Remise du dernier trophée Béatrix Dussane, qui avait été attribué à M. André Roussin. Discours prononcé salle Gaveau

Le 18 novembre 1987

Félicien MARCEAU

Vous comprendrez et, je le sais, vous partagez l’émotion qui m’étreint, qui me serre le cœur, plus particulièrement encore ici, dans ce lieu où, il y a si peu de temps, nous étions tous là, la famille d’André, ses amis et son public, c’est-à-dire ses amis aussi, tous réunis pour applaudir sa dernière pièce, ce chef-d’œuvre d’intelligence, de jeunesse qu’il nous tendait comme un cadeau, qu’il nous laisse comme une lettre. Réunis pour fêter, dans une ovation ce qui, dans l’esprit d’André Roussin — et comme si un obscur pressentiment lui en avait indiqué l’urgence — ce qui était son hommage et son remerciement à Molière.

Et nous voici encore réunis pour recevoir non pas à sa place, mais en son nom ce Trophée Dussane. Un signe du destin veut que ce Trophée soit, ce soir, remis pour la dernière fois avant d’être déposé à l’Académie, dans cette Académie où André Roussin était si unanimement respecté, admiré et aimé. Ce Trophée devait ici saluer le grand, le très grand auteur qu’était André Roussin. Il devient ici, ce soir, plus encore. Il devient le signe même de notre affection, de notre affection pour cet homme d’une si entière droiture, pour cet ami si attentif, pour cet homme qui, au faite du succès, avait gardé cette simplicité, cette modestie qui sont les marques d’un grand caractère, pour cet homme qui était la générosité même et toujours prêt à se battre pour autrui.

Cette générosité-là ne se remplace pas. Du moins pouvons-nous essayer d’en prolonger le sillage. De la part de l’Académie française, je puis déjà vous annoncer qu’elle a formé le projet d’instituer un prix, le Prix André Roussin-Dussane, particulièrement destiné aux jeunes auteurs. Ainsi, de là où il est, André Roussin pourra-t-il continuer à les protéger.

J’ai parlé de dernière pièce. Avec un grand auteur comme André Roussin, il n’y a pas de dernière pièce. De Bobosse à La Petite Hutte, toutes ses pièces sont là, comme autant de veilleurs autour de sa grande ombre. Elles sont toujours là, vivantes, vivantes de toute cette vie qu’il avait su y mettre. Avec André Roussin, le mot souvenir devient insuffisant. Il y a, d’abord, sa présence.