Hommage prononcé à l’occasion du décès de M. François Furet

Le 25 septembre 1997

Jean BERNARD

Hommage à M. François FURET[1]

prononcé par M. Jean BERNARD
Directeur de l’Académie

Séance du jeudi 25 septembre 1997

 

Je garde un souvenir ému et fort de mon dernier entretien avec François Furet. C’était au début de juin. Il m’avait demandé de lui parler de Michel Debré, dont préparait l’éloge. J’avais, tout au long de cet entretien, admiré l’alliance de hautes vertus qui définissait François Furet, l’alliance de rigueur, de connaissances, d’un sens profond du bien public.

Ces hautes vertus inspirent la grande œuvre d’historien qu’il a construite. Une œuvre double. Il fut tout à la fois historien du passé, historien du présent.

L’histoire, comme les sciences, est souvent altérée, entravée, troublée par les dogmes. François Furet a refusé les dogmes. Il a renouvelé l’histoire de la Révolution française.

De 1965 à 1996, tour à tour, il nous donne : La Révolution française, Penser la Révolution française, Marx et la Révolution, le très remarquable Dictionnaire critique de la Révolution française, Les Orateurs de la Révolution, La Monarchie républicaine et la constitution de 1791.

Comme il l’écrit lui-même : « L’histoire, parce qu’elle aborde l’activité humaine au plus près de sa liberté d’invention, est le meilleur antidote contre les simplifications abusives et la rigueur illusoire que comporte la science du social. »

Nous avions, avant lui, reçu des enseignements institutionnels ou narratifs, distinguant les révolutions économiques, administratives, politiques. François Furet remet tout en question. Il remet en cause les préjugés dangereux, les certitudes inquiétantes. Il combat la mythologie historique. Qu’il s’agisse des portraits de Mirabeau, de Barnave, de Bonaparte, de ses analyses du jacobinisme, du drame vendéen, de la Terreur, c’est toujours la liberté, la vérité qui gouvernent ses enquêtes. Et nous admirons l’étendue du savoir, le refus de la corruption idéologique, un sens très fort du tragique. « L’histoire, écrit-il, est pour moi inséparable du monde actuel qui lui donne ses questions et sa raison d’être. »

François Furet s’attaque à cette époque qu’un autre très grand historien avait appelée l’ère des tyrannies. Le Passé d’une illusion, essai sur l’idée communiste au XXe siècle paraît en 1995.

François Furet, tout à la fois explore le destin posthume de l’héritage révolutionnaire, la filiation des terrorismes, les liens établis souvent avec sympathie entre la Terreur de 1793 et les années noires que connaîtra la Russie après 1917, l’admiration aveugle, la complaisance de nombreux groupes intellectuels. Admiration, complaisance qu’avec courage François Furet rappelait souvent avoir lui-même partagées au temps de sa jeunesse, avant de s’en écarter en 1956, au moment de la tragédie hongroise, avant de devenir un historien sévère du communisme.

François Furet était admiré en France et hors de France. Il enseignait, depuis 1985, trois mois par an, à l’Université de Chicago. Son dernier livre a été traduit en dix-huit langues. Il vivait entouré par Descartes, Pascal, Chateaubriand.

« Il y a d’autant plus de liberté qu’on agit davantage selon la raison. » Cette formule de Leibniz illustre assez bien l’œuvre, la personne du grand historien que fut François Furet.

 

[1] décédé le 12 juillet 1997