Discours de réception d’Édouard Herriot

Le 26 juin 1947

Édouard HERRIOT

Réception de M. Édouard Herriot

 

M. Édouard Herriot, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. Octave Aubry, y est venu prendre séance le jeudi 26 juin 1947 et a prononcé le discours suivant

 

 

Messieurs,

 

Admettrez-vous, Messieurs, qu’un homme dont la vie fut si souvent engagée dans la bataille se trouve intimidé à l’instant qu’il comparaît devant vous ? On prête à l’un de vos élus de jadis cette phrase que j’adopte : « C’est la première fois de ma vie que je porte une épée et jamais je n’ai eu aussi peur. » Dans l’action publique, l’hésitation n’est guère permise : il faut se défendre ou attaquer. Mais quand on doit le plus appréciable des hommes à une bienveillance générale, et comme spontanée, on se sent malgré le caractère partiellement agressif d’un nouvel uniforme, désarmé. On se demande seulement si l’on aura devant soi, désormais, les délais suffisants pour témoigner à chacun d’entre vous les égards de reconnaissance que l’on sait leur devoir.

Votre faveur me fait succéder à deux historiens. L’un d’eux fut un prêtre, un grand dignitaire de l’Église. Je l’ai rencontré pour la dernière fois au Palais de l’Elysée, dans une réunion en l’honneur des prix de Rome. La faiblesse de sa vue rendant sa démarche hésitante, je lui offris mon bras pour le conduire jusqu’à un siège. Il me remercia d’un mot charmant : « Vous m’avez, me dit-il, installé ce fauteuil, mon cher camarade ; je voudrais bien vous laisser le mien. »

À vrai dire, cette courtoisie, qui fut divinatrice, ne me donne pas d’illusion sur mes droits. Le cardinal Baudrillart fut par dessus tout, un catholique ­de stricte obédience et je me reconnais peu d’autorité pour le présenter sous cet aspect, surtout après que l’un d’entre vous, Messieurs, en a tracé image qui ne souffre pas de retouche. Célébré par lui lors de son sacre, ayant reçu de lui des avis semblables à ceux que saint Paul adresse à son disciple Timothée, évêque de la blanche Ephèse, Mgr Grente a prononcé, le 25 novembre 1942, dans l’église Notre-Dame de Paris, l’oraison funèbre du Cardinal, dans le style de la grande tradition ; et sur les raisons qui ont conduit le professeur de l’Université au sacerdoce, sur ses entretiens avec Mgr d’Hulst, prêtre gentilhomme, dans les chênaies du château de Louville, sur sa soumission absolue à la papauté, sur une foi qui n’accepte aucune dérogation à la règle, il nous a laissé un portrait qu’il y aurait de l’indécence à vouloir reprendre. Ce besoin de discipline explique ce que l’on trouve dans le Recteur de l’Institut Catholique d’autoritaire, d’obstiné ou même d’abrupt ; il fait comprendre ses dernières attitudes sur lesquelles la loyauté impose des réserves et qu’on ne saurait me demander d’approuver. Au reste, à l’intérieur de l’enceinte où il s’est enfermé, le cardinal Baudrillart demeure indépendant, curieux d’esprit, libre dans ses opinions, passionné d’action personnelle, non pas neutre, mais impartial. Il déteste les faux-fuyants, ce qu’il appelle les « pieux mensonges » ; il sait critiquer des amis et rendre justice à des adversaires ; s’il change d’opinion, il l’avoue. « C’est un bon exercice, a-t-il écrit, que de penser par soi-même ; on n’a pas toujours raison en procédant de la sorte ; mais en procédant autrement, on n’a jamais raison. »

Alfred Baudrillart, né le 6 janvier 1859, est un Parisien. Comme ce jeune homme, avocat malgré lui, qui, dans un angle de la Grand’ Salle du Palais, attend un client rare, qui réjouit les clercs de ses saillies et s’appelle Nicolas Boileau. Ou comme Jean de la Bruyère, baptisé dans la petite église Saint-Christophe, près de Notre-Dame. Ou comme Voltaire, qui a réclamé pour lui ce titre de noblesse spirituelle. Il s’encadre, dans un milieu de bourgeoisie laborieuse, sévère de conscience, exacte sur ses devoirs et aussi avisée, enjouée, prompte à la critique et à la contradiction, drue dans son propos. C’est dans sa famille qu’il s’initie à la vie de l’esprit. Notre cher et grand Paul Valéry a écrit, dans, son Faust : « Le soleil d’une vie se lève en un point de l’horizon, se dégage des brumes et des formes tendres de l’enfance ». Le décor, limité par des bibliothèques, dans lequel grandit Alfred Baudrillart pourrait sembler étroit s’il n’était élargi par la pensée. Son père, l’économiste, savant informé dans plusieurs domaines, appartint à l’Académie des Sciences Morales. Son grand-père maternel Silvestre de Sacy, fils lui-même du célèbre linguiste, rédige en chef le Journal des Débats. Lorsque le Recteur de l’Institut Catholique créera des chaires pour l’étude des langues orientales anciennes, croyons qu’il agit sous l’inspiration de son ancêtre. Il flotte dans la maison de famille une odeur de jansénisme. On s’y déclare pour le libre examen. Le second de Sacy, — Samuel Ustazade, — a écrit : « On n’allait pas à la foi par ignorance : on aimait mieux, à tout risque, y aller par l’étude et le savoir. »

Cette famille réserve l’indépendance de ses membres. Chacun d’eux a son relief propre. Alfred Baudrillart est construit en force. Passé l’âne ingrat où les traits ne sont pas encore fixés, il se présente petit de taille, ramassé comme un athlète qu’il a été, avec un aspect sévère ou même rude. Sous un ample front, capable d’abriter un monde de pensées, le regard médite derrière le cristal des verres. La bouche saura sourire dans une brusque détente de gaieté, dans un accès de verve ; l’aspect ordinaire du visage est de fermeté, de volonté. Le masque semble sculpté dans un bois dur comme certaines statuettes de nos vieilles églises. Si l’onction se définit une sorte de douceur caressante, dans la manière de saint François de Sales, ce n’est pas la qualité que recherche avant tout Alfred Baudrillart, esprit véhément.

En dehors de la famille, la première influence qu’il ait subie est celle du couvent des Carmes ou il entre à neuf ans, pour suivre les classes de l’École Bossuet, où il entend des cours de théologie, où il enseignera. Il prétendait percevoir encore l’odeur de la mélisse que, pendant deux siècles, des moines y avaient cultivée. Aujourd’hui, le domaine est bien réduit que nous voyons, au printemps du XVIIe siècle, sur une gravure d’Israël Silvestre, étalant son bois d’arbres à têtes rondes près du chemin de Vaugirard, protégé par son svelte campanile, son petit dôme Renaissance et par les toits voisins de Saint-Germain-des-Prés, Le Louvre et la galerie du bord de l’eau lui composent un décor de fond que prolonge la colline à moulins de Montmartre. Mais le peu qui demeure est comblé de souvenirs. Celui du 2 septembre 1792, des prêtres massacrés sous des charmilles, dans l’Oratoire, sur le tragique escalier (hic ceciderunt) confirmait Alfred Baudrillart dans son horreur pour la hideuse bestialité de la guerre civile. Après la Révolution, le couvent, loué pendant quelque temps à un traiteur pour recevoir le bal des Tilleuls, sera, de nouveau, transformé en maison d’arrêt et recevra, avec le général Hoche, Joséphine de Beauharnais que nous retrouverons dans la roseraie de la Malmaison... Lorsque Mgr Affre est tué sur une barricade, son cœur, enfermé dans une urne, est confié aux Carmes. Lacordaire y établit son ascétisme romantique. Même si l’on écarte certaines légendes comme celle de l’incarcération des Girondins, c’est un lieu puissamment évocateur. Les ombres éparses dans la maison, sous les cintres des arcades, ou rassemblées autour de la colonne funèbre enveloppent la jeunesse d’Alfred Baudrillart ; elles lui donnent des conseils qu’il écoutera jusqu’à l’article de la mort, jusqu’à l’heure où il viendra reposer dans leur paisible société.

La deuxième influence exercée sur Alfred Baudrillart est celle de l’École Normale, dite Supérieure, sans doute parce qu’elle habite le sommet d’une colline. Il y entre en 1878 pour y rencontrer Bergson et Bergson. On a beaucoup raillé cette maison comme on raille tout ce qui est vivant : on ne jette des pierres, dit un proverbe paysan, qu’aux arbres porteurs de fruits. Un de nos camarades, Gustave Téry, aimable polémiste, a défendu contre la perfidie de la légende cette maison où l’on apprend à lire et quelquefois à écrire. Pour certains, le Normalien est un être instruit, doté d’esprit critique, fait d’orgueil intellectuel et d’une certaine gaucherie mondaine, sceptique par excès d’érudition ; à ce compte, les principaux représentants du genre seraient Ernest Renan, formé par le séminaire, et Anatole France. Y a-t-il eu des Normaliens avant le décret de la Convention qui les a rassemblés ? Oui peut-être. Dans l’antiquité, Lucien et Cicéron, pour la section des Lettres ; plus près de nous, Descartes et Buffon, pour la section des Sciences ; Bossuet, lui, personnifie la Sorbonne. Pour certaine opinion, les Normaliens seraient modulés sur un type unique.

En fait, l’École a fourni des revues pour toutes les carrières : écrivains, poètes, auteurs dramatiques, critiques (en abondance), diplomates, explorateurs, politiques et même des professeurs. Elle a formé aussi des prêtres, dont le plus ancien, je pense, est mort aumônier des Trappistes lyonnais. Un autre fut, à Patay, le missionnaire Cambier, pontificaux. Un troisième le missionnaire Cambier périt dans les mers de Chine à la suite d’un naufrage. Olivaint tombe devant le mur de la rue Haxo. La célèbre promotion de 1847 fait entrer avec Jean-Jacques Weiss, About, Sarcey et Taine, Adolphe Perraud qui avant d’être appelé à l’évêché d’Autun, enseigne l’histoire ecclésiastique à la Sorbonne. Il me souvient de l’avoir aperçu, ce fidèle disciple de Gratry, au centenaire de l’École, silencieux, grave avec une nuance de douceur et traduisant dans son regard cette droiture que votre Compagnie a su apprécier.

Qu’est-ce à dire, Messieurs, si ce n’est que l’École Normale Supérieure est un foyer de liberté ; que l’on ne se contente pas d’y pratiquer une tolérance, forme médiocre et parfois hypocrite de la courtoise ; que l’on y prend conscience de l’infinie diversité de la pensée ; que l’on s’y rend compte de l’impossibilité, pour un seul esprit, d’embrasser l’univers de la connaissance et que, faisant effort pour se donner à soi-même des opinions sincères on ne s’étonne pas si d’autres tirent de leurs expériences d’autres conclusions. Notion aussi utile dans l’ordre social que dans l’ordre purement intellectuel. Une nation, la nôtre surtout, doit assembler des idées variées, chacune avec ses nuances. En plein été, la France est un bouquet de roses mais diverses d’aspect, de couleurs, de parfums. Le Normalien déteste les jugements tout faits, la synthèse prématurée qui est une des formes de la sottise, les affirmations sommaires : « L’intelligence d’un homme, disait mon maître Tournier, se mesure à ce qu’il sait ne pas comprendre. » C’est l’esprit normalien qui m’invite à parler d’Alfred Baudrillart en toute indépendance, sans essayer d’approcher des siennes des opinions souvent très opposées, sans tenter de justifier, en les atténuant ou en les déformant, certains de ses actes que ne peuvent approuver ou couvrir ceux qui ont pris part à la Résistance nationale mais, en faisant effort, pour avant de le juger, le connaître.

On verra qu’Alfred Baudrillart demeure marqué de cet esprit. Une troisième influence agira sur lui. C’est, je pense, l’exemple d’Adolphe Perraud qui l’a conduit, en 1890, à l’Oratoire. Un prêtre ami des Lettres, soumis à leurs disciplines, incline d’une pente naturelle vers une congrégation réformée par le cardinal de Bérulle, protecteur de Descartes. Que cette création ou cette réorganisation ait été appréciée par l’ordre des Jésuites, on ne saurait l’affirmer. La règle de l’institution est spécialement souple. « Là, - déclare Bossuet, - une sainte liberté fait un saint engagement ; on obéit sans dépendre, on gouverne sans commander. Toute l’autorité est dans la douceur. » C’est la maison de Massillon, orateur d’harmonie et de charme, d’une aménité voisine de la grâce païenne, qui eût fait un confesseur pour Voltaire. L’Oratoire, c’est surtout Malebranche, lui aussi Cartésien à brûler, - comme dit Mme de Sévigné de certain évêque-, en qui se mêle à l’esprit de géométrie l’esprit de finesse. À ceux qui s’intéressent aux drames de l’intelligence l’Oratoire offre un merveilleux champ de réflexions. L’indépendance laissée par l’Ordre provoque les plus retentissants conflits d’idées. Malebranche se dresse contre Bossuet et Fénelon, passionnant avec sa théorie de la vision en Dieu, tout une société éclairée, tandis que l’oratorien Quesnel, par ses Réflexions morales, provoque l’assaut que la bulle Uni genius déchaînera contre le jansénisme, et qu’un autre oratorien, le Père Richard Simon, par son Histoire critique du Vieux Testament créera l’exégèse, annoncera Renan. Quelle variété ! Un Fouché lui-même est sorti de l’Oratoire. On conçoit donc que le rétablissement de la Congrégation en 1852 par le P. Gratry ait attiré des prêtres comme Perraud et Baudrillart, formés par l’École Normale aux attraits de la vie intellectuelle.

On a parfois distingué dans la vie d’Alfred Baudrillart deux périodes, l’une purement universitaire, l’autre ecclésiastique séparée par son entrée à l’Oratoire en 1890 et son ordination en 1893. Cette distinction n’est pas légitime. Professeur à Laval, à Caen ou au collège Stanislas, il laisse déjà nettement apparaître sa vocation sacerdotale. Docteur en théologie, Recteur de l’Université Catholique, prélat, il ne renoncera ni à ses recherches, ni à ses méthodes d’historien.

Ses premiers travaux le conduisent vers le siècle de Louis XIV.

 

Quand Maintenon jetait sur la France ravie

L’ombre douce et la paix de ses coiffes de lin.

 

La dame de Saint-Cyr lui inspire un innocent amour et la première de ses études dans le Contemporain. Suit une très longue série d’ouvrages, de manuels, de compte rendus, d’éloges qui visent aussi bien l’antiquité, la Renaissance et la Réforme, Marie de Médicis et Mme de la Vallière que la formation politique des États-Unis, les relations de la France avec le royaume de Siam ou la colonisation de Madagascar sous Louis XV. Dans le temps et dans l’espace, sa volonté d’information n’a pas de limite. Ce devoir de connaître, il l’expose dans son livre sur le Renouvellement intellectuel du clergé de France au XIXsiècle.

Au centre de sa production historique se place son grand ouvrage en cinq forts volumes sur Philippe V et la Cour de France, publié à partir de 1890. Il est allé chercher son information sur place au château de Simancas où sont conservées les archives générales d’Espagne, plus de trente millions de documents réunis depuis le cardinal Ximenes, et aussi dans le palais d’Alcala qui garde, sous ses plafonds polychromes, 150 mille liasses, des papiers de l’Inquisition et l’acte d’abdication de Philippe V. Fans ce prodigieux trésor il découvre quatre cents lettres autographes de Louis XIV, d’abord duc d’Anjou, est occupée par une série de guerres, sans intérêt pour nous qui avons vu mieux, bien qu’elles soient dominées par l’étrange personnalité du maréchal de Vendôme, honoré par la reconnaissance espagnole d’un tombeau dans l’Escurial. Nos généraux sont tour à tour vainqueurs et vaincus. Villeroi se laisse prendre à Crémone et battre à Ramilles. On le raille. Quel dommage qu’il soit maréchal de France car il a mérité le bâton ! Les troupes unies de l’Angleterre et de la Hollande ont pour chef John Churchill, duc de Marlborough.

Tantôt Philippe s’appuie sur la France et tantôt il la combat. Mais c’est une histoire qui prête aux évocations pittoresques et que traversent de bien curieux personnages comme ce cardinal Alberoni, fils de jardinier, qui faillit devenir pape, ou cette princesse des Ursins, Anne-Marie de la Trémoille, Parisienne, intrigante de grand style, dont Sainte-Beuve nous avait tracé déjà un portrait séduisant. Rien n’est divertissant comme de suivre la vie de la cour d’Espagne au début du XVIIIe siècle par les lettres de la Camarera mayor à la Maréchale de Noailles. En termes souvent très crus (nos auteurs modernes n’ont pas inventé le réalisme), elle décrit son obligation de prendre en charge, chaque soir, l’épée de Sa Majesté, la robe de chambre, la lampe et plus encore, Mme des Ursins gouverne la reine qui gouverne le roi. Ayant conservé, malgré la soixantaine passée des mœurs à l’escarpolette, suivant l’expression de l’un de ses ennemis, elle n’hésite pas, lorsqu’il lui faut se justifier, à gagner la cour de Versailles et à se présenter aux bals de Marly, hautaine et libre, tenant sous le bras son petit épagneul que Louis XIV lui-même vient caresser. Rétablie dans son influence, grâce, pour une part, à Mme de Maintenon, elle s’attache à défendre l’autorité du roi d’Espagne contre des grands sans force et sans courage, à lutter, comme un vrai maréchal de camp, contre la désorganisation de l’armée, à prévenir le découragement aux heures tristes jusqu’à l’instant de sa chute foudroyante et de son renvoi en France. Elle fait honte de leur lâcheté aux chefs responsables et écrit cette phrase qui vaut pour tous les temps : « Dans quelque mauvais état que soient les affaires, les grands esprits et les grands courages se raidissent davantage contre la mauvaise fortune. »

En poursuivant ce travail, œuvre bénédictine d’un oratorien, ce que se propose l’abbé Baudrillart, c’est de montrer comment, durant quinze années, les deux cours d’Espagne et de France n’en ont fait qu’une et comment Louis XIV a gouverné le royaume de son petit-fils en même temps que le sien. Cette transposition, l’art lui-même la confirme. Philippe V garde la nostalgie de la France tandis que la reine Isabelle Farnèse protège ses compatriotes italiens. Ce sont des Français qui construisent pour les religieuses de saint François de Sales un immense couvent que l’on a pu comparer aux Invalides. Le palais de la Granja, où Philippe V et Isabelle viendront reposer dans un mausolée de marbre rouge, imite les constructions du Grand Roi. Les jardins qui s’étagent sur la colline, si séduisants dans une aube dorée d’Espagne ou sous les cendres du crépuscule, ont été dessinés par des artistes de chez nous, Carlier et Boutelou. Que de parterres, de fontaines, de vases et de statues ! Jamais Diane n’est sortie du bain en présence de nymphes plus nombreuses. Les Trois Grâces surveillent la fontaine d’Amphitrite. Voilà qui passe le luxe mythologique de Versailles. Cependant, l’emploi de peintre de la Chambre, illustré au siècle précédent par Velasquez, est confié au Français Houasse. C’est seulement avec Goya que l’art espagnol échappera à cette longue influence et retrouvera son originalité.

Spécialiste des questions ibériques, le Père Baudrillart ne se laisse pas restreindre à un seul ordre de recherches. Lorsque le Vatican, en 1907, le désigne comme Recteur de l’Institut Catholique de Paris, il fait maintenir la Faculté de Droit et rétablir la Faculté des Lettres dont le titre avait disparu des affiches. Avec audace il criée une chaire foire des religions, et une chaire d’histoire de la Révolution. Il s’entoure de lettres et de savants. Branly, dans une humble cabane, met au point l’invention qui fera le tour du monde. Le Recteur développe l’enseignement supérieur des jeunes filles. Il demeure constamment fidèle à lui-même, associant à son orthodoxie dogmatique ses scrupules d’érudit, dans ses nouveaux ouvrages et jusque dans ses conférences de 1928 à Notre-Dame où, voulant démontrer la vocation catholique de la France et sa fidélité au Saint-Siège, traitant dans la chaire un sujet qui, pendant près de quarante ans, a été l’objet essentiel de ses études, il fait appel à la méthode historique ; s’il s’agit, par exemple, d’exposer, sur des documents directs, le célèbre conflit de Boniface VIII avec Philippe le Bel.

Dans l’introduction qu’il a placée en tête de sa Vie de Mgr d’Hulst, le cardinal Baudrillart écrit : « Comme chacun de nous, il s’est trompé en certaines circonstances ; dans son langage ou dans ses actes, il a quelquefois péché par défaut et quelquefois par excès ». Ainsi un jugement équitable peut s’accompagner de réserves. Le Jour vint où se produisit pour la France le malheur décrit au premier livre des Macchabées : « Jérusalem, les étrangers sont maîtres dans tes murs ; tes jours de joie sont devenus des jours de deuil ». En de pareils moments le cardinal Mercier écrit son admirable lettre Per crucem ad lucem où il proclame que, « contre le crime, la vindicte publique est une vertu ». Au temps d’Attila, les évêques se font, dans le désordre général, les défenseurs et les administrateurs des villes envahies. L’Église a sanctifié et la reconnaissance publique ne cesse d’honorer les noms de Loup, sauveur de Troyes; d’Aignan, protecteur d’Orléans, et pour Paris, de Geneviève, la jeune fille au grand cœur. Ce sont de tels dévouements, comme celui de Germain d’Auxerre, qui ont donné à l’Épiscopat son autorité dans la Gaule ravagée par les Barbares.

Ce rôle national, Mgr Baudrillart l’avait joué dans la guerre de 1914-1918, ce qui nous rend inexplicable son attitude au cours de l’occupation. Lorsqu’il l’accueillait dans cette enceinte, en avril 1919, Marcel Prévost le louait d’avoir été un des meilleurs ouvriers de notre défense et de la victoire. « Vous n’ignorez pas, lui disait-il, que c’est beaucoup à cause de cela que les portes de l’Académie se sont ouvertes devant vous, au cœur même de la guerre ». Et, d’Amérique, les Chevaliers de Colomb envoient au nouvel élu son épée avec cette inscription : « À celui qui lutta victorieusement contre l’impérialisme allemand enes et cruce ». Cette belliqueuse devise était justifiée. Pendant plusieurs années, Mgr Baudrillart a défendu la France par ses écrits et par sa propagande à son action à l’étranger. Son action à l’extérieur le ramène en Espagne et le conduit aux États-Unis. Ce sont, dans un cadre plus vaste, les voyages de saint Paul, moins le naufrage. Sur sa route l’historien observe et note. Ses remarques sont souvent bien troublantes comme celle-ci : « Au jour propice, tous les Mahométans s’uniront sous la direction de qui entreprendra de les débarrasser des Chrétiens et ce qui sera fait dans l’Orient s’accomplira ensuite dans l’Afrique du Nord ». Ses écrits ce sont des ouvrages collectifs comme la guerre allemande et le catholicisme-, l’Allemagne et les Alliés devant la conscience chrétienne dont il a écrit les préférences ; une brochure, la France, les catholique et la guerre ; son livre, Une campagne française. Le Comité Catholique de propagande fondé par lui, établit une correspondance régulière avec onze cents journaux de pays neutres. Mgr Baudrillart, soutient en propres termes que le prêtre a le devoir de préférer la guerre à l’injustice, qu’il n’est en rien tenu de vouloir la paix à tout prix, que les clercs eux-mêmes peuvent combattre. Il loue le cardinal Mercier d’avoir résisté, bien que seul, devant un « ennemi ivre d’orgueil et de brutalité » ; il trouve son attitude aussi admirable que celle de Jean-Baptiste en face d’Hérode, du pape Grégoire VII en face d’Henri IV d’Allemagne, de Thomas Becket en face de Henri II d’Angleterre. C’est lui qui, dans la basilique de Sainte-Clotilde, proteste contre le crime dont vient d’être victime le baptistère de la nation française.

Le centre allemand, l’Autriche si fortement accréditée au Vatican, attaquaient surtout dans les pays neutres la Révolution française. Ils invoquaient nos difficultés intérieures, la séparation des églises et de l’État, les discussions sur le problème de l’École. Certes, sur ces divers sujets, Mgr Baudrillart avait sa doctrine ; il a lutté pour le Concordat et pour l’enseignement libre. Mais il estimait que ces controverses étaient du droit des seuls Français et qu’elles ne dispensaient aucun d’entre eux du devoir national. À cet égard, il a conté lui-même, lorsque l’université tchèque lui décerna le titre de docteur « honoris causa », un incident plein de sens. En 1904, Alfred Baudrillart séjournait à Prague, au monastère d’Emmaüs dont les Allemands avaient fait un centre de germanisation. Le prieur annonçait sans relâche que les vengeances de Dieu allaient atteindre la France. « Son éloquence, écrit le cardinal, m’avait mis dans un tel état d’exaspération qu’au moment de le quitter, je dus me retenir pour ne pas lui crier : « Vive Combes, mon Révérend Père ». En fait, il modifia son opinion sur les dirigeants tchèques, se rapprocha d’eux dans leur lutte nationale et mis à la disposition de M. Benès le Comité catholique français à l’époque où la Bohême luttait contre la grande puissance catholique de Vienne.

Mais il ne se borne pas à défendre notre pays. Il attaque l’Allemagne dénonce, derrière un évangélisme apparent, sa doctrine issue du paganisme primitif, « l’extraordinaire faculté de mensonge innée; en presque tout Allemand, petit ou grand » (Ce sont ses propres termes), le goût de la cruauté, la conjonction, dont nous avons eu tant d’horribles preuves de la science et de la barbarie. En réponse à l’appel des quatre-vingt-treize intellectuels il met en accusation la métaphysique de Hegel affirmant l’identité du fait et du droit et les théories de Nietzche qui ont exercé, - j’ai pu m’en rendre comte sur place-, une influence décisive dans la formation du national-socialisme. Dans toute cette bataille d’idées, le Recteur Baudrillart, avec sa véhémence, se tient à la pointe de la mêlée. L’impression en Allemagne était si forte que deux cardinaux, l’archevêque de Munich von Bettinger et l’archevêque de Cologne von Hartmann annonçaient par télégramme à l’empereur Guillaume qu’ils déposaient contre le livre sur la Guerre allemande et le catholicisme une plainte devant le chef suprême de l’Église. Je me rappelle avoir reçu, pour la bibliothèque de Lyon, le pamphlet en cinquante pages des théologiens allemands. Ce fut une rude controverse. La réponse de Benoit XV, en date du 6 septembre 1915, atteste l’embarras du Vatican.

On ne comprend donc pas l’attitude, en 1940, du vigoureux polémiste de naguère, cédant, sans contrepartie, à sa passion d’autorité et au régime que nous avons combattu. Des influences s’exerçaient sur lui, dont l’une s’est révélée publiquement à ses funérailles. Il voyait la France crucifiée ; on regrette amèrement qu’il n’ait pas eu foi dans sa résurrection.

Le cardinal Baudrillart meurt, en mai 1942, âgé de 83 ans. Il n’assistera pas à la renaissance de sa patrie. Il ne connaîtra pas les efforts héroïques de ces Français qui ont reforgé les tronçons brisés de notre épée. Parmi eux il y eut beaucoup de membres du clergé ; des prélats, comme l’archevêque de Toulouse et l’évêque de Montauban, des prêtres à la soutane verdie, surgis pour défendre un sol près duquel ils vivaient.

On ne saurait les citer tous. Ceux-ci accompagnent leurs frères du maquis. J’en sais un, maire aujourd’hui d’une grande cité, qui, condamné à mort et gracié, persévérant dans son action clandestine, blessé par plusieurs balles de mitraillette, déconcerte les Allemands par un courage mêlé de fantaisie. Tout près de la ville à laquelle j’appartiens l’abbé François Larue, commandant d’un bataillon de chasseurs, membre de l’armée secrète, incarcéré au fort de Montluc, est assassiné dans l’affreuse tuerie de Saint-Genis-Laval. J’en veux saluer un autre, le chanoine François Boursier, mobilisé dans une division alpine, puis engagé dans la Résistance. On le presse de se mettre à l’abri ; il refuse de s’éloigner et prononce cette phrase sublime : « Il faut qu’il y ait des prêtres dans les geôles ». Ses camarades de prison disaient de lui : « C’est le Christ parmi nous ». On le vit revenir sanglant des chambres de torture, où on l’avait à la fois flagellé et injurié, avant qu’il ne fut, lui aussi, massacré sur une colline qui demeure pour tous les patriotes un haut lieu. Dans le drame récent, l’Église de France a eu, elle aussi ses martyrs, devant lesquels s’inclinent toutes opinions confondues, ceux qui ont eu l’honneur de souffrir, plus ou moins, pour le pays.

Cet éloge du clergé français résistant, Octave Aubry, résistant lui-même croyant de la victoire, devait vous le présenter. Mais vous connaissez le drame qui l’a emporté. Vous l’aviez élu le 14 février 1946 et il devait prendre séance parmi vous le 28 mars. Le 27, au soir d’une journée bien remplie, après une matinée consacrée, comme d’ordinaire, au labeur, ayant siégé à cette Société des Gens de Lettres qui doit tant à votre Secrétaire perpétuel, il se rend chez des amis pour leur soumettre son remerciement. Au moment qu’il achève sa lecture, une syncope le prend et il meurt trois heures plus tard, dans son appartement de la rue Bonaparte.

Issu d’une famille champenoise, national par toutes ses origines, Aubry est né, lui aussi, à Paris ; il y a fait ses études au lycée Voltaire et au lycée Charlemagne, excellent élève, du moins pour les Lettres. Disciple préféré d’un maître qui lui a enseigné l’intérêt du passé, Jules Viguier, il s’instruit aux cours de Vandal, d’Albert Sorel, de Leroy Beaulieu. D’abord, il cherche sa voie. D’esprit indépendant, républicain par idéalisme sans méconnaître, les vertus de la tradition, d’une ardeur qui le jette dans les combats pour les principes et les idées, il apparaît, avant tout, sensible et tendre. Ce sont les qualités qui lui donnent son charme.

Elles se manifestent en deux œuvres de jeunesse, bien différentes de forme : un gracieux volume de vers écrit dans la manière de Musset, au début de ce siècle, sous le titre : De l’amour, de l’ironie, de la pitié, et un travail sur l’Indulgence et la loi, fondé sur cette notion que le juge doit pouvoir pardonner. Pour modèles favoris, Aubry a choisi Loti et Barrès : derrière eux, Chateaubriand et Renan. Il voyage, séjourne à deux reprises en Angleterre et s’enchante, lui aussi, de l’Espagne dont il est permis de préférer le ciel vert au ciel indigo de l’Italie. Puis, trois ou quatre romans : puis la tragédie de la guerre et quatre ans de méditation qui le mûrissent. Rendu à la vie des lettres, il compose une série de romans historiques : Bonaparte et Joséphine, Brumaire le Roi vendu, Marie Walewska, le Lit du Roi, Gaspard Hauser. Dans cette période il n’aborde encore l’histoire que de biais, pour lui emprunter des prétextes à des scènes pittoresques.

Ce n’est qu’une transition. Le roman historique est un genre intermédiaire. Vigny, avec son Cinq Mars, Mérimée avec sa Chronique de Charles IX, y ont eu recours pour préparer le public à la grande école historique du XIXe siècle. Aujourd’hui, l’éducation du lecteur est faite. L’histoire a conquis son plein droit de cité dans les lettres. Il n’y a plus de compromis possible entre un genre tout d’invention et un domaine livré à la recherche, si difficile du fait exact.

Le véritable Aubry, celui que vous avez voulu honorer, apparaît lorsque, ne retenant de ses œuvres antérieures que le talent, il se consacre à l’histoire pure et publie ses grands livres, son Napoléon III et son Impératrice Eugénie, de 1920 à 1931, son Histoire du Second Empire, son Roi de Rome de 1932, ses volumes sur Sainte-Hélène, sa Vie privée de Napoléon, son édition du Journal inédit de Gourgaud, son ouvrage sur la Révolution française. Travailleur acharné, il a profité de ses premiers écrits pour former son style alerte, vivant, excellent dans le portrait, riche en images, agréable et séduisant, comme était l’homme lui-même. Nulle sécheresse didactique. L’apparente facilité du style n’a été acquise que par un patient labeur ; ses épreuves d’imprimerie le démontrent.

Au seuil de cette œuvre, telle qu’elle se présente à nous aujourd’hui, dressée non plus dans l’ordre de sa composition mais dans son appareil logique, deux volumes sur la Révolution. Pour Octave Aubry, le fait immense qui ne trouve son terme qu’à Waterloo est, tour à tour, une destruction, puis une création. Une évidente volonté d’impartialité domine cette large étude où se retrouve l’idée chère à l’auteur du rôle considérable des personnes dans l’histoire. C’est du seul point de vue national qu’il juge les hommes et les faits. Parfois avec malice. Du gros Cazalès, l’éloquent adversaire de Mirabeau et de Barnave. Il donne cette définition sommaire : « Trop honnête pour faire un politique ». Une protestation contre cette formule pourrait sembler intéressée.

Pour cette histoire de la Révolution, Octave Aubry s’attaque à un sujet inépuisable et grandiose. Si le voile ensanglanté par les massacres nous cache souvent les arrière-plans de la scène, si les acteurs du drame provoquent tantôt notre enthousiasme et tantôt notre aversion l’œuvre essentielle et collective de la Révolution ne saurait être contestée, soit qu’elle transforme le régime foncier, affranchissant la terre de France des charges qui la grevaient depuis le moyen âge, soit qu’elle modifie la condition des personnes et la justice régressive. Elle écrit pour le monde entier cette Déclaration des Droits que l’on a pu compléter, mais non abolir ; c’est son plus grand résultat humain. Elle impose le principe de la souveraineté nationale ; c’est son plus grand résultat politique. Elle substitue à une simple obligation d’obéissance le culte passionné de la patrie. Elle proclame que l’instruction est, envers le peuple, le plus urgent devoir de justice et dans la fièvre continue que provoque le péril extérieur ou la discorde civil, elle dédie à l’intelligence ces admirables fondations spirituelles qui sont aujourd’hui encore l’honneur de notre pays : création dont nous devons parler avec d’autant plus de révérence et, pour nous, de modestie que nous n’avons pas su la poursuivre en appliquant d’ensemble le plan si large et si clair de Condorcet.

Mais le sujet qui passionne Octave Aubry, qui domine même ses études sur la Révolution, qui a inspiré certains de ses romans historiques et son meilleur livre, le voyage à Sainte-Hélène, c’est l’étendue minutieuse, sans cesse reprise, de ce jeune artilleur qui, le matin du 10 août suit en réfléchissant les incidents du combat, caché dans une boutique du Carrousel. Il s’attache moins à son œuvre qu’à sa personne. À l’œuvre, dans cette Histoire de France - qu’il a si justement dédiée à la compagne attentive de son labeur -, Octave Aubry consacre quelques chapitres, pleins d’admiration pour le Consulat, bienveillants pour l’Empire, exacts dans le récit des guerres, inquiets à partir du temps où Napoléon incline au despotisme, sévères pour les fautes que son ambition carolingienne provoque, et, après nous avoir montré les causes premières du déclin dans la guerre d’Espagne, dans l’éblouissement du mariage avec l’archiduchesse, dans cette agression contre la Russie qui perdra plus tard Hitler, il nous fait assister à la décomposition du régime, à la désaffection du pays épuisé, à la prodigieuse campagne de France, au désastre de Waterloo. Récit sommaire, mais exact.

S’il fallait juger le rôle de Napoléon dans notre histoire, des républicains fidèles à l’esprit de liberté, hostiles à toutes les formes de ce despotisme que l’on appelle aujourd’hui d’un bien vilain mot, le régime totalitaire, auraient les plus graves critiques à lui opposer. Agir autrement, ce serait désavouer Mme de Staël, le penseur le plus courageux de l’époque. Lamartine admire Napoléon mais redoute son ombre. Chateaubriand, dans les invectives dont il poursuit son adversaire (il dirait volontiers son rival) mêle à des rancunes personnelles, à certains fatras de citations, à d’éclatantes images, une vigoureuse protestation contre le tyran. Il écrit, en termes décisifs : « On ne le peut combattre qu’avec quelque chose de plus grand que lui, la liberté ; il s’est rendu coupable envers elle et, par conséquent, envers le genre humain ». Stendhal lui-même désavoue son héros après le sacre.

Bonaparte avait voulu d’abord, semble-t-il, sauver toutes les conquêtes de la Révolution contre ses excès. Napoléon sort de ces limites, brise tout qui s’oppose à son ambition personnelle, en ne faisant plus appel qu’à la force. Il est vrai que, se jugeant lui-même, il s’est condamné dans les phrases célèbres à Fontanes : « Il n’y a que deux puissances : l’esprit et l’épée. À la longue l’épée est toujours vaincue par l’esprit ». Précieux repentir. Mais nous avons, nous Français, trop souffert de la force ; elle a, parmi nous, laissé trop de vestiges, il est si difficile de défendre contre elle la liberté devant un peuple sensible aux séductions de la gloire, qu’il y aurait une dangereuse imprudence à confondre l’homme et l’œuvre, lorsque l’on aborde Napoléon.

Cependant voici un prodigieux exemple de ce que peut la personne humaine. Dans un temps où l’abandon et l’oisiveté gardent leurs zélateurs, où l’on a cessé de croire que chacun doit forger son destin, que la difficulté doit nous stimuler au lieu de nous inviter à la paresse et que le surmenage est l’hygiène des forts, Napoléon nous enseigne l’énergie. On étudiera donc d’abord sa formation. Déjà en 1837, Stendhal, qui avait rencontré l’Empereur, s’était entretenu avec lui et l’aimait au point de trouver tous les autres généraux « hypocrites et cotonneux », tentait de décrire « le plus grand homme qui ait paru dans le monde depuis César ». À son tour, Octave Aubry nous montre le jeune Corse qui déteste alors les Français, sous l’uniforme bleu à collet rouge de Brienne, laborieux, volontaire, aimant à méditer dans un petit Cabinet de verdure, puis à Valence, où il se laisse emporter par les élans et les orages de Rousseau, lisant avec plus de passion que de discernement et, contre les diverses formes du régime établi , révolté. Lorsque, décidément, il choisit de s’attacher à la France, vers sa vingt-quatrième année, dans les convulsions de 1793, sa formation et son information sont achevés. De la Révolution il a retenu les principes, pourvu qu’ils s’accordent avec la nécessité de l’ordre, le devoir militaire, les leçons de l’Histoire. Sa personne s’enrichira, mais elle se dessine ; ses longues méditations ont reçu leur récompense ; il laisse une part à l’imagination, au prestige. Le style précis, saccadé, de ses premiers mémoires traduit une originalité en contraste avec l’abondance verbale des hommes de la Convention.

Selon Octave Aubry, ce sont les sentiments de Napoléon et les circonstances qui ont déterminé sa vie. Au 12 vendémiaire, le mari d’une de ses premières amies, Turreau, prononce son nom. L’influence de Joséphine sur Barras vaut à Bonaparte son commandement d’Italie. C’est grâce à son frère Lucien qu’il réussit la tragi-comédie du 19 brumaire. Par dévouement pour son clan, il impose à l’Europe sa propre famille ; à certaines époques, les Tuileries sont devenues un bureau de placement pour souverains. Voulant ménager Désirée Clary, la silencieuse, il laisse Bernadotte convoiter le trône de Suède. Le divorce aurait pour origine les espérances maternelles de Marie Walewska. Les imprudences de ses révélations stratégiques à Marie-Louise ruinent, dans la campagne de France, son plan.

Ainsi Napoléon, à tous les moments de sa vie, aurait été conduit ou dominé par le sentiment. D’où l’intérêt de ses relations avec les femmes. Selon Corinne, elles n’étaient pour lui, comme toutes les créatures, que des chiffres ; il faut reconnaître qu’il en a déchiffré beaucoup. Il a cueilli des cerises avec Mme du Colombier. La brune Eléonore Dénuelle, admise à la Cour comme lectrice, devient la mère du petit Léon, déclaré fils « de père absent », dont la naissance, nous disait déjà Frédéric Masson, a beaucoup influé sur les résolutions prises par Napoléon à Tilsitt. La ville de Lyon fournira elle-même une contribution à ce catalogue, sans doute pour compenser, en vertu de l’harmonie préétablie, l’hostilité de Mme Récamier ; il y a connu, en avril 1805, Mme Pellapra qu’il fait venir aux Tuileries entre deux visites de Marie Walewska. Et quel roman vaudrait en pathétique l’histoire vraie de sa relation, si souvent contée, avec Joséphine, par exemple, cette scène du divorce qu’Octave Aubry a si bien décrite : dans la salle du Trône illuminée, constellée de rois et de reines, de princes et de dignitaires, Joséphine en robe blanche assise près de l’Empereur en colonel de garde ; le discours par lequel il annonce la séparation ; la réponse, écrite elle aussi, de l’abandonnée qui ne peut terminer sa lecture et pense s’évanouir ? Un sec procès-verbal termine ce drame si chargé de tragique humain.

Même quand il a épousé Marie-Louise, l’Autrichienne aux yeux de faïence, aux cheveux blonds, à la gorge forte, il semble changer sa vie, pour tenter de la distraire, pour lui prouver son assiduité sinon sa fidélité, pour la capter par des attentions qu’il prodigue à sa famille comme à elle-même ; il lui confie non seulement ses secrets d’État mais, aux heures les plus critiques, son pouvoir. Lorsqu’il devra partir pour l’exil, elle demeure pour lui sa « bonne Marie-Louise » et de Sainte-Hélène, trahi de façon la plus vulgaire, il ordonne par testament qu’on lui remette son cœur.

Ce cœur, comme on le sent battre si Napoléon parle du fils auquel il voudrait transmettre son trône, ce Roi de Rome dont Prud’hon nous a laissé un admirable dessin aux deux crayons et qu’Octave Aubry fait revivre dans une émouvante et minutieuse biographie. Lorsque Napoléon surveille ses moindres gestes, lorsque, dans les jardins de Saint-Cloud, il prend sur ses genoux l’enfant aux yeux trop bleus, aux cheveux dorés, enveloppé dans sa petite robe de mérinos blanc. Lorsqu’il s’amuse de ses moues, joue avec lui ou, tout en travaillant, le serre contre sa poitrine, ce n’est pas un empereur solennel que nous avons devant nous, c’est, dans la profonde simplicité du mot, le père le plus attentif, le plus tendre.

Napoléon n’est donc pas un personnage hors nature, purement algébrique. Il a connu les faiblesses, les passions communes. Il se laisse aller à de brutales colères, injurie grossièrement ses parents et ses fonctionnaires, déchire une robe de femme à coups d’éperon. Pour les circonstances, ont-elles agi sur lui comme les sentiments ? Octave Aubry le pense. L’exilé de Sainte-Hélène le déclarait à Gourgaud : « Je ne serais pas venu qu’un autre aurait fait de même… Un homme n’est qu’un homme. Ses moyens ne sont rien si les circonstances, l’opinion ne le favorisent. »

Certes, un autre n’aurait pas fait de même. On a beaucoup discuté sur la question de savoir si ce sont les faits qui créent les hommes ou les hommes qui créent les faits. Qui a raison ? Taine le déterministe ou Carlyle, ce puritain dyspeptique ? Carlyle assurément. Même en des temps comme les nôtres où le développement de la machine et les agents matériels semble réduire le rôle de la personne l’expérience a démontré qu’il se révèle des êtres forces, en qui les nations ou les idées s’incarnent, obligés parfois de céder aux faits, mais prompts à se reprendre et qui finissent par les courber sous l’ascendant de l’intelligence. L’esprit demeure et doit demeurer le maître.

Comme l’on s’en rend compte si l’on étudie sur place la bataille d’Austerlitz où, d’ailleurs, le village de ce nom n’a joué aucun rôle ! Un grand fait d’armes ? non ; beaucoup plus. C’est la domination exercée par un esprit qui s’isole au sommet d’une petite butte pour penser plus librement, sur des éléments tous hostiles : infériorité de la position et des effectifs, longue distance des bases, obligation de jouer le tout pour le tout. La ruse doit prépare l’action de la force. Il faut prévoir les réactions du commandement ennemi, ses hésitations, ses erreurs. Il faut déterminer le moment exact des interventions successives. Lorsque l’étonnante manœuvre de l’aile droite a réussi, lorsque l’adversaire s’est laissé prendre au piège, quand les divisions lancées par Soult émergent sur le plateau de Pratzen au-dessus de la rivière, dans un soleil matinal de décembre (le soleil d’Austerlitz), c’est l’esprit qui a triomphé. L’analyse cartésienne, l’analyse française a vaincu les prétentions de la masse, la confusion de la synthèse. Ai-je tort ? Je discerne dans cette œuvre combinée de la volonté et de l’intelligence les mêmes principes que dans un raisonnement fulgurant de Pascal ou dans l’impérieuse logique de Pasteur.

Voici - puisqu’il faut se restreindre-, une autre circonstance où Napoléon se trouve seul ou presque seul pour agir. Après le drame de Fontainebleau, abandonné de ses maréchaux, de sa famille, de ses domestiques, il s’est organisé à l’île d’Elbe une vie de médiocre, avec de rares fidèles, comme Cambronne et Bertrand, entre sa mère et Pauline. Que son calme et ses silences ne trompent pas ! Il a pris, contre toute vraisemblance, le parti d’aller reconquérir son trône et son fils. C’est le 26 février 1815 qu’il s’embarque avec un millier de soldats ; il s’est juré d’être à Paris le 20 mars ; il y sera. Le fidèle Cambronne conduit la petite avant-garde. Impossible de remonter la vallée du Rhône aux mains des royalistes ; on doit, en partant de l’Olivette d’Antibes, prendre les sentiers neigeux des Alpes où l’Empereur chemine à pied, un bâton à la main. En avant, Cambronne, en avant ! On se hausse sur les plateaux de Castellane pour échanger à Gap le petit fanion de l’île contre le drapeau tricolore. En avant ! Certains curieux, dont j’avoue être l’un, l’ont suivi sur cette piste écartée. Grenoble se rend à lui, malgré le bataillon de ligne envoyé pour le tuer. À Lyon, les troupes royales, sous le commandement du comte d’Artois et de Macdonald, sont massées pour lui barrer le passage. En avant ! Il entre dans la ville qui lui est restée fidèle, une branchette d’arbre à la main et les soldats l’acclament ; il y reforme son gouvernement ! Après quelques jours de halte, en avant ! Ney en peut résister à l’élan et le rejoint à Auxerre. Lorsqu’il pénètre dans la capitale, elle se rue sur lui et le porte aux Tuileries où il reprend contact avec ses anciens ministres comme s’il les avait quittés la veille, cependant, cependant que Mlle George fait acclamer aux Français les violettes dont sa robe est jonchée. Je pense ne pouvoir être accusé d’avoir manqué à mes invariables convictions républicaines parce que j’ai fait replacer la statue du revenant à ce dénié de Lyautey où il offrit sa poitrine au feu des troupes envoyées à sa poursuite. On n’est pas plus bonapartiste si l’on s’étonne devant Napoléon que l’on est royaliste parce que l’on chérit Jeanne d’Arc.

Et comme cette épopée est révélatrice des qualités profondes, de l’inépuisable générosité du peuple français ! Ce peuple français, il a terriblement souffert de la conscription, elle a envoyé sur les champs de bataille jusqu’à des enfants en blouses et en sabots. Napoléon a mis sous les armes plus de trois millions de Français sans compter les auxiliaires et les étrangers en nombre égal ; de ces Français, près de deux millions sont morts. Cependant, c’est le peuple qui, en 1815, heureux de retrouver la vieille et chère cocarde tricolore entraîne les soldats ; ce sont des paysans et des ouvriers qui entravent la défense royaliste, enfoncent la porte de Grenoble, démolissent les barricades à Lyon, provoquent à la rébellion les régiments réguliers, arrêtent l’artillerie destinée au comte d’Artois. « Le peuple, disait Napoléon, a des entrailles ».

Pour nous conter le dernier épisode, la captivité tragique de Sainte-Hélène, Octave Aubry a déployé le meilleur de sons effort et de son talent. Ce qu’il a vu au cours d’un voyage de trois mois, il sait nous le faire voir. Une muraille de basalte dressée sur la mer ; pas un arbre, pas un buisson ; à l’intérieur de l’île, seulement quelques vallées avec des pâturages et des ruisseaux cachés sous des voûtes de lis bleus ; une maison basse et grise, encadrée de gommiers ; un décor strié de lave brune et d’argile rouge, creusé de ravins, dominé par des cimes abruptes, coiffé de nuages ; des buissons hérissés d’aloès et de cactus ; rien pour rappeler la France. Si ce n’est au hasard des pentes, quelques bouquets d’oliviers ou de chênes verts. Au début, dans la première surprise de l’arrivée, délivré de la prison encore plus étroite qu’est un vaisseau, Napoléon plaisante. « C’est Paul et Virginie », dit-il. Il ne tardera pas à connaître ce supplice raffiné : l’affreux désœuvrement de la captivité. On songe à Prométhée, à la malédiction qui l’accable. « Toujours, dit le poète grec, tu verras la nuit dérober la lumière sous son manteau d’étoiles, le soleil, à son tour, fondre le givre de l’aurore, sans que la douleur d’un mal toujours présent cesse jamais de te dévorer car nul libérateur n’est encore né pour toi. » Ravagé par l’ennui et par la plaie qui ronge ses entrailles, il ne verra même pas voler jusqu’à lui la troupe ailée et bienveillante des Océanides.

À l’heure du suprême départ, il est seul ou presque seul, loin de Marie-Louise qui le trahit bassement, privé d’un fils adoré, sans lettres, sans nouvelles. Réduit à quelques dévouements subalternes dont les plus sincères sont les plus humbles, mal soigné par des médecins incapables même de déterminer une maladie qu’il a, seul, discernée, généralement silencieux, il puise dans sa force d’âme les ressources nécessaires pour écrire son testament, entre deux lectures qu’on lui fait de l’Iliade, pour préciser ce qu’il entend laisser à chacun de ceux qui l’ont aimé et, faisant face à la mort qui, chaque jour, avance d’un pas vers lui, il prescrit le devoir qu’il impose à ses fidèles : « Servir l’intérêt de la France et la gloire de la patrie ». Une minutieuse volonté d’écrire domine ses derniers instants. Il résume sa vie en quelques phrases qui correspondent bien au jugement porté sur lui par Octave Aubry : « J’ai sauvé la Révolution qui périssait : je l’ai lavée de ses crimes : je l’ai montrée au monde resplendissante de gloire ; j’ai implanté en France un monde de nouvelles idées ; elles ne sauraient rétrograder ». On a souvent cité la phrase par laquelle il demande à être inhumé dans Paris. Une note de Bertrand, révélée il y a quelques années, précise qu’il souhaitait non pas les Invalides, mais le cimetière du Père Lachaise, entre Lefebvre et Masséna. Pour sa sépulture immédiate, il demandait la vallée du Géranium. On l’y porta.

Le musée de la Malmaison conserve une lithographie éditée d’après un croquis du sous-officier Fielding, attaché à la garnison de Sainte-Hélène. À part la troupe anglaise, l’humble cortège n’est formé que par les compagnons de l’infortune. La comtesse Bertrand, dans une modeste calèche, suit le char funèbre - un vrai corbillard des pauvres - tandis que son fils, un enfant de huit ans, derrière le prêtre, porte le bénitier. Combien elle est plus émouvante cette image que la pompe officielle de 1840, provoquée par des arrière-pensées politiques, même si sa description se drape dans la prose éblouissante de Victor Hugo ! Les cérémonies en l’honneur des grands morts ne sont trop souvent organisées que dans l’intérêt des vivants.

À la lumière du premier Empire, le second apparaît comme une caricature. Non que l’on doive, même cette fois, céder aux passions, à certaines colères que nous avons aujourd’hui de comprendre. Napoléon mourant avait recommandé à son fils de ne pas « singer » sa propre histoire. Le conseil était bon pour celui dont le règne commence avec un parjure, s’achève sur un désastre et offre avec un régime récent trop de traits communs (réduction du pouvoir législatif, suppression de la liberté de la tribune et de la presse, absence  de contrôle financier, nomination de maires) pour que l’on ne craigne pas, en l’évoquant, de franchir les limites de l’histoire. Cependant, c’est ici que se rencontrent  les enseignements les plus pressants : comment un peuple perd ses libertés ; le lieu qui unit ces libertés et l’intégrité nationale.

Après avoir tracé, d’une main légère, le portrait de l’Impératrice et gravé, d’une pointe plus dure, celui de Marny, Octave Aubry entreprend de décrire, tour à tour, l’Empire autoritaire et l’Empire libéral. Dans le temps du plus sévère despotisme, l’Académie Française devient l’asile de la pensée indépendante. Guizot reçoit Montalembert et Salvandy, et accueille Berryer qui refuse de faire au Chef de l’État la visite de tradition. Entrant dans cette Compagnie en 1856, le duc de Broglie célèbre la nécessité de la stricte probité dans la vie publique, condamne la violation du « sanctuaire des lois » et le règne « de l’or, du luxe et du repos ». Le duc de Noailles proteste contre la création, à l’Académie des Sciences Morales, d’une section à la nomination du souverain. L’entourage de l’Empereur veut supprimer le foyer de la liberté intellectuelle française mais lui-même, il n’ose pas.

On s’étonne qu’ayant rapporté ces faits, cité de nombreux textes de Napoléon III où se mesure toute la distance entre le lieu commun et l’idée personnelle ; après avoir jugé, avec une équitable sévérité, les aventures de Crimée et du Mexique, analysé l’affaire italienne en ce qu’elle a d’incomplet et d’incohérent, montré que la thèse des nationalités devait avoir pour résultat l’unité de l’Allemagne et le démembrement de la France, Octave Aubry émette sur l’équivoque Empereur ce jugement : « Il n’est pas impossible que, plus tard, lorsque l’Histoire sera vraiment sereine, elle le place plus haut, beaucoup plus haut qu’un Bismarck. » Selon Aubry, Napoléon III, mauvais Français peut-être, n’a pas cessé d’être un grand Européen. On voudrait en discuter avec l’auteur de tant de bons livres d’un sens national si sûr. On voudrait interroger cet excellent interprète de notre passé.

Pa malheur, il n’est plus là pour nous répondre. Octave Aubry rédige ainsi l’une de ses dédicaces, la dernière peut-être : « À ma vieille maman, partie sans que je l’aie revue. » C’est à notre mère commune, la France, que toute son œuvre demeure consacrée. En le quittant lui-même, avec cette peine qu’inspire une belle carrière mutilée, on le remercie de nous avoir, écrivain national et républicain, enseigné à mieux connaître et comprendre ce pays incomparable, à la fois puissant et fragile, rebelle parfois aux actes faciles, mais toujours prêt aux actes difficiles, que l’appel à l’héroïsme, après 1940 comme en 1813, secoue jusqu’en ses profondeurs, qui mérite parfois le reproche d’insouciance jadis adressé à ses compatriotes par Périclès du haut du tertre de Céramique mais qui, aux heures critiques, accepte la subordination de tous les intérêts et de toutes les opinions au devoir envers la patrie et qui, désormais, encore enveloppé de péril, doit, fidèle à l’esprit dont il a reçu sa vraie grandeur, tout en travaillant à relever la condition populaire, tendre sans cesse à créer des élites, demeurer fort pour être apte à se montrer bon et juste, sauvegarder, malgré l’oppression de certaines nécessités, le droit et la liberté, c’est-à-dire les fondations mêmes de la civilisation humaine puisque notre rôle est plus que jamais, de défendre dans le monde l’esprit de qualité contre l’esprit de quantité. Cette France meurtrie si souvent dans le passé, mais toujours renaissante, nous savons gré à Octave Aubry de nous avoir donné des raisons nouvelles de l’admirer et de l’aimer.