

Hector BIANCIOTTI

Hommage à M. Louis Leprince-Ringuet*

PRONONCÉ PAR

M. Hector BIANCIOTTI

Dans la séance du jeudi 4 janvier 2001

     Messieurs,

     Louis Leprince-Ringuet, notre confrère, est entré dans son éternité. Ceux qui l’ont connu et, ne serait-ce qu’un peu, fréquenté, peuvent imaginer que les anges, qui ont été créés au quatrième jour – deux jours avant nous – et furent aux premières loges pour contempler la Terre, se sont précipités pour l’accueillir. Ces premiers anges étaient, chez les Hébreux, des étoiles.

     Il était né à Alès, le 27 mars 1901. Son père était ingénieur des mines ; et sa mère le rattachait déjà aux milieux académiques, car elle était la fille de René Stourm, qui fit partie de l’Académie des Sciences morales et politiques.

     D’abord passionné de dessin et de peinture – peinture qui, du reste, demeurera son violon d’Ingres, ainsi que le tennis, tout au long de sa vie, sa vie séculaire Passionné, il l’est davantage par la physique, en particulier dans le domaine des rayons cosmiques, et ensuite de la physique nucléaire, alors en pleine expansion, et qui attirait grandement son maître, Maurice de Broglie.

     Il fut l’assistant du grand savant pendant plus de dix ans ; puis il décida d’étudier le rayonnement cosmique.

     À quarante-huit ans, Louis Leprince-Ringuet entre à l’Académie des Sciences, comme l’avait voulu sa mère, et participe, deux ans plus tard, à la direction du Commissariat à l’Énergie atomique.

     Bientôt, dans la bataille pour la conquête des particules qui allait permettre la constitution d’une artillerie atomique inédite, il sut très vite prendre une place importante : dans le Centre européen de Recherche nucléaire de Genève, que, comme disait son maître Maurice de Broglie, l’emploi si souvent énigmatique des sigles a conduit à désigner par le nom de CERN

     Il en devient vice-président en 1956, puis président en 1964 : son laboratoire participe à de très nombreuses expériences sur les accélérateurs français, européens, et américains.

     Deux ans plus tard, Louis Leprince-Ringuet fut élu à l’Académie – à notre Académie – française. Comme on l’a dit ces jours-ci, l’académicien qui s’assied le 20 octobre 1966 dans le fauteuil du général Weygand n’est, pas plus que son devancier, un écrivain de profession. Mais l’homme sait écrire. Ses livres les plus importants ? Les Inventeurs célèbres, Les grandes découvertes du XXe siècle, et surtout, déjà un classique : Des atomes et des hommes.

     Il concevait l’univers régi par des lois mathématiques ; et il croyait à la compréhension finale de toutes choses, et par conséquent, à celle de la science comme une échelle vers la Création, vers la divinité : sa foi en Dieu était fervente et sereine, une adhésion profonde de son esprit et de son cœur qui emportait une paisible certitude.

     Il ne s’est jamais accroché à la charmante déclaration de saint Augustin, au sujet du temps : « Qu’est-ce que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais si je dois le dire à quelqu’un, je l’ignore. »

     Non, la science, il ne lui suffisait pas de la présupposer, de la sentir battre en lui et dans l’espace sans terme dont on imagine, à l’instar de Giordano Bruno et de Pascal, qu’il est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

     Comme tous les scientifiques, Louis Leprince-Ringuet voulait rendre la nature intelligible. Mais il souhaitait aider, conduire les jeunes chercheurs – intimement convaincu qu’ils feraient, en groupe, quelques pas sur le chemin des découvertes : ce chemin de la science qui demande une persévérance infinie, dans la mesure où l’on sait que l’homme n’arrivera pas à ce point extrême de l’univers, où le monde serait né.

     Quand a-t-on commencé à soupçonner les éléments qui composent la matière ? Il nous est impossible de le vérifier, mais il est loisible de supposer que les Anciens – ceux que nous appelons les Anciens – ne l’avaient pas débusquée tout seuls. Il a fallu pour cela les multiples insomnies des bergers, des navigateurs, des astrologues, ainsi qu’une religion qui place Dieu tout en haut du firmament, et une ferme croyance astronomique qui l’étire sur des milliers de siècles.

     Chaque époque a ses manières et la seule promesse possible du scientifique est qu’une découverte qui n’est qu’un pas dans le savoir soit repérée, et ainsi poursuivie par d’autres – car l’aventure individuelle enrichit l’ordre collectif, tout comme le temps légalise les innovations et leur accorde un futur.

     Louis Leprince-Ringuet, notre confrère, nous disait un jour, il n’y a pas longtemps, qu’il ne savait pas interpréter les trouvailles des savants qui étaient sur place, dans le mythique CERN, et que cela, au lieu de le rendre mélancolique, lui procurait un immense plaisir.

     Comme il l’a dit de son maître, Maurice de Broglie, Louis Leprince-Ringuet était accueillant, humain, heureux des découvertes, même faites par autrui ; il gardait son cœur d’enfant, et dispensait la merveilleuse bienveillance qui suscite le zèle du chercheur, renforce son courage, accompagne sa persévérance et continue à lui donner confiance à travers les essais infructueux et les efforts sans récompense que le scientifique connaît bien souvent.

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* décédé le 23 décembre 2000.