Bric-à-bracadémie

Le 7 juillet 2017

Marc LAMBRON

bloc-notes des mois de juillet-août 2017

 

Ce n’est pas l’Académie française qui fera baisser l’âge de la retraite, car l’on s’y engage au contraire pour faire du rab’, comme disent les militaires, jusqu’à extinction des feux. Ainsi notre doyen, René de Obaldia, quatre-vingt-dix-huit ans, n’a pas encore demandé la liquidation de ses annuités. Cela n’empêche pas les spécialistes des segments de marché, comme l’on dit, de tourner au-dessus de nos têtes comme des vautours dans un western-spaghetti. Ainsi, sans avoir demandé à en être le destinataire, je reçois chaque mois le catalogue de « L’Homme moderne ». Il s’agit d’une centrale de vente pour citoyens mûrissants adonnés au jardinage et au vélo d’appartement. Elle propose à des prix modérés des objets domestiques et des pièces d’habillement, d’une inventivité baroque digne du concours Lépine autant que des lazzi des bobos.

On y trouve ce qu’il faut de ceintures lombaires, de tue-mouches adhésifs, de friteuses diététiques. Dans la dernière livraison, je relève avec intérêt l’existence d’un angelot de jardin en polyrésine, fournissant aux heures nocturnes un halo de lumière à partir de ses capteurs solaires. Rôtisserie rotative, aspirateur cyclonique ou perceuse-visseuse à percussion sont de tièdes classiques à côté des nains de jardin siffleurs, du chasse-passereaux à ondes haute-fréquence, ou du fauteuil massant avec repose-pieds branché sur secteur. Je confesse une certaine fascination pour le cric fonctionnant sur allume-cigare (cordon fourni), le portefeuille holographique à micro-cristaux ou le ramasse-boules magnétique pour joueurs de pétanque. Tout cela dessine un avenir pour des gens qui ont un passé. Il est assez remarquable que, à ma connaissance, aucun des membres de l’Institut, à part les persécutés de mon genre, n’est considéré comme une cible par « L’Homme moderne ». Est-ce un repaire d’anti-modernes ? Sont-ils réticents aux nains de jardins siffleurs ou aux ramasse-boules magnétiques ?

Il faut plutôt croire qu’un des effets de l’immortalité, c’est de dispenser ses desservants de toute prothèse superflue : une seule séance du Dictionnaire de l’Académie française dépasse en intensité les trémulations de la rôtisserie portative, de l’aspirateur cyclonique ou de la perceuse-visseuse à percussion. Ainsi allons-nous, abeilles vibrantes du langage, lexicologues à haut voltage. L’Académie française est faite de multiprises où se branchent quarante luminaires : nos fauteuils massants, dépourvus de repose-pieds, ne stimulent que des méninges. En les frottant comme des silex, on obtient de l’électricité.