Réponse au discours de réception de Jacques Hardion

Le 28 septembre 1730

Jean-Baptiste de MIRABAUD

REPONSE

De Monfieur MIRABEAU, Chancelier de l’Académie Françoife, au Difcours prononcé par M. HARDION.

 

MONSIEUR,

Lorfque nous reçûmes parmi nous l’illuftre Prélat dont vous allez occuper la place, nous ne croyons pas être menacés du trifte foin de lui nommer fi-tôt un Succeffeur. Son âge encore peu avancé, fembloit nous promettre que nous le pofféderions plus long-tems : fon mérite nous eût fait fouhaiter de ne le perdre jamais. Ce fut l’année derniere feulement, qu’il vint prendre féance au lieu où vous êtes, & la mort vient de nous l’enlever ; c’eft une circonftance qui doit encore augmenter nos regrets.

Né avec tous les avantages de l’efprit, M. l’Évêque d’Angers avoit annoncé de bonne heure ce qu’il feroit un jour : il n’a point trompé les efpérances, qu’avoit données fa jeuneffe. De plufieurs talens qu’il avoit reçus de la nature, l’éloquence fut le feul qu’il daigna cultiver : appellé au miniftere des Autels, deftiné à remplir une grande place dans l’Eglife, il jugea que le talent le plus utile à l’inftruction des Peuples, devoit être le feul digne de fes foins. Un caractere bienfaifant, un commerce aimable, des mœurs pures & douces fecondoient en lui la beauté du difcours ; il achevoit par fa douceur de gagner à la vérité ceux que la force de fes raifons avoient ébranlés.

Dans ces jours confacrés à la mémoire des Héros, où par le récit de leurs vertus, on tâche d’adoucir l’amertume que caufe leur perte ; on l’a vû plus d’une fois répandre fur leurs tombeaux ces fleurs précieufes que fournit l’éloquence, & dont la Religion permet qu’on les décore : furprendre & toucher en même tems fes Auditeurs ; leur donner de l’admiration pour ceux dont il faifoit l’éloge ; & leur infpirer, en Orateur Chrétien, le defir de les imiter.

Mais ce fut au Couronnement de l’augufte Prince qui nous gouverne, qu’on vit fur-tout briller en lui le grand art qu’il poffédoit fi bien. Ce jour marqué par la magnificence du fpectacle, & plus encore par l’allégreffe des François, le fut auffi par la gloire qu’acquit M. l’Evêque d’Angers. Dans cette occafion d’éclat, il fit un difcours, dont la beauté ajouta en quelque forte un nouveau luftre à la cérémonie la plus pompeufe du regne de nos Rois.

Son exactitude à remplir fes devoirs ; fon amour pour le troupeau que le Ciel lui avoit confié, la répugnance qu’il avoit à s’en éloigner, ont été caufe que nous l’avons poffédé plus tard. Lorfqu’il fouhaita d’être reçû dans cette Compagnie, il y avoit déja long-tems qu’il s’étoit acquis par fon éloquence, une réputation qui le diftinguoit dans l’Epifcopat ; & qui le mettant au rang des plus célébres Orateurs, nous le fera toujours regarder comme un de nos plus illuftres Confreres.

Vous avez peut-être crû, MONSIEUR, que pour fuccéder à un Académicien, qui s’étoit diftingué par fes talens, il falloit avoir un mérite du même genre à peu près que le fien. Cette penfée, quoique démentie par nos ufages, ne laiffe pas de fe préfenter ordinairement à l’efprit : elle y prévient la réflexion ; & fur un efprit auffi peu préfomptueux que le vôtre, elle a pû faire une impreffion forte. Votre réputation établie dans la Littérature : votre érudition reconnue du Public ; tant de preuves que vous avez données, & d’une connoiffance exacte de notre Langue, & d’une parfaite intelligence des Langues fçavantes, devoient vous paraître un titre fuffifant pour être admis parmi nous. Il a fallu cependant que vos amis vous ayent repréfenté, qu’ils ayent même fait valoir les raifons que vous aviez d’y prétendre ; & pour vous procurer une place dont vous étiez digne, votre modeftie a été le premier obltacle qu’ils ont eu à furmonter.

Les ouvrages qui flattent le fentiment, qui intereffent le cœur, & qui, loin de fatiguer l’efprit, ne lui caufent qu’un mouvement doux & agréable, font ordinairement ceux qu’on lit le plus : étant à la portée de tout le monde, il n’y a prefque perfonne qui ne fe livre à l’attrait du plaifir qu’ils promettent.

Il n’en eft pas de même des ouvrages qui font faits pour inftruire. Ces derniers ne difent rien au cœur : ils ne parlent qu’à l’efprit ; & ils lui parlent, moins pour l’amufer que pour l’éclairer : c’en elt affez pour les faire prefque toujours moins rechercher que les autres. Peu touchés de l’inftruction, peu empreffés d’acquérir des connoiffances, que fouvent le feul défaut de courage fait regarder comme indifférentes, la plupart des Lecteurs préférent ce qui les amufe à ce qui les inftruit.

Mais lorfque dans un ouvrage inftructif l’Auteur a parfaitement rempli fon projet ; lorfqu’aux faits bien difcutés & arrangés avec art, il a fçû joindre l’élégance & la pureté du ftile ; lorfqu’il n’a point négligé d’employer les ornemens dont fa matiére étoit fufceptible ; lorfqu’en un mot, il a tenu au-delà de ce qu’il fembloit promettre: de quels éloges alors n’eft-il point digne ? il en mérite d’autant plus, que pour réuffir il avoit plus de difficultés à vaincre. Si de pareils ouvrages ont moins de Lecteurs que les ouvrages de pur agrément, ce font du moins de ces Lecteurs choifis, qui par le poids de leurs fuffrages, dédommagent toujours de leur petit nombre.

Tels font, MONSIEUR, les fçavantes differtations que vous avez données au Public. Elles font connues de tous ceux qui ont quelque curiofité dans l’efprit, & que l’amour du frivole ne détermine point dans la lecture. Une grande connoiffance de l’antiquité s’y trouve jointe à beaucoup de difcernement pour la critique, & de goût pour la littérature. L’érudition y eft toujours foutenue de réflexions inftructives, & amenées par le fujet : toujours ornée de l’élégance du ftile & de la politeffe du difcours. C’eft ce qui les a fait généralement applaudir de tous ceux qui les ont lûes ; & c’eft, MONSIEUR, à cet applaudiffement général que vous devez notre choix : voilà ce qui nous a fait fouhaiter de partager avec l’Académie des Belles Lettres, l’avantage qu’elle avoit depuis fi long-tems de vous poffeder feule.

Il ne falloit pas moins de connoiffances & de goût, pour s’acquitter auffi dignement que vous le faites, de l’emploi dont vous êtes chargé. C’eft à vous, MONSIEUR, qu’eft confié ce nombre de Livres choifis qui font deftinés au plus noble des ufages, puifqu’ils le font à l’inftruction du Roi. Dans le lieu qui les renferme, cet augufte Prince vient fouvent paffer d’utiles heures qu’il dérobe aux amufenens permis à fon âge. Ce tréfor de Littérature offre à fes yeux les ouvrages les plus propres à orner fon efprit, à former fon cœur, à élever fes fentimens. Le grand homme qui a pris foin de fon enfance, & qui ne ceffe de lui marquer fon zele, n’a rien oublié pour enrichir ce précieux recueil, de tout ce qui pouvoit inftruire fon Maître, & en faire de plus en plus un honnête homme & un grand Roi. Puiffent les falutaires maximes qu’il lui a toujours infpirées, ne s’effacer jamais de fon cœur : nous ne ferons point de vœux, dont le fuccès fois plus capable d’affurer notre bonheur & fa gloire.