Discours à l’occasion de la remise à l’Académie du château de Castries

Le 15 mai 1985

Félicien MARCEAU

COMPLIMENT

adressé

à Monsieur le Duc et Madame la Duchesse de Castries

à l’occasion

de la visite chez eux de l’Académie française

 

 

– Une vieille dame, moi ? dit-elle.
Monsieur, vous en perdez vos bretelles.
Oh ! Excusez cette locution familière.
Elle vous montre que je ne suis pas fière,
Que je suis dans le vent,
Que je reste au courant
Et que, si je maintiens la langue de Malherbe,
Je sais celle aussi des pique-niques sur l’herbe.
La vieille dame, moi, du Quai Conti ?
Mais, Monsieur, j’en suis la hippie.
– Pourtant, Madame, votre anniversaire...
– Malheureux ! Voulez-vous bien vous taire
Ces trois cent cinquante ans
Pour une femme, en effet, c’est... abondant
Mais pour un corps de l’État,
C’est cotillon court et souliers plats.
Monsieur, j’ai vingt ans
J’ai vingt ans et c’est le printemps.
Joli mai, joli mois de mai
Voyez, je danse et j’ai l’œil gai.
De ma jeunesse, voulez-vous des preuves ?
À l’instant, je vous en abreuve.
Dans ce monde où nous sommes,
Où nous vivons Dieu sait comme,
Je connais de très altières beautés
Je connais de ravissantes mousmés
Qui, avec tout le charme de leur jeune âge,
Doivent souvent se contenter pour tout potage
Ou ensemble ou successivement
D’un mari et de deux trois amants
Et il paraît qu’il y en a de moins comblées.
J’en ai quarante, moi, Monsieur, et bien comptés.
Quarante et pas n’importe lesquels
Pas le vulgum, pas la séquelle
Ce qu’il y a de mieux dans l’hexagone
Tous des premiers, pas un épigone.
Il faut les voir quand nous jouons au dictionnaire
À définir le nasitort, la cimicaire.
L’un, le saviez-vous, est le cresson alénois,
L’autre, une renonculacée de nos bois.
Et gentils ! Pour moi, se mettant en frais
En vert, c’est ce qu’il y a de plus frais.
Sous la Coupole, c’est la forêt de Shakespeare
Et, de les voir réunis, de bonheur j’expire.
Monsieur, peut-on rêver un parterre plus beau ?
On n’y peut comparer que ceux de ce château.
Tiens ! Celui-là a douze pieds et sa césure
Ce que c’est de fréquenter des gens de culture.
Encore, ne parlé-je que de mes amants.
Il me faudrait dire un mot de mes soupirants
Qui se précipitent
Qui font des visites
Qui tantôt hésitent
Et tantôt vont vite.
Notez ce rythme haletant
C’est celui de ces fébricitants
Penchés sur ma liste
Comme le Cheyenne sur sa piste.
Mistler, j’y crois
Schumann, je ne sais pas.
Lévi-Strauss a été courtois
Gautier m’a paru froid
Roussin carrément narquois.
Dutourd va-t-il m’assener une croix ?
Druon me donnera-t-il le gâteau de sa voix ?
Quant à Troyat,
Je ne vois par là
Que des oyats.
– Pardon, Madame, à quoi riment ces oyats ?
– Ils riment avec Troyat, c’est là qu’ils sont utiles.
La rime à oyat, vous croyez que c’est facile ?
Puis, lorsque tout est fini...
Monsieur, vous n’allez pas croire ce que je vous dis.
Pour n’avoir pas obtenu l’immortalité,
D’aucuns sont restés une semaine alités.
Citez-moi d’autres Ninons dans l’Histoire
Qui aient suscité de tels désespoirs.
Ce n’est pas tout. J’en viens à mon zénith
Où je me sens Vénus, je me sens Amphitrite.
Les autres, les mousmés, pour leur anniversaire
Que leur offre-t-on ? Monsieur, des misères,
Un aspidistra dans son pot, quelque bricole,
Un bijou qualifié rivière, plutôt rigole
Voire, quand le mari ou l’amant est plus faste,
Un duplex, un appartement plus ou moins vaste.
À moi, Monsieur, on offre un château tout entier
Un château, à moi comme à Diane de Poitiers.
Cadeau royal, largesse inestimable
Suis-je donc Cendrillon, suis-je dans une fable ?
Serait-ce par un coup de baguette magique
Qu’il vient de surgir, là, ce château historique ?
Tout un château, de la tête aux pieds
Est-ce là être aimée à moitié ?
Avec son grand parc propice à la promenade
Et de tous ses salons la superbe enfilade.
Un château où, au détour de chaque aître,
On rencontre quelques portraits d’ancêtres,
Sa grande salle des États Pour les jours d’apparat
Et, pour les érudits, voyez bibliothèque
Livres rares, archives, documents, keepsakes.
Un château avec même son aqueduc
Ah, merci, Monsieur le Duc.
Demeure à rêver, demeure enchanteresse
Merci, Madame la Duchesse.
Peu à peu, vous voyez, j’ai bien changé de ton
C’est que me gagne l’émotion.
Pour vous exprimer mieux notre reconnaissance
Il faudrait les accents plus nobles de la stance.
Non, ce grand merci, je veux le dire
Sans fla-flas, sans trop pincer ma lyre,
Le dire simplement avec tout mon cœur,
Le redire avec vous tous, mes amis, en chœur,
Le clamer à la face des astres Merci, René de Castries.
Le dire avec le pur élan de ces pilastres
Merci, Monique de Castries.

 

Félicien MARCEAU,
Directeur de l’Académie.