Guillaume Apollinaire. Discours du Secrétaire perpétuel

Le 13 décembre 1984

Jean MISTLER

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

tenue le jeudi 13 décembre 1984

Guillaume Apollinaire

PAR

M. Jean MISTLER
Secrétaire perpétuel

 

 

Sous nos fenêtres, la place de l’Institut développe la courbe d’architecture la plus parfaite de Paris, un dôme romain dont les proportions restent humaines, un espace qu’on n’a pas réussi à déshonorer en reconstruisant en face la plus vilaine passerelle de notre capitale ! Quelques enfants jouent, des vieux messieurs se promènent, traînés par de vieux chiens au bout de leur laisse : sans les carrosseries multicolores des autos qui stationnent ou qui passent, on pourrait se croire encore sous Louis XIV ou sous Napoléon.

Pourquoi, vivant au milieu de cette noble ordonnance, n’ai-je jamais parlé de certains de nos grands écrivains, gloire de l’Académie, pas plus Racine, dont j’adore l’harmonie, que Hugo, dont les contradictions m’excitent ? Je pensais, sans doute, qu’ils n’avaient nul besoin de moi, et c’est sans précautions oratoires ni excuses vaines que je vous entretiendrai aujourd’hui d’un écrivain plus récent et moins consacré, Guillaume Apollinaire. D’origine étrangère, il se battit pour la France en 1915 et 1916, et mourut, deux ans plus tard, des suites de ses blessures, après de longues souffrances, à moins de quarante ans.

Il parlait peu de sa vie d’ancien combattant et certains de ses amis, que je devais connaître un peu plus tard, comme Paul Guillaume, soulignaient sa discrétion et sa pudeur. Né en 1880 à Rome, il semblait avoir presque achevé son œuvre quand la guerre de 1914 éclata. Mais que restait-il à espérer pour un poète, lorsqu’il avait tenu entre ses mains et corrigé les épreuves d’Alcools, peut-être le plus beau recueil de vers de notre langue, puisque Gérard de Nerval n’a pas laissé une gerbe poétique assez riche pour former ce que les imprimeurs appelaient jadis « un juste volume » ? La poésie ne se juge pas au poids : le plus beau poème de Nerval — que je citerai tout à l’heure — ne compte que six vers, dont le premier est en grec moderne et se trouve répété à la fin, restent donc quatre vers français, et pourtant, je donnerais tout ce que l’immense Hugo a écrit sur Napoléon pour ce bref poème.

Mais pourquoi parler ainsi ? Personne ne nous demande de pareils sacrifices, et tel écrivain, comme Nerval ou Apollinaire, peut affronter les siècles avec autant de confiance qu’un Hugo ou un Lamartine, solidement établis sur leur œuvre colossale.

La vie d’Apollinaire a été prématurément brisée par le destin. Guillaume de Kostrowitzky — ah ! comme il fit bien de prendre son second prénom comme pseudonyme littéraire — fut tué, à retardement, après deux ans de lutte contre la mort, par la blessure qu’il avait reçue en 1916, pendant nos vaines offensives du Chemin des Dames.

Son œuvre se divise tout naturellement pour nous en deux parties : la poésie (un volume fort mince) et le journalisme (au moins vingt fois plus étendu). Je me garderai bien de comparer ces deux versants, et surtout de dire à quel point on peut regretter qu’Apollinaire ne se soit pas consacré entièrement aux lettres, en effet, s’il n’a jamais reçu, comme Nerval avec Sylvie, le cadeau divin de l’inspiration d’un immortel chef-d’œuvre romanesque, l’accent de ses poèmes n’appartient qu’à lui.

Quelques génies — Goethe, Lamartine, Hugo — jouissent d’une fécondité qui nous semble inépuisable. Aux antipodes, se trouvent les Baudelaire, les Mallarmé, les Apollinaire. Il semble que les poètes de la première catégorie produisent comme certains musiciens — Bach, Mozart, Schubert — ou comme les arbres fruitiers qui donnent leur récolte à chaque automne. Mais à quoi bon de tels bavardages ? Un jour, Mozart répondit, avec quelque impatience, à un faiseur de compliments : « Mon nez lui-même est essentiellement mozartien » (eigentlich mozartisch). Chez Apollinaire, à côté de cent pages de vers, il y en a bien deux mille de prose, et rares sont les poètes, comme Victor Hugo, chez qui ces deux parties de l’œuvre s’équilibrent à peu près.

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Tous les Français qui sont allés au collège ou au lycée gardent, plus ou moins consciente, la trace de certains exercices scolaires : beaucoup de bacheliers se rappellent encore le trop fameux parallèle entre Corneille et Racine, si souvent repris depuis La Bruyère, mais la plupart d’entre eux n’ont jamais vu jouer ni le Cid ni Andromaque, et n’en éprouvent d’ailleurs pas la moindre envie. Faut-il s’en étonner ? Non, sans doute : tout enseignement comporte une part de routine pédagogique et de procédés, parmi lesquels les comparaisons et les parallèles figureront sans doute longtemps encore en bonne place.

Si les programmes scolaires évoluent, c’est avec une sage lenteur, et la notion même de textes classiques et de morceaux choisis n’a pas disparu. Reste à savoir dans quelle mesure se renouvelle la liste des écrivains que l’on fait étudier à la jeunesse. Que reste-t-il, par exemple, de Virgile, pour ne point parler d’Homère ou de Platon, et l’Enéide n’a-t-elle pas rejoint Ulysse au pays des Cimmériens ? Son héros, Enée, reviendra-t-il un jour de son pèlerinage aux Enfers ? Peut-être, mais les études classiques sont au purgatoire.

Quelle doit être l’attitude de notre Compagnie, en première ligne pour la défense de notre langue et de notre culture, en face d’entreprises qui ressemblent de plus en plus aux bouleversements que l’urbanisme fait subir à nos villes ? Tous ici, nous croyons encore à la nécessité d’unir un certain respect de la tradition avec le désir de la nouveauté, mais il est difficile de fixer le point où se fera la rencontre.

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Depuis plusieurs années, sans que j’obéisse à une idée préconçue, mes discours de décembre ont pris, parfois, le caractère d’une réparation à l’égard d’écrivains dont les mérites n’avaient point été célébrés autant qu’il aurait convenu. J’ai rendu, dans le passé, hommage à des auteurs comme Valéry Larbaud ou Paul-Jean Toulet, dont la place légitime me semblait être au premier rang parmi les prosateurs et les poètes du XXe siècle. Aujourd’hui, le choix que je fais de Guillaume Apollinaire surprendra peut-être davantage encore certains de mes auditeurs — mon dessein cependant est de les convaincre et non de les choquer. Je crois qu’Apollinaire a été le plus grand poète du siècle qui S’achèvera bientôt et, sans polémiquer contre personne, j’aimerais vous faire partager ma conviction.

Méconnu de son vivant, resté en marge des honneurs, et même fort mal traité par une police qui le mit en prison, en 1911, pour le vol de la Joconde, auquel il était totalement étranger, il tire de cette mésaventure des poèmes résignés :

Avant d’entrer dans ma cellule,
Il a fallu me mettre nu.
Et quelle voix sinistre ulule :
Guillaume, qu’es-tu devenu ?

Ici, je laisse de côté quelques vers, et voici la fin du poème :

Que lentement passent les heures,
Comme passe un enterrement.
Tu pleureras l’heure où tu pleures
Qui passera trop vitement,
Comme passent toutes les heures...

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Apollinaire apparaît de nos jours aux meilleurs juges comme l’égal de Verlaine, et, sans chercher querelle à nos prédécesseurs à l’Académie, qui l’ont ignoré il y a trois quarts de siècle, c’est pour eux, et non pour le légitime héritier de François Villon, que je solliciterai l’indulgence.

Villon ! Ce nom est venu tout seul sous ma plume, comme va y venir celui de Gérard de Nerval. Et les deux poèmes que je vais citer, ne pourrait-on les croire du même auteur ? D’abord, celui d’Apollinaire :

J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends

Voici maintenant celui de Nerval, il s’intitule Ni bonjour, ni bon soir — en grec moderne :

Né kalimera, né ora kali !
Ce n’est plus le jour, la nuit pas encore.
De nos yeux pourtant l’éclair a pâli,
Né kalimera, né ora kali !
Mais le soir vermeil ressemble à l’aurore
Et la nuit, plus tard, amène l’oubli.

Mais cette merveille, que Guillaume Apollinaire a, pour mon goût, été seul à égaler, je ne sais même pas s’il l’a connue !

Il existe au moins une dizaine de mélodies de Schubert, qui vont plus loin dans notre cœur que telle ou telle énorme symphonie. De même, on peut penser que plusieurs brefs poèmes d’Apollinaire dureront davantage que la Fin de Satan. À quoi donc tient ce sortilège ? C’est, je crois, au fait que certaines œuvres passent par-dessus toutes les modes et atteignent directement notre cœur. Point n’est besoin d’expliquer le miracle, nous le constatons, et, si je cherche aujourd’hui à vous y faire participer à propos d’Apollinaire, ne voyez nullement dans mon discours le désir de surprendre, mais l’expression d’une conviction profonde.

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Aux antipodes des « poètes lauréats », Apollinaire a été, de son vivant, un aventurier, il a vécu en marge de la société bourgeoise et, évidemment, loin des salons ! Pourtant, depuis quelques années, il a accédé au rang des classiques modernes, et il est considéré comme l’égal des plus grands parmi ceux qui ont assumé l’héritage du romantisme.

Apollinaire est mort jeune, mais en laissant une œuvre abondante dont Michel Décaudin a procuré, comme on disait jadis, une édition admirable, chez Ballard. Je ne sais s’il existe un autre poète français dont nous possédions une édition comparable. Ses illustrations documentaires nous font croire que nous voyons travailler le poète, dans sa chambre d’hôtel ou dans un des garnis qu’il habita. Dans ces quatre épais volumes, figurent des fac-similés de manuscrits, avec leurs ratures en tire-bouchons et les énormes taches où l’on dirait que l’encrier s’est renversé sur la page ! L’écriture, fortement penchée, est souvent pareille à une écriture de femme. On trouve de tout dans ces poèmes, parfois, Apollinaire a fait fausse route en donnant à certaines pièces de vers une forme rappelant celle des objets qu’elles décrivent : une mandoline, une montre, un cœur percé d’une flèche, ou même la Tour Eiffel ! Certains Calligrammes sont matériellement illisibles, par exemple la Cravate et la montre, ou la Mandoline, mais je me garderai de reprocher à Michel Décaudin d’avoir voulu être trop complet : l’aspect matériel d’un poème explique parfois la psychologie de l’auteur.

Jamais, je crois, un recueil de vers n’a apporté davantage de précisions sur celui qui l’a écrit. Tantôt, il explique la Rhénanie, où Apollinaire fut précepteur chez la comtesse de Milhau, près des Sept Montagnes, ces modestes collines, dont la plus haute culmine à un tout petit peu plus de trois cents mètres, et tantôt, il évoque Paris et le quartier de la rive gauche où sa vie devait s’achever si vite.

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Cette vie peut se résumer brièvement. Guillaume Apollinaire avait vu le jour à Rome, le 26 août 1880. Sa mère, Angélique de Kostrowitzky, était issue elle-même d’une Italienne et d’un Polonais, qui portait le titre, purement honorifique, de camérier de cape et d’épée à la Cour pontificale.

Angélique de Kostrowitzky était la maîtresse d’un Italien, François Fiugi d’Aspermont, beaucoup plus âgé qu’elle, ancien officier de l’armée du Royaume des Deux Siciles. Le 31 août, la déclaration de naissance de Guillaume fut faite à l’état-civil par la sage-femme, mais ni le nom de la mère, ni celui du père, ne figuraient sur ce document. Un mois plus tard, le 29 septembre, Guillaume-Apollinaire-Albert de Kostrowitzky était baptisé à Saint-Vit, une humble église de quartier, mais sa mère le reconnut seulement le 2 novembre comme son fils.

En 1889, il commença ses études au Collège Saint-Charles de Monaco, et, huit ans après, il était demi-pensionnaire en rhétorique au Lycée de Nice. À la fin de 1897, il échoua au baccalauréat et ne s’y représenta jamais. Deux ans plus tard, sa mère vivait à Paris, où elle avait une liaison avec un financier, Jules Weil. Cette liaison dura jusqu’à la mort d’Angélique, en 1919, mais Jules Weil ne semble pas s’être jamais occupé de Guillaume.

Celui-ci mène une existence difficile dans la capitale. Il est employé chez un courtier à la Bourse et fait des travaux personnels assez décousus dans les bibliothèques, où il lit énormément. En 1901, la vicomtesse de Milhau l’engage pour enseigner le français à sa fille Gabrielle. Il passera alors plusieurs mois en Rhénanie, amoureux d’Annie Playden, la miss anglaise de la jeune fille. Toute cette période est assez mal connue et il semble bien que Madame de Milhau et Annie aient été d’accord pour écarter Guillaume, soupirant qu’elles jugent un peu encombrant.

En 1902, il fait des débuts littéraires peu remarqués, notamment à la Revue Blanche. Pour vivre, il prend un emploi dans une banque et il écrit en même temps dans l’Européen, puis il fonde, avec André Salmon, une nouvelle revue littéraire intitulée le Festin d’Esope, dont le public restera très limité.

La banque où travaillait Apollinaire fermait bientôt ses portes, mais un des employés créa une revue, le Guide du rentier, moniteur des petits capitalistes : là, Guillaume publia quelques articles, payés lorsqu’il y avait de l’argent en caisse !

En 1905, il fait deux brefs voyages en Rhénanie et en Hollande, et il écrit dans la revue Vers et prose, nouvellement fondée, puis il collabore à la Phalange et fait paraître des poèmes et des contes dans divers périodiques plus ou moins confidentiels, pour qui le problème était moins de trouver des lecteurs friands de textes osés, que d’échapper à la Police des mœurs !

Vers cette époque, Guillaume rencontre Marie Laurencin chez un marchand de tableaux et en tombe amoureux : liaison orageuse, rapide rupture.

En 1909, il donne à la collection des Maîtres de l’Amour des Extraits du Marquis de Sade : choix délicat, reposant évidemment sur des principes fort différents des morceaux choisis en usage dans les lycées. De tels travaux ne sont point sans risques, car on ne sait pas toujours jusqu’où l’on peut aller trop loin et ce que le Parquet laissera passer sans réagir !

L’activité littéraire d’Apollinaire se précisera dans deux directions, un versant fantastique et un versant érotique : le fantastique ne paie guère, mais l’érotique risque de coûter assez cher !

En 1911, à la suite de vols commis dans les musées parisiens, notamment celui de la Joconde, Apollinaire, chez qui un de ses amis avait déposé un buste dérobé au Louvre, crut prudent de le restituer. Il s’y prit si maladroitement qu’il fut emprisonné à la Santé : au bout de peu de temps, du reste, il fut mis hors de cause et relâché.

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En novembre 1912, Guillaume corrige les épreuves d’un recueil de poèmes qui paraîtra au Mercure de France. Le titre primitif était Eau de vie, il le modifie et le remplace par Alcools, certainement préférable. Le volume, sorti en mai 1913, passera à peu près inaperçu au milieu de la tension politique qui monte sans cesse.

En janvier 1913, Apollinaire s’installe au numéro 202 du boulevard Saint-Germain, à l’angle de la rue Saint-Guillaume, dans une des rares maisons qui ait conservé son caractère, non pas aristocratique, mais bourgeois. Une plaque sur la façade commémore son séjour, mais le graveur a été obligé de s’y reprendre à deux fois, car il n’avait mis qu’un seul l au nom d’Apollinaire.

Mais 1914 arrive. En juin, Marie Laurencin, que le poète avait passionnément aimée, épouse un peintre allemand — ce n’était vraiment pas le moment ! En juillet, Apollinaire est en vacances et c’est à Deauville, où Comedia l’avait chargé d’un reportage, que la déclaration de guerre le surprend. Il rentre à Paris et dépose une demande d’engagement qui n’est pas retenue, car notre état-major prévoyait alors une guerre fort courte ! Guillaume part donc pour Nice, où il rencontre Louise de Coligny-Châtillon. Il lui fait la cour, sans grand succès, et signe une nouvelle demande d’engagement. Maintenant, l’armée, revenue de ses illusions d’une guerre rapide, l’accepte, et, le 5 décembre, Guillaume est canonnier au 38e d’artillerie, à Nîmes. Du coup, un rapprochement se produit avec Louise de Coligny, elle vient passer quelques jours dans cette ville, et Apollinaire la revoit à la fin de décembre. Mais, dans le train qui le ramène à Marseille, il rencontre une jeune fille, Madeleine Pagès. Pourquoi ne pas lui faire la cour ? Quand on s’ennuie, on joue toutes les cartes ! Une correspondance s’engage avec la jeune fille, dont la famille habite l’Algérie. Guillaume demande sa main à ses parents, qui l’invitent chez eux à Oran, il va y passer une permission, mais ce projet n’eut pas de suite. Nommé maréchal des logis le 24 août 1915, il est volontaire pour l’infanterie, où il est muté avec le grade de sous-lieutenant. Le 17 mars 1916, près de Berry-an-Bac, il est blessé d’un éclat d’obus à la tempe droite. Évacué à Paris, il sera soigné dans plusieurs hôpitaux, d’abord au Val-de-Grâce, puis à l’hôpital italien du Quai d’Orsay.

En juin 1917, le poète, avec son bandeau autour du front, est reconnu inapte à faire campagne. Il est affecté à la Censure et publie au Mercure plusieurs poèmes qui prendront place dans Alcools et dans Calligrammes. Ces vers sont un mélange d’impressions de guerre et de nostalgies de la paix.

En mai 1918, Apollinaire, après une rapide cour, épouse Jacqueline Kolb, la jolie rousse, son nouvel amour, mais, à la fin d’octobre, il est atteint par la grippe espagnole, la meurtrière épidémie qui tua plusieurs millions d’hommes en Europe. Affaibli par sa grave blessure, Guillaume ne résiste guère à la maladie et il mourra le 9 novembre, deux jours avant l’armistice et la victoire.

Quelques jours plus tôt, alors que la défaite de l’Allemagne ne faisait déjà plus de doute, Apollinaire entendait de son lit à l’hôpital les gens qui passaient sur les quais en hurlant « À bas Guillaume ! Mort à Guillaume » Il faisait semblant de prendre pour lui-même ces cris, et il demandait aux infirmières : « Qu’est-ce qu’ils me veulent, tous ces braillards ? »

Ainsi disparaissait, à trente-huit ans, le plus grand poète français de notre siècle. Il était connu seulement par un petit groupe de lecteurs, à la faveur de copies dactylographiées ou de revues confidentielles — je ne vous dirai pas le nom des fabricants de vers qui étaient alors à la mode !

Les poèmes à Lou ne parurent qu’en 1947 à Genève, chez Pierre Cailler, sous le titre Ombre de mon amour, et remportèrent un succès comparable à celui des Méditations de Lamartine en 1820. Quant à ses deux grandes inspiratrices, Louise de Coligny vécut jusqu’en 1964 et Madeleine Pagès jusqu’en 1965.

Pas plus que Paul-Jean Toulet, à qui je rendais hommage l’an passé sous cette Coupole, Apollinaire n’a fait partie de notre Compagnie. Je souhaite que mon discours n’apporte à sa mémoire ni une consécration bien superflue, ni une réhabilitation inutile, n’y voyez qu’un hommage fervent, où j’ai essayé de montrer que le génie littéraire, comme le génie musical, appelle souvent le malheur.