Panégyrique du Roi

Le 25 août 1673

Paul TALLEMANT le Jeune

PANÉGYRIQUE du Roi prononcé le 25 Août 1673, par Mr l’Abbé TALLEMANT le jeune.

 

IL n’est pas juste, MESSIEURS, qu’en un jour de victoire comme celui-ci, l’Académie Française demeure dans le silence ; aurait-elle bonne grâce à demeurer oisive dans le temps qu’elle couronne l’Éloquence et la Poésie ? Laisserait-elle tout l’ouvrage aux autres, et y a-t-il apparence qu’elle se taise, quand elle anime tout le monde à parler. C’est sur nous que tombe l’honneur éclatant d’être à l’abri du trône du plus grand des Rois ; ne vous semble-t-il pas, qu’il y ait quelque honte à laisser entièrement aux autres le soin de l’en remercier ? Tout le monde dit d’une commune voix, que les Muses sont entrées avec nous dans cet auguste Palais ; sauvons-les, MESSIEURS, du reproche qu’on pourrait leur faire de s’être déjà abandonnées à la paresse, parce commencent d’être à leur aise ; et ne souffrons pas qu’on les accuse de s’être enorgueillies jusqu’à se reposer sur les autres des effets de leur reconnaissance. Prenons part s’il se peut aux triomphes d’aujourd’hui : les illustres Vainqueurs que nous couronnons, souffriront bien que nous cueillions aussi quelques lauriers ; et l’occasion que nous leur avons donnée de faire éclater leur zèle, et leur mérite, les obligera sans doute à nous laisser quelque part d’une gloire que ce partage ne peut diminuer. Souffrez donc, MESSIEURS, que je tâche en ce jour si célèbre de faire ce que le public attend de vous, et ce que cette illustre assemblée semble vous demander. Je laisse les sujets que ces Messieurs ont si heureusement traités, n’osant pas y mettre la main après eux. Tout est grand, tout est auguste dans le sujet que j’entreprends, puisque je prétends vous entretenir d’un Roi toujours juste, et toujours victorieux. Avouez seulement ma témérité : Les Muses attentives autour de moi soutiendront ma faiblesse. Je les vois déjà qui se présentent et les diverses couronnes qu’elles portent sur leurs têtes, m’inspirent déjà mille desseins différents. Réunissons, s’il se peut, tant de divers éloges ; Et puisque Louis a également paru admirable dans la guerre, et dans la paix, rappelons à ces deux états toutes les vertus qui brillent dans sa personne ; prudent dans les attaques, infatigable dans les veilles, terrible dans les combats, modéré dans la Victoire, toujours vaillant et toujours vainqueur : Tel est Louis dans la Guerre. Prodigue dans ses dons, superbe dans la structure de ses Palais, magnifique dans ses fêtes, aimable dans ses plaisirs juste juge des moindres différents de ses sujets, sévère pour le crime et l’insolence : Tel est Louis dans la Paix ; Et c’est dans ces deux états qui rassemblent toute la gloire d’un vrai Monarque, que je vais vous le montrer, si mon discours peut seconder le zèle qui m’anime aujourd’hui.

La Guerre est la plus forte passion des grands Princes, aussi il semble que c’est par elle qu’ils puissent principalement arriver à la gloire, puisque les Héros les plus renommés y sont parvenus par la valeur, la victoire et les conquêtes. Cependant Louis préférant le repos de toute la terre à l’amour qu’il avait pour la victoire et les combats, et étouffant en lui-même l’ardeur de se signaler, dont nous avons vu des effets si prompts et si étonnants, languissait, si je l’ose dire, dans une profonde paix, et pouvant tout vaincre et tout conquérir, se contentait de rendre la justice à ses sujets, de leur faire sentir le bonheur de son Règne et de leur faire goûter enfin toutes les douceurs d’une Paix tranquille. Que son courage a souffert de voir passer ainsi les premiers de ses beaux jours ! Combien de fois s’est-il plaint d’être trop redoutable ? Combien de fois a-t-il nommé, malheur, la crainte de ceux qui lui cédaient jusqu’à ses moindres prétentions ? Mais de quelle joie aussi ne fut-il point capable quand il put douter quelque temps que l’Espagne dût céder les droits de la Reine ? Quelle impétuosité fut égale à celle de son courage ? Cette ardeur gênée depuis si longtemps, produisit des effets incroyables. Les plus fortes villes ne résistèrent que trois jours, les Provinces entières furent réduites au bout de deux semaines, tout cède au Monarque ; tout obéît au Vainqueur. Arrêtez, Grand Roi, modérez votre ressentiment, toute l’Europe tremblante s’engage à vous satisfaire : Le croira-t-on, MESSIEURS ? tout prêt d’assujettir la Flandre entière, ayant un beau prétexte d’un premier refus pour poursuivre ses conquêtes, pouvant tout par la force et par sa valeur, Louis se contente encore de ses légitimes prétentions : Au milieu du chemin de la gloire qu’on trouve dans les combats, ce Grand Monarque arrête sa course, écoute la justice la plus sévère et content d’avoir vaincu, redonne même à ses Ennemis une partie de ses conquêtes. Faisiez-vous ainsi, fameux Conquérant de l’Asie, lors que dépouillant Darius ce Roi puissant et malheureux, vous refusâtes même pour satisfaire votre ambition, le partage d’un des plus grands Empires de la terre qu’il vous offrait, et où vous ne deviez rien prétendre. Apprenez que si notre Roi triomphant n’avait voulu comme vous que conquérir et vaincre ; dans l’état où il était, et dans la terreur que donnait le bruit de ses Armes ; après être parti de l’autre extrémité de l’Europe, on l’aurait vu plus jeune que vous encore au bord de l’Euphrate faire gémir votre ombre de la douleur de voir sur la terre un plus grand Conquérant que vous.

Plusieurs Rois puissants unis ensemble, effrayés par de si extraordinaires commencements, s’empressèrent pour apaiser Louis, ils admirèrent sa sagesse et sa modération, ils connurent par sa générosité que la Raison seule guidait ses Armes, puisque dès qu’on lui fit justice, il mit les Armes bas ; et ils calmèrent enfin la crainte qu’ils avoient de sa valeur, quand ils virent qu’il ne portait la Guerre qu’aux lieux où il devait légitimement commander. Ainsi la Paix fut presque aussitôt rappelée que bannie, et sans les injurieuses ingratitudes d’une République imprudente, sans doute que content de ces essais de valeur qui le rendaient déjà si redoutable, Louis n’aurait songé qu’à maintenir le plus florissant Royaume du monde. Mais que dis-je, MESSIEURS ? La Guerre a-t-elle rien troublé dans la France ? N’a-t-elle pas au contraire extrêmement contribué à sa gloire ? C’est sur vous, infortunée République, qu’est tombé tout le malheur de la guerre. Nos provinces sont dans le calme et le repos, les vôtres sont désolées, les Français y ont fait des preuves de valeur incroyables, vos soldats n’ont presque point montré de courage : Louis enfin y a acquis une gloire immortelle, et votre État y a perdu en peu de jours toute la gloire qui l’avait rendu recommandable pendant plusieurs siècles. Mais comment pourrai-je, MESSIEURS, vous bien raconter tant de sièges et de combats, plusieurs fortes villes prises ensemble en deux jours, de grands fleuves passés à la nage à la vue des ennemis, les Provinces soumises dans moins de temps qu’il n’en faut pour les parcourir ? Fière Hollande, quel était donc le fondement de cet orgueil qui vous faisait braver les Rois ? La lecture de vos Histoires vous avait sans doute donné cette confiance, et vous vous étiez crue invincible voyant alors votre État résister à toutes les forces de l’Espagne et de l’Empire : Mais vous deviez croire que les grandes actions de ces vaillants Princes qui conduisaient vos armées, et l’éclat de votre gloire passée, seraient plutôt un sujet de quelque émulation pour Louis, qu’une raison pour vous rassurer et pour l’empêcher de vaincre. Vous en avez fait la funeste expérience, quand en un mois vous vous êtes plus réduits à un petit espace de terre et à vous faire un rempart de l’Océan, puis que les plus fortes murailles et les plus profondes rivières n’empêchaient pas notre Roi d’aller jusqu’à vous.

Mais toutefois, MESSIEURS, j’ai tort d’insulter à la faiblesse de nos ennemis. Ils ne manquent ni de force ni de courage, et je m’étonne même qu’ils n’aient pas entièrement succombé, et qu’ils aient l’audace de résister encore. Comment s’opposer à la rapidité de Louis dans ses conquêtes ? Comment tromper sa vigilance ? Comment résister à sa valeur ? Voyez-le marcher à la tête de ses Armées, voyez le tourner ses pas vers la Hollande ; ne dirait-on pas que c’est le Maître du Monde qui se promène dans son Empire, et qui va châtier quelques insolents ? Il passe par les États de plusieurs Princes, il traverse des Villes et des Provinces sans presque s’enquérir si l’on veut souffrir son passage, et va droit aux lieux où est le siège de la révolte. Trente Villes bien fortifiées et bien munies se rendent à l’aspect du Vainqueur et ceux qui les gardent semblent n’y être demeurés que pour attendre leur Maître, et avoir l’honneur de le recevoir. Point de murs abattus, point de combats, le plus grand soin est de se soustraire à la colère du Prince, d’implorer sa clémence, et de se séparer des ingrats qu’il veut punir. Avouez, Grand Roi, que vous avez souvent rougi des conquêtes qui vous semblaient si faciles : vous avez eu honte de la faiblesse de vos ennemis, et vous avez cru plus d’une fois qu’il n’y avait pas assez de gloire pour vous à vaincre sans beaucoup de résistance. Mais souffrez que je vous fasse connaître toute 1a grandeur de votre destin. Un Conquérant comme vous ne trouve rien qui lui résiste, on n’attend jamais des Armées accoutumées à vaincre, on ne dispute point la victoire à des troupes qui passent les rivières à la nage, qui vont en arrivant se loger dans le fossé d’une place presque imprenable, et qui ne rencontrent point d’ennemis qu’elles ne poussent sans balancer. Les Villes n’étaient-elles pas remplies de fortes garnisons ? N’étaient-elles pas bien fortifiées et bien munies ? Vos ennemis n’avoient-ils pas des troupes et des Généraux ? Et n’est-il pas encore plus glorieux pour vous, que la crainte vous prépare en tous lieux la Victoire, que de l’acheter par le sang que vous ne répandez jamais qu’à regret. Avec ces Armées nombreuses et vaillantes conduites par un tel Capitaine que vous, choisissez, Grand Prince, où vous voulez régner. Ceux que vous attaquez, savent que vous résister c’est se perdre ; que vous céder c’est se rendre heureux ; Tout vous craint, tout vous aime ; Votre valeur soumet les superbes, votre bonté gagne tous les cœurs : Où trouverez-vous des Ennemis ? et la gloire n’est-elle pas plus grande de forcer tout à céder, que de ne rien acquérir que par la peine, et par le sang ?

Ce n’est pas, MESSIEURS, que nos Ennemis n’aient résisté plus d’une fois avec opiniâtreté, mais la promptitude et le nombre des Victoires en ont, pour ainsi dire, étouffé le souvenir : Zutphen, Nimègue, n’ont-ils pas tenu quelque temps ? N’avons-nous pas vu les bords du Rhin rougir de sang, et d’un sang même précieux, lors que tant de braves Guerriers se firent un chemin à travers les eaux pour entrer dans les pays les plus fertiles des Ennemis ? Mais enfin Louis n’a plus rien à désirer, il a trouvé dans le Siège fameux de Maastricht toute la résistance qu’il pouvait attendre ; et c’est là qu’il a pris plaisir à faire connaître qu’il possédait au souverain degré toutes les grandes qualités d’un Capitaine : Oui, MESSIEURS, il n’y a plus aucune sorte de gloire dont ce Grand Roi puisse être jaloux ; Maastricht en est le comble. Voyez avec quelle adresse il cache son dessein à ses ennemis : regardez toutes ses marches différentes, et avec quel ordre enfin il investit cette superbe Ville. Il retient l’ardeur accoutumée de ses soldats, et se retient lui-même pour laisser aux assiégés le temps et l’honneur de se défendre. Je m’imagine voir à cet important siège, tous les fameux Preneurs de Villes dont les Histoires nous racontent tant de belles choses ; Je m’imagine, dis-je, les voir tous attentifs autour du Roi, pour, le considérer dans cette action où il devait faire éclater son expérience dans le véritable art de la guerre : Quelle confusion n’ont-ils point eue de voir sa prudence à régler seul les attaques, et son courage à les appuyer et les soutenir ? Ils ont admiré sa vigueur dans les veilles, et dans les fatigues, et sa capacité dans l’ordre du siège, et dans les travaux qu’il ordonnait, mais sur tout ils l’ont vu avec étonnement dépouiller une partie de sa Majesté, et de sa Grandeur, pour prendre la douceur, et la familiarité d’un General, et d’un Capitaine. Quelle consolation pour ceux qui mouraient à son service, d’être loués et regrettés d’un si Grand Prince, et d’attirer en mourant quelques-uns de ses regards ! Quelle joie pour ceux qu’on remportait blessez, de trouver en passant les yeux de leur Maître, de recevoir des éloges de sa bouche, et de ressentir les effets de sa libéralité ! Quelle douceur enfin pour ceux qui revenaient vainqueurs du combat, de se voir couronnés par les mains de Louis qui avait été le témoin et le compagnon de leurs actions de valeur, et qui daignait leur céder en même temps quelque partie de sa gloire. C’est ici MESSIEURS, que j’aurais un beau champ pour m’étendre sur la valeur de ce grand Monarque, si j’osais m’y abandonner ; mais j’aurais peur d’être désavoué de tous ses sujets, qui admirent en secret son courage, et blâment hautement le peu de soin qu’il a des jours qui leur sont si précieux. La crainte que nous avons que la louange ne semble l’autoriser encore à exposer une vie qui nous est si chère, retient les transports de notre joie, et nous empêche de donner à sa valeur les éloges qui lui sont dus. Qu’il me tarde MESSIEURS, de le voir à l’ombre des Lauriers qu’il cueille avec tant de péril pour lui, et tant de crainte pour nous ! Que j’aurais de joie de le voir avec tant de gloire échappé à tous les dangers qui nous font trembler ! C’est alors que je prendrais plaisir à vous le montrer commandant les assauts en personne, visitant lui-même toutes les Gardes, ordonnant de près tous les travaux, et l’esprit aussi présent au milieu du péril que dans la plus profonde Paix. Retirez-vous, Germains, n’avancez point, troupes Impériales, ne venez point irriter encore la valeur de Louis, et ne donnez point à son courage un jure prétexte pour vous perdre, et pour ranger vos États sous ses Lois ; Laissez venir des ingrats implorer la clémence de leur bienfaiteur : laissez leur le moment favorable qui peut empêcher leur ruine entière : La plupart des Provinces sont déjà soumises, les plus fortes Villes sont rendues, Louis épargne le reste par générosité et parce que cette République semble vouloir se reconnaître ; au lieu de rallumer le courroux du Roi, Germains, briguez son alliance, et travaillez à la Paix. Il nous tarde aussi-bien de revoir ce grand Roi couronné des mains de la Victoire, loin de tous les périls se redonner tout entier à ses sujets et nous avons impatience de jouir en repos de toute la gloire que ses conquêtes font rejaillir jusques sur nous. Ce fameux Héros ne perdra rien de son éclat dans la paix, et après avoir acquis une si belle réputation dans les combats par la rapidité de ses progrès, il retrouvera encore de nouveaux triomphes dans les exercices de la paix, puisqu’elle a été le commencement de sa gloire, et que sa conduite dans l’art de régner dès ses plus jeunes ans rendu si redoutable à toute la terre.

Après ces merveilleuses actions de la Guerre, il semblera peut-être que les doux emplois de la Paix doivent avoir peu d’éclat. Quand je songe toutefois que les Histoires nous montrent plusieurs Vainqueurs, et plusieurs Conquérants, et que dans toute l’Antiquité il ne s’est trouvé qu’un seul homme qui se soit rendu fameux par une longue Paix ; j’ose dire, que si Louis a beaucoup de gloire à surpasser tous les plus grands Capitaines dans le métier de la Guerre, il n’en a pas eu moins à rappeler, et même effacer par sa glorieuse manière de régner dans la Paix, la mémoire du siècle d’Auguste. La justice du Ciel a bien paru dans le malheur de la Hollande, qui par son imprudence et son ingratitude était venue arracher Louis à la plus heureuse Paix que l’Europe eût jamais vue. En effet, MESSIEURS, a-t-on jamais vu un Roi gouverner avec tant de sagesse, et s’appliquer avec plus de soin au repos de ses sujets. On compterait les jours par autant d’actions ou de bonté, ou de libéralité, ou de justice. La même fatigue que Louis se donne pendant la guerre pour vaincre ses ennemis, il se la donnait pendant la paix dans son Cabinet à travailler à notre repos. Que de biens nous ont produit ces heureuses délibérations qui occupaient presque toutes ses Journées ! La fureur des Duels éteinte, a remis le calme dans les familles ; les voleurs détruits ont rassuré le public ; la justice reformée a banni la chicane ; le commerce établi, nous a apporté les richesses et l’hommage de toutes les nations ; les diverses manufactures de tous les Arts ont conservé chez nous l’abondance. Où sont les méchants que Louis n’a point punis ? Où sont les malheureux qu’il n’a point protégés ? Quelle injuste autorité n’a-t-il point réprimée ? Quelle faiblesse n’a-t-il point secourue ? Outre tant de biens sensibles, combien d’avantages agréables avons-nous reçus de sa main libérale ? Tous nos rivages embellis, ces bâtiments d’une structure immortelle, ces jardins délicieux, toutes ces Académies différentes où tous les beaux-arts cultivés avec étude, se sont élevés à la dernière perfection.

Pour mieux juger de tant de belles choses, il faudrait se mettre en la place de quelque Français, que la curiosité aurait tiré de la France depuis quelques années, pour visiter, l’Europe, les Indes, et tout ce qu’il y a de plus rare dans le monde. Il aurait laissé la Capitale de ce Royaume une vraie retraite de brigands, et la plus sale de toutes les villes ; les maisons du Roi incultes, et presque inhabitables ; aurait laissé les finances entre les mains de quelques particuliers élevés en deux jours de la poussière ; il aurait quitté nos ports dégarnis de vaisseaux hormis de quelques Étrangers qui nous enlevaient toutes nos richesses, nous apportaient des marchandises inutiles ; il aurait enfin laissé le désordre, l’ignorance, la barbarie à l’égard des plus beaux-arts, et peut-être aurait-il alors quitté nos rivages avec quelque plaisir. Quel changement à son retour ! Il trouve nos ports presque inaccessibles par le nombre des grands vaisseaux de guerre ; Il trouve des magasins prodigieux, les rivages de la mer embellis par de fortes citadelles et par des bâtiments superbes pour la construction des vaisseaux ; Il y voit des navires de toutes les parties du monde, un nombre infini de Matelots et de Pilotes déjà savants dans l’art de naviguer, même pour les voyages de long cours : Quel étonnement pour lui quand il avance dans la France ; il trouve les chemins élargis et rendus beaux en toute saison ; il a peine encore à se désaccoutumer de la crainte des brigands qui occupaient tous les chemins ; il est étonné de marcher seul à toute heure, et de ne trouver par tout que le repos et l’abondance ; mais enfin, quel enchantement pour lui d’arriver en ces lieux ! Il méconnaît entièrement une ville qui n’a rien de ce qu’il lui avait laissé, il la trouve nette, il ne trouve que de grandes et belles rues, la nuit y est aussi seule et aussi brillante que le jour, et sa tranquillité n’est plus interrompue de cris et de plaintes comme autrefois : Quelle surprise pour lui de voir le Palais superbe des Rois presque achevé, cette façade du Louvre, l’attente de tout le monde depuis si longtemps, ornée d’un nombre infini de superbes colonnes ; ces autres monuments admirables qu’on élève à la gloire du Roi, et de se promener dans ces jardins enchantez, remplis de plantes et de fleurs les plus rares, et dressés avec un art jusqu’ici inconnu aux hommes. Mais tout cela doit céder encore à l’étonnement que lui cause le soudain progrès de tous les Arts. Il voit les Architectes, les Peintres, les Sculpteurs en peu d’années rendus aussi habiles que les plus fameux de l’Antiquité : Il voit dans Paris tout ce qu’il y a de plus riche et de plus précieux dans le monde sorti des mains seules de nos artisans : Qu’il suive sa route jusqu’à Versailles, c’est là qu’il voit rassemblé tout ce que l’art humain peut inventer de plus admirable, mille fontaines dont la source semble être une mer entière, mille statues d’un prix inestimable, les peintures les plus exquises, les marbres les plus précieux, les meubles les plus riches, et tout ce qui se peut imaginer enfin de plus beau et de plus rare. Mais après avoir considéré tant de belles choses, qu’il fasse réflexion sur le changement qui est arrivé dans les esprits. Il voit la modération qui a pris la place du luxe et de la licence ; il voit les puissants sans orgueil, les peuples sans insolence ; il voit les plus dignes dans les premières places, les plus sages dans les Prélatures, les plus justes dans les Tribunaux ; il voit enfin le mérite reconnu et couronné. Ce sont là, MESSIEURS, les véritables fruits de la paix, dont nous jouissons depuis plusieurs années. Jetez les yeux sur l’Auteur de tant de biens, et vous verrez qu’en lui tout est conforme aux avantages qu’il procure à ses sujets. Il sied bien au plus modéré de tous les hommes d’inspirer la modération aux autres ; il sied bien au plus puissant des Rois, qui n’est fier que pour ses ennemis, de réprimer l’orgueil des puissants et des riches ; et le plus sage des mortels enfin a bonne grâce à aimer et récompenser les sages et punir les méchants.

Je n’ai garde ici, MESSIEURS, d’oublier les bienfaits dont Louis a comblé les Savants, et surtout la protection auguste dont il nous a honorés. On a vu des Rois et des Empereurs caresser les gens de lettres, mais Louis est le seul dont la libéralité se soit étendue sur tous les Savants en général. Ses bienfaits les ont cherchés jusqu’aux pays les plus éloignés : il a récompensé la vertu qui était cachée dans les ombres d’une nuit presque continuelle et ses propres Palais sont aujourd’hui la retraite de toutes les Muses. Dans l’un la Peinture et la Sculpture font triompher leur Art avec magnificence. C’est là qu’on a rendu à ces deux sœurs l’éclat qu’elles avaient perdu par le peu d’estime qu’on avait pour elles, et c’est là que de simples artisanes qu’elles étaient devenues, elles ont repris le nom glorieux de Muses, puis qu’elles raisonnent sur les matières, et que l’esprit et le jugement conduisent les mains qui n’étaient guidées que par quelque heureux naturel. Écoutez en ce même lieu les savantes leçons d’Architecture ; qui vont désormais dans la France produire autant de Palais que de maisons. Venez entendre d’un autre côté des concerts mélodieux, et vous verrez triompher la Musique, avec tout ce qu’elle a de plus brillant, les spectacles pompeux, les danses ingénieuses et les machines surprenantes. Les sciences les plus profondes ont aussi leur place dans la maison d’un si grand Roi. Les Astronomes y font les observations les plus curieuses ; les Physiciens les expériences les plus utiles, et c’est là qu’on voit de nouveaux Archimède, dont l’étude et l’application seront l’étonnement de nos neveux. Mais parmi tant d’éclat enfin, avouez, fameuses Académies, que nos avantages sont encore plus grands que les vôtres. Souffrez que la protection du plus grand des Rois nous donne aujourd’hui quelque vanité. Permettez-nous de croire que Louis, daigne nous aimer encore plus que vous, puisqu’il nous appelle dans sa propre demeure, puisque nous sommes plus près de sa personne, et puisque, si nous l’osons dire, enfin il est de notre Corps, et le premier d’entre nous. Comme Roi il protège tous les beaux-arts, parce qu’il les aime, et que sa libéralité leur donne le moyen de s’accroître ; mais ce n’est point seulement en qualité de Roi qu’il est Protecteur de l’Académie. Comme c’est principalement à la pureté de la Langue que s’applique cette Compagnie, l’Éloquence naturelle de Louis, l’heureuse facilité qu’il a à s’expliquer, le Choix et la pureté des paroles, dont il se sert, et ce charme inexplicable qu’il répand dans toutes les choses qu’il dit, l’ont fait à juste titre Protecteur de l’Académie. Il nous a fait un honneur et une grâce extrême d’accepter cette qualité, mais quand il l’aurait dédaignée, il eût toujours été vrai qu’il en eût été le plus digne ; et ce n’est pas la moindre gloire qui brille dans sa personne, que la gloire de bien parler, qui le rend le premier d’entre nous, comme toutes ses autres grandes qualités le rendent le premier d’entre les autres hommes. En vérité, MESSIEURS, quand je songe à tous ces heureux avantages qui nous étaient donnez par la paix, j’ai bien de la peine à m’abstenir de souhaiter son retour, et ne puis m’empêcher de murmurer contre la folle audace de cette République, qui est venue partager avec nous les soins de notre Prince, nous ravir son aimable présence, nous alarmer par la crainte de le perdre, mêler dans son âme des désirs de vengeance avec l’amour de ses sujets, qui occupait seul ses pensées, et qui est venue enfin pour se ruiner et montrer sa faiblesse, troubler notre repos, et surprendre les grands desseins de notre Roi, pour l’augmentation de notre gloire et de notre félicité.

Il est temps, Prince généreux, d’arrêter le cours de vos Victoires. Vos ennemis sont trop faibles pour mériter votre courroux : leurs Alliés jaloux de votre grandeur, n’osent même les secourir ; des Rois moins patients et moins modérés que vous, pouvant ce que vous pouvez, les compteraient déjà au nombre de leurs sujets. Monarque glorieux, regardez-les tous comme vos esclaves, puisqu’il ne vous faut qu’une campagne pour les soumettre ; mais redonnez à l’Europe une profonde Paix. La peur de vous avoir pour ennemi la rendra générale, et tiendra tous les États dans une parfaite union. C’est ainsi qu’Auguste, devenu le Maître du monde dès ses plus jeunes ans, donna la Paix à l’Univers ; mais une Paix si heureuse, que la renommée en dure encore aujourd’hui, et sert de modèle pour le temps le plus fortuné de toute l’Antiquité. Grand Roi, vainqueur tant de fois, Monarque du plus florissant et du plus beau Royaume du monde, quittez les armes qui ne trouveront plus où s’occuper : revenez au cœur de vos États jouir de tous les biens qui vous sont réservés. Que pouvez-vous désirer ? Vos trésors sont immenses, vos sujets vous adorent ; quelle gloire demandez-vous ? Vous avez tout vaincu par la guerre, vous avez tout charmé dans la Paix ; revenez vous redonner à vos peuples, venez attendre sur votre trône l’hommage de toutes les Nations. Riche et sage comme Salomon, vous serez l’Arbitre de tous les différends, et la curiosité de voir un si grand Prince, amènera sur nos terres les Rois les plus éloignez. Généreux et bon comme Auguste, vous, verrez grossir votre Cour des plus puissants Princes de l’Univers, et les Savants comblés de vos bienfaits, marqueront votre siècle comme le siècle de la félicité.

Il semble, MESSIEURS, que le ciel veuille exaucer nos vœux, et que tout se dispose à apaiser la juste colère de Louis. Songez donc par avance à préparer les plus beaux traits de l’Eloquence et de la Poésie. Une longue Paix vous fournira du loisir pour parler de toutes ses victoires, dont le nombre vous accable aujourd’hui : dans ce Palais si près de son trône, vous trouverez tous les jours de nouveaux sujets de l’admirer et de le louer. J’ai commencé MESSIEURS, parce que j’aurais eu trop de désavantage à parler après tant de rares génies qui me surpassent de si loin dans l’Art de bien dire. Mon zèle a été assez heureux de prévenir les Ouvrages fameux qui vont naître de vos veilles, et je ne prétends tirer d’autre gloire de mon Discours, que celle de vous avoir marqué une partie des belles actions de ce Monarque invincible, auxquelles votre Éloquence donnera toutes les couleurs qui sont nécessaires pour ne rien diminuer de leur grandeur et de leur éclat.