Allocution pour l’inauguration de l’exposition sur l’Académie française, Dakar

Le 23 mai 1989

Maurice DRUON

ALLOCUTION

PRONONCÉE PAR

M. Maurice DRUON
Secrétaire perpétuel

pour l’inauguration de l’exposition sur

l’Académie française

à Dakar (Sénégal), le 23 mai 1989

 

 

En 1635, le cardinal de Richelieu, premier ministre du roi Louis XIII, a donné mission à l’Académie française de veiller sur la langue, de lui donner des règles précises, « de la rendre claire et éloquente, capable de traiter les arts et les sciences ». Pendant trois siècles et demi, l’Académie s’est acquittée de cette mission, et, le langage étant fondement de tous les actes sociaux, elle est devenue une sorte de magistrature morale.

En 1985, le président François Mitterrand a solennellement appelé l’Académie à tourner ses réflexions, ses soins et ses efforts vers la Francophonie, c’est-à-dire vers l’ensemble des nations et des peuples qui, à des titres divers et pour de diverses causes historiques, partagent l’usage du français, ayant entre eux, de ce fait, une solidarité intellectuelle. Depuis quatre ans, l’Académie répond à cet appel.

En vérité, elle l’avait devancé en élisant, deux années plus tôt, le premier francophone, à tous les sens du mot premier, premier dans le temps, premier par l’œuvre poétique et politique, premier dans la gloire : Léopold Sédar Senghor. C’était une élection symbole et c’est ainsi qu’elle fut ressentie par l’opinion du monde entier. Je lui renouvelle devant vous les expressions de mon admiration et de mon affection.

L’Académie a répondu à l’appel qui lui était adressé en instituant, à côté de la vénérable commission du Dictionnaire, la commission de la Francophonie.

Elle a répondu en créant, par un accord avec le gouvernement du Canada, le grand Prix de la Francophonie, lequel a aussitôt bénéficié d’une participation du gouvernement français, et qui se renforce sans cesse par la générosité internationale. Le premier titulaire de cette haute distinction a été le dramaturge libanais Georges Schéhadé. Le plus récent est le grand poète malgache Jacques Rabemananjara dont je salue avec joie et amitié la présence.

L’Académie a répondu encore à ses devoirs envers l’ensemble francophone en étant présente au Sommet de Paris et au Sommet de Québec; elle l’a fait aussi, entre les Sommets, transmettant discrètement au Comité du suivi et au Comité préparatoire les réflexions générales que pouvaient lui inspirer son expérience ou son information.

Elle l’a fait encore en prenant l’initiative, de concert avec le gouvernement égyptien, de la création d’une Université internationale de langue française au service du développement africain à Alexandrie.

Elle l’a fait en se joignant à toute action tendant au maintien et au respect de la langue française dans les institutions internationales, de même qu’à la défense du français, problème gravissime, comme langue scientifique.

Tout cela n’est peut-être pas étranger au fait que l’on ait choisi en son sein le ministre de la Francophonie, charge à laquelle ses qualités personnelles, qui sont multiples, désignaient mon confrère et mon ami Alain Decaux, et dont il s’acquitte avec un enthousiasme remarquable.

C’est dans le même esprit que nous avons voulu réserver à Dakar, dans l’occasion de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, et comme un hommage à celle-ci, l’inauguration de l’exposition sur l’Académie française, son histoire et ses missions.

On ne décrit pas une exposition, on la visite; de même qu’on ne décrit pas la francophonie, on la vit.

Je voudrais seulement signaler que cette réalisation est due au ministère des Affaires étrangères français et à sa direction des Relations culturelles, scientifiques et techniques, avec le concours du ministère de la Francophonie et du Commissariat général à la langue française. Et un peu aussi à l’Académie.

On me laissera adresser mes félicitations au commissaire, Mme Catherine Coustols. C’est elle, entourée d’une petite équipe, mais valeureuse, et avec l’aide du directeur des services de l’Institut de France, M. Daniel Oster et de mon chef de cabinet, M. Laurent Personne, qui a tout imaginé, choisi, disposé, installé.

Je tiens aussi à adresser mes remerciements au ministère de la Culture du Sénégal, ainsi qu’à tous ceux, fonctionnaires, entrepreneurs, élèves de l’École des beaux-arts et artisans de Dakar, de même qu’aux services de l’Ambassade de France, qui ont tous participé à la mise en place.

Cette exposition ira ensuite au Maroc, puis au Québec, puis en Allemagne Fédérale et continuera je pense assez longtemps son chemin.

J’apporte à la Conférence des pays usagers du français un autre témoignage de l’attention de l’Académie. Dans sa séance de jeudi dernier, 18 mai, la Compagnie a terminé l’établissement d’une première liste de quatre-vingt-dix mots, termes, expressions utilisés ou inventés dans diverses parties du monde francophone et qu’elle déclare acceptables ou recommandables pour un usage général.

Ainsi, quand la chaleur nous accable, nous pourrons tous dire, comme au Québec ou au Nouveau-Brunswick, que nous sommes achalés.

Ainsi, à l’arrêt d’un transport public, nous préférerons, comme en Belgique, nous mettre sous une aubette plutôt que sous un abribus.

Naturellement, tous les pays qui ont un premier ministre et des gouverneurs se plairont, comme au Sénégal, à nommer leur résidence la primature ou la gouvernance.

Déjà, les essenceries ont pris droit de cité.

Lorsque nous nous empêtrons dans des difficultés mineures, y compris lors des conférences internationales, le Québec nous invitera utilement à ne pas nous enfarger dans les fleurs du tapis ou dans une paille en croix.

Les Italiens francophones nous font cadeau du mot campanilisme pour désigner l’esprit de clocher, et les Suisses du mot grimpion pour signaler un arriviste et les Haïtiens du verbe déchouquer pour renverser le détenteur abusif d’une autorité.

Parmi tous ces termes, il en est un que j’apprécie particulièrement et qui est apparu dans l’Afrique de l’Ouest : celui de commensalité, car il convient à merveille à la Francophonie. C’est le fait d’être compagnon de table, de se recevoir, de s’accueillir, de s’offrir et de se passer les nourritures.

Ces nourritures, ce sont nos cultures dont nous nous faisons profiter les uns les autres.

Comment l’Afrique profonde et l’Orient extrême, comment le Maghreb et l’Océan Indien, comment l’Europe et le nord de l’Amérique pourraient-ils chacun goûter la culture de tous si ce n’était pas autour de cette grande table aux mesures planétaires ?

Monsieur le Ministre de la Culture du Sénégal, c’est en votre pays que se tient cette année ce banquet de l’esprit, du savoir et de l’espérance, de l’aide fraternelle aussi. Laissez-moi vous en remercier.

Mesdames et Messieurs, dans les années qui viennent, le monde va être durement secoué, et c’est la condition humaine, partout, qui va être mise en cause.

Puisse notre communauté de rêve et de volonté, consolidée et structurée autant qu’il se pourra, nous aider à traverser les tempêtes.

Et puissions-nous au moins nous dire, tous et chacun, que nous avons-fait de notre mieux.