Le prêt-à-parler

Le 20 octobre 1998

Bertrand POIROT-DELPECH

Le prêt-à-parler

par M. Bertrand Poirot-Delpech

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE
DES CINQ ACADEMIES
le mardi 20 octobre 1998

PARIS PALAIS DE L’INSTITUT

     

     Fermons les yeux, voulez-vous ? Et rêvons un instant !

     Au lieu de rester entassés sur nos sièges – passablement inconfortables, avouons-le –, sans pouvoir sortir après une heure et demie d’immobilité silencieuse... imaginez que vous vous retrouviez assoupis dans le canapé moelleux de votre coin-télévision, libres de baisser le son, de nous couper le sifflet, de « zapper » vers un vrai défilé de mode, plutôt que de subir nos discours académiques, libres de vous servir à boire, de vaquer à vos besoins, ou... de piquer un somme, tout simplement ; à notre insu !

     Supposons en effet qu’une chaîne de télévision ait obtenu de diffuser la séance annuelle de l’Institut, c’est-à-dire de la régenter – pour le plus grand bien de notre image, i1 va sans dire. Les orateurs de cet après-midi seraient les hôtes, entendez : les otages, de la fameuse émission « Parlons-en », « sponsorisée », je cite, par quelque lessive Hyper-Géniale (x millions de spectateurs, x pour cent de parts de marché : une « opportunité » qui ne se refuse pas !) Pour « rester proche du terrain » – je cite encore, et convenons une bonne fois, afin de ne pas succomber sous les guillemets, que le récit qui va suivre est rédigé intégralement en... « platéen », ou jargon des plateaux – ; pour « rester proche du terrain », donc, l’équipe aurait préféré à la Coupole, jugée « top » mais « ringardos », le cadre de « quartiers difficiles » ou « chauds », en l’occurrence l’« Espace Zinedine Zidane », structure polyculturelle appelée également médiathèque, nom donné à tout endroit où l’on est assuré de ne pas ouvrir un 1ivre !

     Pour éviter que la moindre réflexion suivie ne chasse le public vers d’autres chaînes plus distrayantes, et ne condamne l’émission, le débat serait illustré par une exhibition ininterrompue de mannequins torse nu, par un concert de « rap » et par les cris d’un échantillon, rebaptisé « panel », de trois cents jeunes, dont les niveaux d’applaudissements départageraient les orateurs, live, comprenez : en temps réel, grâce à un procédé électronique inédit, « validé » (sic) par une firme dite « partenaire ».

     Parmi les invités – une cinquantaine, pour que les interventions ne dépassent pas vingt secondes chacune –, on reconnaîtrait, à sa blouse blanche, un professeur de sexo-linguistique au CHU Aimé Jacquet, deux députés connus pour en venir aux mains à tout propos, et un sémiologue à queue-de-cheval dont les essais Signifiant du raglan et La Catachrèse dans Zig et Puce auraient atteint (qui dit mieux !) 108 000 exemplaires en deux semaines.

     Des députés, on retiendrait des formules passe-partout comme « problème fondamental «, « enjeu majeur «..., « il faut faire en sorte », « conduire une réflexion », « ouvrir dans ce pays un large débat citoyen, voire pluriel », « envoyer un signal clair, un message fort »..., bref : « prendre un certain nombre de mesures dans la perspective d’un grand dessein porteur »... (?)

     « Je ne vous ai pas interrompu ! », martèleraient les députés (« marteler », autre verbe à la dernière mode !), avant de quitter la tribune ; comme à leur habitude : bras dessus, bras dessous. Suivraient pêle-mêle des spécialistes de la confection et de linguistique, aux formules obscures telles que : « le logos reste tributaire de la doxa », « il faut initier la modernité, la générer, la gérer, la finaliser » ; « pour le locuteur », parler « moderne » serait... de l’ordre du « relooking » ; « soyons à l’écoute du feed-back à l’interne « Je cite toujours !)...

     Un jeune ferait un « tabac », je cite encore, en martelant, lui aussi, quelque chose comme : « c’est vrai que, bon, OK, mais pouh, c’est galère, d’apprendre l’accord des comment déjà ! Savoir que Les Plaideurs sont pas de Molière : lourd ! Craignos ! C’est pas ça qui nous filera des emplois sur la banlieue ! » ... « Ni des repères à l’orée du XXe siècle «, corrigerait, sous les bravos, un « Travailleur social « qui se « situerait, dirait-il, au-dessus des vieux clivages ».

     Le meneur de jeu semblerait ravi du tumulte. Le faux public des gradins l’applaudirait sur commande, familier de son smoking pailleté, de sa bonhomie, de ses goûts en cuisine, et de sa petite maman, présente sur le plateau.     « Non seulement nous sommes à l’orée du XXIe siècle, mais à l’aube du troisième millénaire «, ajouterait l’animateur-vedette, façon d’élever le débat (sic) ; et de le conclure ! Car la régie, sans prévenir, aurait envoyé le générique de fin. Je m’apprêterais à occuper les trente secondes qu’on m’avait promises, quand le smoking pailleté me ferait signe que le temps imparti était épuisé – au micro, le temps des invités est toujours « imparti « – et que, désolé, il fallait rendre l’antenne (à qui ? On l’ignorerait, sans doute à la lessive mécène, à ses quatorze assouplissants qui avaient permis ce grand moment de culture) mais enfin i1 fallait la rendre... Déjà, les projecteurs s’éteindraient. « Amis du beau langage, bonsoir !... À vous les studios ! »

     * * *

     Rouvrons les yeux, voulez-vous ? Quittons ce rêve devenu cauchemar et retrouvons nos sièges incommodes, nos chères abstractions d’un autre âge !

     Non : je n’ai pas parié avec quelques plaisantins de l’Académie française (il s’en trouve !) que je conclurais notre après-midi par une saynète d’anticipation. J’ai seulement voulu vous faire témoins et juges du prêt-à-parler dont nous finissons par ne plus apercevoir l’ineptie, tant il nous submerge et nous aliène.

     Je dis bien : « témoins et juges ». Car si l’émission décrite relève de l’imagination (on n’en est pas encore là ; pas tout à fait !), je garantis l’authenticité des horreurs verbales dont j’ai utilisé quelques échantillons. Toutes ont été effectivement prononcées, souvent à plusieurs reprises, pas plus tard que le mois dernier ! En une seule semaine d’audiovisuel !

* * *

     Comment peut-il se commettre impunément tant d’insultes au génie de notre langue ? Comment, surtout, ces outrages sont-ils repris sans examen par le peuple qu’on dit le plus subtil de la planète, le plus individualiste, le plus attaché au patrimoine,... et qui se révèle à ce point soumis, bêlant, devant les dernières modes langagières ?

     On fait fausse route si on impute ces dérives à un complot marxiste, à une conspiration du capital apatride, à une ruse des Anglo-Américains, à une faillite de l’École, ou à une révolte, comme cet après-midi même, de lycées surchargés. À la façon des sociétés et des poissons, les langues pourrissent par la tête. Ne craignons pas de le dire ici : ce sont les élites les plus titrées, et non la rue, qui imposent, jusque dans nos palais et dans nos parlers officiels, leurs néologismes faussement savants, afin de marquer leur pouvoir, comme les médecins de Molière parlaient latin. « Au niveau de », « structures », « champs », « pratiques innovantes » et autres « économies émergentes » – dernière mode de cette saison – n’ont d’autres origines que des coquetteries d’experts.

     C’est du sabir technocrate que les politiques et les responsables économiques ont tiré leur langue de bois – de contreplaqué, devrait-on dire – ; avec leur finalité propre, qui est d’enrober de litotes les réalités embarrassantes, et d’euphémismes les décisions impopulaires. L’expression « plan de restructuration » n’aurait pas fleuri, y compris chez les victimes de la chose, si elle n’évitait l’aveu du mot « licenciement ». Même entourloupe sous les termes de « dégraissage », de « plan social » ; de « nervosité des marchés », mise pour « impatience des spéculateurs » ; ou d’« idéologie » et de « pensée unique », synonymes « d’idées et de pensée de l’Autre », fatalement suspectes de secréter l’archaïsme et la persécution.

     Un franglais en délire est en train de déferler, du fait des firmes de pointe et des professionnels haut de gamme, qui voient là un moyen de borner leur territoire, de préserver leur caste : j’ai entendu récemment des diplômés de Grandes Écoles se demander sans rire comment « implémenter le process « ou « checker l’input » !

     Quant aux journalistes, s’ils ne veulent pas paraître ignorants ou populistes, ils se doivent de copier les divers jargons dirigeants. Croyant se distinguer, tous agrémentent leurs énoncés des mêmes métaphores. Quels que soient les sujets et les acteurs, il n’est plus question, sur l’ensemble des ondes et des imprimés, que de « partie émergée de l’iceberg », de « cerise sur le gâteau », de « jouer profil bas », de « botter en touche », de « faire la course en tête », de « subir la pression », de « soigner le mental », de « caracoler dans les sondages », de « revoir sa copie »... toutes images empruntées, comme par hasard, à l’actualité la plus regardée, donc la plus parlante pour les consommateurs et la plus prisée des annonceurs : les faits-divers, les sports, les jeux, les spectacles, la vie scolaire, les arts ménagers. Tout ramener à du familier, l’interview de champion servant de référence intellectuelle, et cultiver l’émotion : rire, pleur, désirs variés. Pas d’idées, surtout : cela risquerait de faire fuir le public vers la concurrence ! Telle est la consigne pour gonfler l’« audimat », et plaire aux « sponsors » unique pensée ! –

     Ne tombons pas dans la phobie, mais c’est la publicité qui dicte les engouements langagiers, comme les achats de masse et les comportements grégaires. C’est elle qui fomente notre abêtissement, dont elle a besoin pour mieux nous pousser à consommer aveuglément. Sa ruse à tout faire ? Nous persuader que, pour être originaux, pour être nous-mêmes, il nous faut... ressembler au voisin. L’uniforme donné pour un signe de singularité, l’achat conforme pour un brevet d’individualisme, les tics du discours de tout le monde pour des preuves d’autonomie intime : il fallait oser !

     Et ça marche ! Avec les derniers vocables de l’automne comme avec les petites jupes du printemps, la mode fait la loi. Après avoir colonisé l’espace visible des villes et le secret des consciences, la « réclame «, comme elle se nommait plus franchement naguère, s’est approprié notre bien commun : les mots. Elle les a mâchonnés, vidés de leur pouvoir critique ; elle s’est rendue maître des espaces, des sens et des sons ; elle nous revend les vieux vocables sous forme de calembours et d’à-peu-près, elle en impose de son cru, garantis creux ; elle se prétend « créatrice d’événements », de « messages forts », elle sacralise les apparences, elle substitue le faire-savoir au savoir-faire et l’effet d’annonce aux réalités, elle gouverne la vérité et les goûts, épie et conditionne nos fors intérieurs ; avec les seuls budgets d’annonceurs pour cohérence, elle nous pousse à la fois vers la sveltesse et l’obésité. « Vivez Safrane ! «, « Positivez ! », tambourinent les affiches et les ondes. Ça ne veut rien dire, mais ça vend. Le chantage au « refus de la modernité « tient lieu de raisonnement, et le rendement, de morale.

     Le mot-denrée et le mot-stimulation ont tué le mot-pensée, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne. Et l’injonction lexicale reste aussi anonyme et erratique qu’en matière boursière. Le même pronom impersonnel « ON » règne sur la confection et sur la corbeille : « On raccourcit les ourlets » se décrète aussi péremptoirement que « on se couvre en monétaire ». Telle est la nouvelle menace totalitaire, après l’effacement des deux grands délires politiques du siècle : sans visage ni concurrence, forte de nos fascinations désarmées, doucereusement fatale à la vérité et à la liberté qu’elle prétend servir.

     Et ne parlons pas de la « Communication », qui n’est que la succursale de l’annonce payante, faite pour obtenir gratuitement des médias ce qui ne s’achète pas, pour conditionner l’opinion par des techniques de persuasion toujours plus indécelables. Foi de journaliste, je mets en fait que les « dir’com’ », qui ont remplacé les anciens services de presse, qui se croient à la pointe des sciences humaines, et que rêvent de devenir, bien déraisonnablement, des milliers d’étudiants en choses vagues, que ces charlatans ont développé les activités les plus mensongères et corruptrices de ces dernières années ; sans parler du tort fait à la classe politique par les marchands d’image. La plupart des « affaires » qui minent notre société ont pour relais certaines officines dont les manigances, y compris verbales, ravalent le citoyen au rang de client, de segment utile, de cible, de créneau, de perroquet écervelé.

     Tout cela, non par force, je le répète, mais avec notre consentement ébahi ! Le quartier de ce palais ne serait pas assailli par les marchands de frites et de fripes, il n’aurait pas vu disparaître les libraires et les artisans qui ajoutaient à ses prestiges, si le libre marché de l’offre et de la demande, autant dire nous-mêmes, nous n’avions préféré à la flânerie chez les bouquinistes le dernier vêtement dans le vent ; au commerce des bibliothèques, la tournée des « soldes «, et aux trésors de la littérature des slogans de prospectus.

     Dans le même temps, tombait la meilleure des défenses contre l’abrutissement de la langue : la verve populaire, que le Dictionnaire de notre Académie admirait déjà, contrairement à ce qu’on raconte, chez les crocheteurs du port-aux-foins, et qui s’est tarie avec la mort du bistrot selon Jacques Prévert, tué par la jactance des ondes. Quant à la jeunesse et à ses chantres, sauf exceptions, ils revendiquent un dialecte minimal d’aéroport, appris comme une langue étrangère, déglingué, troué aux genoux, sans passé ni futur, modèle fast-food, techno, ouais, super !...

     Chaque génération d’adolescents s’invente, il est vrai, des superlatifs à elle, qui lui servent de codes, de mots de passe. Les « vachement chouette » de notre enfance ne valaient pas mieux que les « super-top » d’aujourd’hui. À ceci près que l’antidote n’est plus fourni par le culte scolaire de l’héritage et de la correction, ni par les parents, prompts, pour conjurer l’âge, à adopter les diminutifs en vogue, à pratiquer ce que j’appellerais le parler « p’tit dèj’ ». L’illusion de la table rase accompagne la mode du crâne rasé. « Que lisez-vous ? », demandais-je récemment à un apprenti-romancier, dont la rébellion se cherchait dans une prose terriblement basique ; « Je ne lis rien, ronchonna-t-il ; pour ne pas me gâcher ! »

* * *

     Assez pleurniché ! Comment, pour parler moderne, « déboucher sur du concret » ?

    Distribuer des blâmes ? Se plaindre aux décideurs de l’audiovisuel ? Faire honte à nos cadres et à leurs écoles de parler si hideusement « utile » ? Flatter les têtes de turc que sont devenues, si injustement, les têtes de classe ?... Nous nous y employons déjà, par acquit de conscience ; hélas, sans trop de succès.

     Rétablir l’enseignement de la rhétorique, disparu des lycées depuis 1905, afin qu’enfants et adultes sachent mieux se défendre contre les stratégies nouvelles de persuasion clandestine ? Payer des campagnes d’opinion pour redresser l’image faite à la lecture par les nouveaux « gagneurs «, selon qui ce serait une pratique périmée, lente, juste bonne pour les écoliers, vieillards, chômeurs, malades, détenus, et autres accidentés de la course mondialisée au plus apte ? Rappeler que la fréquentation de l’écrit assure la meilleure égalité de chances, que la plénitude d’une existence se mesure à la qualité du vocabulaire que chacun a glané dans les livres afin de se raconter à soi-même sa propre vie ? Redonner autour de nous 1’« envie » de se meubler la tête de mots justes, puisque la publicité a fait que tout, dès le berceau, est affaire d’« envie ». (À la question : « As-tu appris ta fable ? », il est courant que les enfants répondent, comme on invoque un droit sacré : « J’ai pas envie ! » Ainsi se perd l’exercice délicieux du par-cœur, défense suprême contre l’amnésie faiseuse de barbarie !

* * *

     Il y a plus simple, plus décisif, à la portée de tous, et immédiatement possible. Nul besoin d’une aide psychologique, d’un SAMU culturel, d’un plan Marshall de la lecture, d’une pastille sous l’oreille ou d’un anneau dans le nez ! Il n’y a qu’un geste à faire, un seul. J’en dois l’idée à... mon fils, dont l’originalité et le charme cocasse ne cessent de me surprendre. Non parce que... c’est mon fils, mais parce que, quoique professionnel de l’Image, eh bien, comme on dit, « i1 n’a pas la télé ! ».

     Tout à l’heure, en rentrant chez vous, dans le profond canapé que j’imaginais en commençant, essayez donc, au lieu d’appuyer machinalement sur le bouton de votre télécommande marqué « ON », d’enfoncer le bouton « OFF », c’est facile : le rouge au lieu du vert. Par la même occasion, décrétez en panne le magnétoscope, pour couper court à la cassette enfantine du soir, si commode, et la remplacer par un bon vieux Jules Verne de la Collection Hetzel (on les a reédités).

     Comme par miracle, le spectacle de vos progénitures affalées, offertes au gavage somnolent, fera place instantanément à celui de nuques joliment ployées sur des pages, de poings sous le menton. Vous-même (c’est important, l’exemple !), vous aurez découvert, ou redécouvert, La Bruyère, Voltaire, Chateaubriand, Paul Valéry : des confrères à nous, il se trouve ! Votre aîné demandera le sens d’un mot dont l’usage s’est perdu. Le cadet suppliera qu’on le laisse finir son chapitre. Ainsi renaîtra de lui-même un des plaisirs élémentaires de la vie qu’on nous a confisqué pour mieux nous le revendre sous l’appellation trompeuse de « communication », ou pompeuse de « convivialité ».

* * *

     N’ayons pas l’ingénuité d’attribuer tous nos maux au petit écran, si plein de ressources par ailleurs. Mais comment oublier qu’en moyenne la télévision dévore trois heures de notre temps chaque jour. Vous avez bien entendu : « trois heures ! » Si la langue s’abîme à un tel rythme, si le prêt-à-parler nous envahit, c’est d’abord qu’en vingt ans la parlote audiovisuelle a décuplé, retenez ce chiffre, la part de la langue orale dans le flot de mots qui nous traverse et nous constitue, au détriment des textes écrits, en perpétuel recul.

     Le jour approche où nos rues, nos amphis et nos chambres à coucher n’entendront plus que la jactance informe et infirme des clips et des spots. « T’es super-craquante comme meuf ! », ai-je lu sur une télécopie d’« ado », en guise de déclaration d’amour. Si c’est être passéiste de trouver que le discours amoureux a perdu au change depuis Scudéry, eh bien, soyons passéistes, sans complexe !

     Combien sommes-nous, ici, à cet instant ? On ne sait plus, de nos jours. Que nous soyons trois cents, d’après la police, ou le double, selon les organisateurs, pourquoi ne pas faire le serment de retrouver dès ce soir la sagesse et la béatitude de baigner en famille dans les mots, les vrais, enrichis par les siècles, choisis avec art et tendresse ? Qui sait si notre secte ne ferait pas, très vite, des envieux, des adeptes ?

     Il ne s’agit pas de défendre, dos au mur, nos chères ruines langagières contre un futur qui aurait forcément tort. Il est question de préserver, avec l’avenir du langage, le plus sûr de nos instruments de connaissance, de rêve, d’échange, de mémoire, de liberté.

     Il est question de notre bonheur, tout simplement !