Le rôle des fondations dans le développement de la recherche scientifique. Allocution prononcée à l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Le 22 mai 2015

Gabriel de BROGLIE

Les principales fondations de l’Institut de France intervenant dans le domaine des sciences humaines et sociales

Allocution de M. Gabriel de BROGLIE,
chancelier de l’Institut de France

Séance thématique : « Le rôle des fondations dans le développement de la recherche scientifique »

Académie des inscriptions et belles-lettres ‒ Fondation Balzan
Grande salle des séances, vendredi 22 mai à 15h30

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Je me réjouis d’être parmi vous, invité de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, par son secrétaire perpétuel, à l’occasion de cette séance consacrée à un thème qui intéresse l’Institut de France, dans son histoire comme dans ses évolutions les plus récentes.

Le titre de cette séance « le rôle des fondations dans le développement de la recherche scientifique » interroge les acteurs de la philanthropie sur les moyens dont ils disposent à la fois pour encourager la connaissance et son partage, et pour changer la réalité sociale sur le terrain.

Ce sujet n’est pas étranger à la Fondation internationale Prix Balzan, dont les récompenses dans ce domaine ont fait en partie sa réputation, ni à l’Académie des inscriptions et belles lettres qui remet de nombreux prix en soutien de cette cause. Depuis deux siècles, l’Institut de France a reçu la mission de contribuer au perfectionnement des arts, des sciences et des lettres et de distinguer dans le même mouvement les œuvres et les travaux qui les illustrent de façon exemplaire.

 

Pour vous présenter « les principales fondations de l’Institut de France dans le domaine des sciences humaines et sociales », j’évoquerai dans un premier temps le fondement de l’intervention de l’Institut de France à travers les fondations qu’il abrite, avant d’en présenter les différentes missions puis leurs principaux moyens d’action.

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Sur le principe d’abord, les fondations abritées à l’Institut de France sont de fondation si j’ose dire, font partie de sa tradition depuis l’origine.

Le principe de la fondation abritée est une tradition plus générale et plus ancienne qu’on ne croit dans la conception du mécénat en France. A l’échelon local, les particuliers ont toujours créé, sans le savoir, des fondations abritées dans des communes, dans des hospices ou des maisons de retraite en les inscrivant dans leur testament comme organes abritants pour « fonder un lit ».

De la même manière, dans les textes les plus anciens, la vocation humanitaire, de bienfaisance est affirmée à côté des travaux savants et s’est ancrée dans la tradition académique.

Si l’on remonte aux académies royales, en contrepartie des privilèges qui leur étaient accordés, ces dernières se virent confier le soin non seulement d’encourager, au moyen de prix et de récompenses, les sciences, les arts et les lettres, autrement dit de consacrer l’excellence, mais aussi de cultiver et de répandre la philanthropie. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, du bien commun, de l’intérêt général auquel les académies devaient contribuer.

La philanthropie, cette seconde mission académique a été théorisée et reprise par les Conventionnels, Héritiers des Lumières, qui en ont investi le jeune Institut national dès sa création en 1795. Il devait, je les cite, « raccorder toutes les branches de l’instruction et leur imprimer la seule unité qui ne contriste pas le génie et qui n’en ralentisse pas l’essor […]. Des récompenses, ajoutaient-ils, seront également décernées aux inventions et découvertes utiles, aux succès distingués dans les arts, aux belles actions et à la pratique constante des vertus domestiques et sociales ».

Décerner des encouragements aux vertus est ainsi devenu l’une des actions traditionnelles de l’Institut dans le domaine de l’éducation, de la recherche, des travaux intellectuels, mais aussi dans la bienfaisance, c’est-à-dire l’application des principes sur le terrain.

En cette fin du XVIIIe siècle, l’une des originalités dont ses fondateurs ont doté l’Institut a été la création d’une classe des sciences morales et politiques.

Morales et politiques, ces deux adjectifs doivent être compris dans leur acception cumulative, les sciences de la société sont à la fois morales et politiques. C’était une constatation et l’affirmation d’un idéal. Il s’agissait de la reconnaissance d’une nouvelle science de la société et d’une intervention dans un domaine autre que purement intellectuel, celui de la bienfaisance dans le domaine politique, économique et social.

En supprimant cette classe en 1803, on a cru lutter contre l’excès d’idéologie.

À la Restauration en 1816, la question d’une suppression de l’Institut et du rétablissement d’une académie des sciences morales et politiques fut évoquée. Louis XVIII trancha en sagesse politique par la double négative : pas de rétablissement des sciences morales et politiques mais pas de suppression de l’Institut.

Mais l’on n’a pas supprimé le principe, les sciences morales et politiques, qui ont été rétablies en 1832 sous la forme d’une académie à part entière.

La vocation d’acteur philanthropique est dès lors confirmée et se développe considérablement à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle.

L’Institut de France et les académies ont recueilli à la fois la mission d’encouragement des travaux intellectuels et de bienfaisance. Pour consacrer cette tradition séculaire, le Conseil d’État a confirmé, dans un avis rendu à la demande du gouvernement le 25 octobre 1988, que l’Institut de France bénéficiait de plein droit des avantages attachés à la reconnaissance d’utilité publique, et pouvait accueillir en son sein des fondations créées par l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources pour la réalisation d’une œuvre d’intérêt général conforme à l’objet de l’Institut, sans que soit créée à cette fin de personne morale distincte.

On peut distinguer trois catégories de fondations abritées, trois générations.

Les premières apparues à la fin du XIXe siècle sont les fondations musées. Le but poursuivi dans le domaine des sciences humaines et sociales existe déjà dans la démarche des donateurs-fondateurs :

- La fondation du duc d’Aumale avec le château et le domaine de Chantilly, dans l’Oise, a de multiples vocations, historiques, artistiques, touristiques, écologiques ;

- La fondation Jacquemart-André avec un musée à Paris, qui est une brillante démonstration de l’art des grands collectionneurs ;

- La fondation Jacques-Siegfried avec le château de Langeais dans le Val de Loire, avec une mission historique et scientifique ;

- La villa grecque de Kérylos, dans les Alpes-Maritimes, à la vocation scientifique et antiquisante confirmée. Reconstitution originale d’une demeure antique, Kérylos est la réalisation d’un rêve, celui de Théodore Reinach, archéologue, membre de l’Institut, fasciné par la civilisation grecque, et le fruit d’une collaboration exemplaire avec son ami, l’architecte Emmanuel Pontremoli (membre de l’Académie des beaux-arts) ;

- Un héritage intellectuel : La fondation Dosne-Thiers, à Paris, est à la fois un monument, un musée, un conservatoire, et un centre de recherche, demeure d’Adolphe Thiers, que l'Institut reçut en don en 1905 "pour qu’il soit affecté à la création d’une bibliothèque moderne et plus particulièrement d’histoire de France", soulignant que cette bibliothèque occuperait dignement l’hôtel où M. Thiers a poursuivi ses grands travaux d’histoire.

Il existe une seconde fondation, la Fondation Thiers (appelée également Centre de recherches humanistes), créée en 1893 grâce à une autre donation de Mlle Dosne, qui a rejoint l’hôtel particulier de la place Saint-Georges en 2009 après avoir été hébergée plusieurs années à l’Institut de France. Elle a pour mission de distinguer de brillants sujets de l’Université. Les pensionnaires sont pris financièrement en charge, pour une durée de trois ans, conjointement par le CNRS et par l’Institut. Ils sont depuis 1987, au nombre de dix, recrutés chaque année par le Centre de recherches humanistes, leur offrant l’occasion d’achever un travail de recherche en cours. Depuis l’origine, la Fondation a accueilli chaque année des pensionnaires recrutés parmi les plus brillants doctorants français dans le domaine des sciences humaines et sociales. La liste serait longue des grands savants et esprits du XXe siècle ayant bénéficié de cette résidence de trois ans consacrés à l’approfondissement de leurs recherches. Nos confrères, Raymond Polin, Philippe Contamine ont dirigé cette structure avec efficacité et dévouement, je tiens à leur rendre hommage, cette responsabilité est aujourd’hui assurée par notre confrère Georges-Henri Soutou, de l’Académie des sciences morales et politiques.

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La seconde génération des fondations abritées apparait au XXe siècle. Ce sont des fondations de dotation, parfois richement dotées, parfois moins, dont les domaines d’intervention occupent un très large spectre. Je ne parlerai pas ici des fondations encourageant la recherche scientifique et médicale, certaines très importantes, mais qui ne sont pas notre sujet, même si leurs actions ont nombre de conséquences sociales. J’écarterai également les fondations couronnant les œuvres purement littéraires, comme en héberge l’Académie française dans le prolongement de ses propres missions académiques, mais aussi l’Institut dans le domaine des lettres.

Les fondations intervenant dans le domaine des sciences humaines et sociales et dans le domaine humanitaire sont nombreuses, avec un champ d’activités vaste, l’éducation, le travail, l’économie, l’éthique, le progrès social, la protection de la nature, etc.

Une troisième catégorie de fondations d’encouragement de la recherche scientifique en sciences humaines et sociales est apparue tout récemment depuis moins de dix ans. Je les qualifierai de fondations de réflexion. Elles mènent des études transversales et neuves, comblent des lacunes des connaissances ou des protections collectives et font des propositions pour améliorer le devenir de la société.

Des fondateurs – grandes institutions, particuliers - entendent par cette démarche se placer sous l'égide de l'Institut de France pour réfléchir ensemble. Ce faisant, ils prennent un peu de distance à l'égard de leur propre structure, ils se rapprochent de la nôtre dont la raison d'être se trouve précisément dans la réflexion sereine et indépendante et entrent en résonance avec les travaux qui sont menés ici même. Les thèmes choisis pour les entretiens illustrent leur ambition. Il s’agit de la connaissance de la grande pauvreté, des conséquences de l'exclusion, de l'accès au logement comme remède de bien des maux de la société, de la mixité sociale, du lien social, du lien familial, de la solitude, ou encore d’une conception rénovée et plus responsable de l'économie de marché et de la croissance.

C’est de cette diversité, de cette pluralité qu’il faut partir. En tant que personnalité morale habilitée à abriter des fondations, l’Institut de France se positionne directement comme un acteur responsable d’une forme de service public bien particulière : celle de l’administration de la philanthropie. Cela lui crée des droits et des devoirs, lui impose d’agir avec discernement et responsabilité, tout en veillant à garantir la diversité, cette diversité même, de thèmes et de méthode, qui caractérise les sciences humaines et sociales.

Ce programme s’est précisé au fur et à mesure des évolutions de la recherche et des besoins de la science. L’autonomisation des sciences humaines et sociales a ainsi eu pour effet d’inciter les philanthropes à renouveler leurs modes d’interventions. Les fondations de l’Institut n’échappent pas à cette tendance.

Les fondations de l’Institut de France, au fur et à mesure de leur développement, de leur accroissement, tendent dès lors à agir comme son bras séculier. Tandis que les compagnies académiques reçoivent pour mission de recueillir les connaissances, de les accroître, et d’en faciliter la diffusion auprès de tous, les fondations abritées auprès de l’Institut de France et des académies œuvrent, elles, à fertiliser la société, à encourager les initiatives louables, et bien souvent, à devancer l’avenir. Il y a donc une relation de pure continuité entre le travail proprement académique et ses expansions via les fondations abritées.

Dès lors, comme dans le cas d’une fraternité, la relation est ininterrompue. Les académiciens participent à l’administration et à la gestion des fondations. Les fondations bénéficient de cette expertise et en retirent l’assurance d’un bon « placement » de leurs actions. Quant à l’Institut, il associe cette intervention dans la société civile aux travaux et aux réflexions auxquels il concoure avec les académies, en vertu de leurs missions respectives. Cette harmonie des compétences et des tâches est absolument inédite. Inédite et féconde puisqu’elle permet à l’Institut et aux académies d’étendre leur champs d’action ou d’intervention sur un large spectre, à travers leurs fondations abritées comme l’exigent les défis contemporains.

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, la participation des fondations de l’Institut de France est importante. Ce domaine, si fréquemment décrit à notre époque comme non-compétitif, en souffrance de débouchés, constitue pourtant l’une des ressources les plus vives d’innovation, et l’une des plus sûres traditions d’excellence de notre pays. Les fondations de l’Institut constituent à ce titre un pôle actif de stimulation et de développement, en appui aux universités, aux maisons d’édition ou aux chercheurs indépendants. Il n’est que de citer l’objet de différentes fondations :

- le prix François Guizot, je cite « placé sous le patronage des trois académies dont Guizot était membre : l’Académie française, l’Académie des inscriptions et belles-lettres et l’Académie des sciences morales et politiques, et qui récompense une œuvre d’histoire, d’étude du monde contemporain, des sociétés ou d’analyse politique récemment publiée ou diffusée, accessible à un large public »,

- La Fondation Colette Caillat, qui, je cite, « délivre des Prix, subventions, aides et concours de différentes natures afin de permettre la publication ou la traduction d’ouvrages d’indologie, et la traduction ou l’édition d’œuvres composées dans les langues originales du monde indien », « de donner à des étudiants avancés la possibilité de poursuivre leurs travaux de recherches », mais aussi de « prendre en charge des déplacements de chercheurs français à l’étranger ou de chercheurs étrangers en France ».

L’éventail des publics ou des actions susceptibles d’être encouragées par les fondations de l’Institut de France est très large et va des chercheurs confirmés aux novices, tout en passant par l’édition d’ouvrages à fort contenu scientifique, mais à faible garantie commerciale a priori. Quels critères s’appliquent pour gérer ces choix qui sont très nombreux. Il n’en est point de généraux ni de formalisés, en particulier à notre époque de rigueur financière, de réaffectation stratégique de certaines dotations publiques, et de bouleversement des principes de la connaissance et de la transmission. L’Institut de France doit revenir vers l’une de ses missions séminales, énoncée en 1795 dans le discours préliminaire au projet de constitution : « ordonner les jugements et les récompenses qui encourageront les jeunes adeptes et maintiendront la pureté du goût et des bons principes, en forçant les savants eux-mêmes, qui devront les appliquer dans leurs décisions, à ne jamais les perdre de vue ».

Ajoutons à cela une garantie, que nous avons souhaité inscrire dans le marbre de la loi de 2006. C’est que les donations ou legs avec charges doivent être approuvés par décret en Conseil d’État.

Au-delà même des sciences humaines stricto sensu, dont le cadastre est établi par les chaires universitaires, plusieurs fondations de l’Institut agissent dans le sens d’une éducation aux humanités en promouvant des pratiques de lien social fondées sur le partage de l’écrit. À la façon d’une infrastructure, en-deçà des formalisations plus éclairées de la pensée, ces fondations militent pour un accès équitable à la substance même de la connaissance : la lecture et l’écriture, c’est-à-dire la grammaire élémentaire à partir de laquelle s’élabore le projet commun d’une société, son code, sa loi.

Je citerais par exemple le projet « Citoyenneté possible », lauréat en 2013 du Prix d’excellence de la Fondation Audiens Générations. Ce prix a récompensé l’initiative, au sein de cette association, du programme « Bien dit ! », qui cherche à sensibiliser les jeunes de milieux défavorisés aux codes communs de langage et de communication afin de favoriser leur accès au monde du travail et de la citoyenneté. Je voudrais également évoquer la Fondation Egalité des chances, qui se donne pour objet de soutenir les projets des élèves issus des milieux les plus modestes en intervenant notamment au sein des internats d’excellence ou dans les établissements de l’éducation prioritaire.

La Fondation EDF encourage et facilite l’engagement des élèves des Grandes Écoles à apporter leur aide aux lycéens en difficulté pour leur permettre d’achever leur enseignement secondaire et d’accéder à l’Université.

Ces derniers exemples, dans leur originalité, me permettent d’insister sur un point : les missions propres de l’Institut de France, résultant de la volonté des Conventionnels de 1795, ne comportent pas pour les fondations une clause d’obligation ni d’uniformité. Il s’agit plutôt d’une condition de conformité, ou pour le dire autrement, d’une convergence de vues. Ainsi chaque fondateur propose à l’Institut la charge qu’il souhaiterait lui confier et dont la définition finale est fixée par la convention créant la fondation passée entre la fondation et l’Institut.

Certaines fondations, selon le souhait de leurs fondateurs, comportent une charge qui s’inscrit directement dans le prolongement des travaux académiques. Ce sont notamment les fondations qui décernent des prix ou des grands prix, attribués par des jurys présidés par des académiciens. Ainsi la Fondation Goby, qui récompense par chaque année un travail sur l’Égypte et l’œuvre française en Égypte, dans le sillon des études égyptologiques dont l’Académie des inscriptions et belles-lettres est la pionnière. Sur sa proposition, le Prix Jean-Édouard Goby 2014 a été remis à l’Institut d’Égypte du Caire pour la restauration des manuscrits de la bibliothèque endommagée lors des tragiques événements survenus place Tahrir en 2011.

D’autres fondations dont la charge ne s’inscrit pas en continuité immédiate avec les travaux académiques souhaitent néanmoins bénéficier du contexte unique qu’offre l’Institut, et honorer à leur manière l’objectif d’intérêt général. Dans ce cas, un examen est pratiqué par l’Institut pour juger de l’admissibilité de la charge présentée. C’est le Conseil d’Etat qui valide en dernière instance, et par décret, la création d’une fondation.

Voyons le cas de la Fondation Khôra dont l’objet est notamment « d’aider des chercheurs ou écrivains ou toute autre personne s’intéressant à l’étude ou à l’histoire culturelle du genre humain, de permettre la mise en valeur de tout patrimoine littéraire ou artistique par des aides à la publication, à la conservation et à la restauration, de faciliter la recherche dans les études littéraires et les sciences humaines et sociales ». En 2014, cette fondation a par exemple choisi de soutenir les éditions du CNRS pour la publication de l'ouvrage Vocabulaire de la spatialité japonaise, sous la direction de Philippe Bonnin.

La Fondation de recherche Caritas peut également être mentionnée, qui a pour objet « d’agir sur les causes et les conséquences de la pauvreté, par la création d’un prix annuel d’un montant de 10 000 euros, qui récompense une recherche, publication ou un projet innovant et ayant un impact durable, notamment dans les territoires les plus pauvres et en association avec les populations les plus marginalisées ». Cet engagement s’est traduit en 2014 par la tenue d’un colloque sur le thème de la vieillesse et de la précarité, et par la remise de son prix annuel de recherche pour récompenser une thèse portant sur les politiques publiques et la pauvreté, une étude comparée des cas français et des États-Unis.

Autant d’exemples de fondations agissant dans les sciences humaines et sociales, et dont l’objet constitue un prolongement de la vocation initiale de l’Institut et des académies, en même temps qu’une focalisation chaque fois plus précise sur les problématiques les plus contemporaines.

Les fondations de l’Institut de France contribuent donc à l’exercice historique de la mission philanthropique de l’Institut, mais permettent également d’en élargir le rayonnement en fonction des préoccupations dominantes d’une époque. Je prends un exemple :

Au XIXsiècle : l’Académie des sciences morales et politiques s’est rendue célèbre par ses enquêtes sur le terrain, menées par Villermé sur la condition ouvrière.

Au XXsiècle : la priorité est mise sur les moyens d’aider les jeunes défavorisés à progresser dans leur formation.

D’une certaine manière, les fondations réinterprètent cette mission pour l’ériger en vocation. Dans le domaine des sciences humaines et sociales, cela prend la forme d’un riche écosystème dans lequel l’Institut et ses fondations agissent en symbiose, et, à la manière d’une photosynthèse, captent les meilleures productions de l’esprit ou ses meilleures promesses pour les restituer à tous.

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Le moment est venu de donner quelques chiffres. En 2014, l’activité des quelques 200 fondations abritées s’est élevée aux montants suivants.

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Je voudrais maintenant entrer dans un certain détail des actions menées par les fondations de l’Institut dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Rappelons tout d’abord que ces actions sont le fruit d’une confiance réciproque entre l’Institut et ses fondateurs. Une confiance garante d’une relation de fidélité, sans laquelle les actions entreprises ne sauraient s’inscrire dans la durée. Cette même durée est porteuse de renouvellement et d’imagination. Ce qui explique la diversité des interventions des différentes fondations de l’Institut en faveur des sciences humaines et sociales, leur réactivité, ainsi que leur acuité au regard des problématiques contemporaines.

Comme je le signalais précédemment, l’administration paritaire des fondations sous la présidence statutaire du Chancelier entre membres de l’Institut et personnes appelées par le fondateur, permet d’obtenir un parfait ajustement ou ciblage de l’action des fondations.

Lorsque la Fondation Simone et Cino Del Duca décide de soutenir une initiative de l’Académie des sciences pour établir l’édition critique de l’Encyclopédie de d’Alembert ainsi que le rassemblement de tout ce que l’on sait sur l’Encyclopédie – qui n’existait pas jusqu’aujourd’hui – c’est bien parce que les membres du conseil d’administration de cette fondation, reflétant les différents champs de compétences des cinq Académies, disposent ensemble d’une parfaite connaissance de cette œuvre fondamentale, dans toutes ses dimensions, jusqu’à ressentir le besoin de l’inscrire pleinement dans notre siècle, pour offrir ses enseignements à nos contemporains. Ce dernier exemple illustre la ressource que l’Institut met à la disposition des fondations abritées : la pluridisciplinarité. À l’heure où de nombreux enseignements ou programmes de recherche en sciences humaines font de l’interdisciplinarité une valeur ajoutée indispensable, l’Institut se réjouit de pouvoir apporter cette richesse. Richesse qu’il a reçue comme par anticipation lors de sa création, et qui fait son originalité profonde.

Poursuivons sur l’interdisciplinarité : le 24 et 25 juin prochain 2015, la Fondation Edouard Bonnefous organisera un colloque sur « l’environnement et ses métamorphoses », à l’occasion duquel des membres des différentes académies interviendront aux côtés d’experts français et internationaux pour réfléchir ensemble, entre autres questions, à la nécessité de reformuler les valeurs de l’humanisme face à la problématique du changement climatique. Ce colloque réunira scientifiques, juristes, sociologues, anthropologues et même étudiants. C’est la vocation même de l’Institut que de réunir les savants en assemblée, pour produire un avis polyphonique, plurilingue, encyclopédique au sens étymologique. Cette vocation, une fois de plus, n’est pas sans intéresser les sciences humaines et sociales, elles qui sont à l’origine de nombreux décloisonnements disciplinaires.

On voit donc, avec ce dernier exemple, qu’une fondation abritée peut s’investir dans des actions à résonnance planétaire, avec le souci d’inscrire les sciences humaines et sociales dans une réflexion touchant à la pointe du contemporain, voire esquissant le futur. Mais cette échelle macroscopique n’est pas la seule concernée. Ainsi que notre dernière réunion annuelle des fondations intitulée « Paroles de Fondations » l’avait envisagé, les fondations de l’Institut pourvoient également à des problématiques microsociales.

C’est le cas des prix de recherche 2014 senior et junior de la Fondation pour le lien social – Croix rouge française, remis respectivement à M. Serge Paugam et M. Baptiste Brossard. Ces deux prix ont récompensé des travaux sur le lien social et le numérique, à partir de terrains de recherches originaux, à savoir : les pratiques numériques des sans domiciles fixes à la Bibliothèque Publique d’Information d’un côté, et les discours sur l’automutilation juvénile sur internet de l’autre.

Toujours la Fondation Del Duca avec les grandes enquêtes de fond menées par des laboratoires de recherche sous la conduite de membres de l’Académie des sciences morales et politiques : les dernières enquêtes ont été menées sur le thème « Guerre et société » pour la période 2012-2014 par Jean Baechler, « Perception des Inégalités et Sentiments de Justice » en 2008-2009 par Raymond Boudon, et en 2006-2007 « La France prépare mal l'avenir de sa jeunesse » par Pierre Messmer et Raymond Barre et Michel Albert, anciens Premiers ministres et membres de l’Institut.

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Diversité des échelles donc, selon les besoins propres à chaque recherche, diversité des modes d’interventions également. Ces derniers s’ordonnent typologiquement en quatre grands ordres : les prix, les subventions, les bourses et les colloques.

Les prix, tout d’abord, ont depuis l’origine contribué à récompenser des travaux, à distinguer des œuvres en particulier, pour leurs mérites et leurs apports. Les prix constituent d’une certaine manière un salut par les pairs. L’Institut remet ainsi chaque année, sur proposition des différentes académies, de nombreux prix héritiers de cette tradition. Ces prix sont abondés par des particuliers, qui choisissent de confier à l’Institut, c’est-à-dire à l’expertise de ses membres, le soin de reconnaître des lauréats au sein d’un domaine auquel ces mécènes auront voulu associer leurs noms.

C’est le cas par exemple des Prix François-Victor Noury, remis chaque année sur proposition de l’Académie française, de l’Académie des sciences, et de l’Académie des beaux-arts à trois lauréats dans les domaines de la culture française, de la science et de l’art. L’un des prix 2015 a ainsi été remis à Guillaume Kientz, auteur d’un ouvrage intitulé « Velàzquez, l’affrontement de la peinture ». Une exposition de rayonnement international en cours au Grand Palais sur le même Velázquez illustre assez bien la pertinence de ce choix et sa consonance avec les enjeux actuels. Lorsque l’on sait que le Prix Noury provient d’une donation reçue en 1922, on voit que les mots de pérennité et de pertinence correspondent aisément à cette reconnaissance traditionnelle par des prix.

D’autres outils de mécénat sont apparus avec l’évolution des sciences humaines dont le principal est la subvention, qu’il faudrait peut-être appeler don avec charges, accordée sur proposition d’un jury. L’Institut est attentif aussi à adapter sans cesse son action aux conditions actuelles, et se fait naturellement l’interprète, via ses fondations, de changements dans l’ordre de la recherche et de la connaissance. Les nombreuses fondations abritées forment ensemble tout un nuancier de pratiques et de méthodes de mécénat en soutien aux sciences humaines.

Il faut aussi citer les bourses de recherche, qui chaque année permettent à des étudiants ou à des chercheurs confirmés de poursuivre leurs travaux dans les meilleures conditions.

La Fondation Kenza remet ainsi chaque année des bourses d’études à l’étranger dans les domaines des beaux-arts et de l’histoire de l’art. En 2015, ces bourses ont financé des séjours de recherche à Londres, Düsseldorf, Sydney et Heidelberg, permettant ainsi de faire rayonner les travaux prometteurs de jeunes étudiants français.

Des bourses financées par des fondations de l’Institut peuvent aussi contribuer au financement d’un programme de recherche ou aux travaux d’une équipe. La Fondation Caritas a ainsi soutenu en 2014 le projet de recherche lancé par le Professeur Julien Damon sur les bidonvilles dans le monde.

Cette intendance de la recherche est primordiale, en sciences humaines et sociales comme ailleurs. Chaque grande institution ayant créé une fondation de recherche aborde son programme avec ses méthodes et ses équipes. C’est le cas de la Croix rouge, du mouvement Caritas, de Radio France, des équipes d’Habitat et Humanisme, du groupe de jeunes économistes de Croissance responsable. En même temps la valeur ajoutée des académiciens garantit que les fondations à l’Institut n’entendent bien évidemment se substituer à personne. Elles constituent un étais aux ressources existantes (Maisons d’éditions, CNRS, ANR, Aides publiques, tissu associatif…). Cette pratique de soutien, de récompense ou de distinction est une garantie d’indépendance. Car le travail presque quotidien de sélection des candidats et des lauréats par les jurys et les conseils d’administration des fondations de l’Institut est, au contraire d’une ingérence, un approfondissement permanent des valeurs de mérite et de transmission, partagées par l’ensemble de la communauté scolaire et scientifique, et permettant en définitive l’accomplissement des meilleurs travaux. Rappelons, à titre d’exemple, et pour bien illustrer la complémentarité entre l’intervention des fondations de l’Institut et celle par exemple des pouvoirs publics, le renouvellement en 2012 de la convention cadre passée entre L’Institut et le CNRS, qui fixe à vingt membres le collège en charge du recrutement des pensionnaires de la Fondation Thiers, à parité entre les deux institutions.

Un dernier type d’intervention des fondations de l’Institut peut enfin être évoqué : il concerne l’organisation des colloques, des conférences ou des rencontres. Cette part est essentielle. Elle permet aux acteurs de la recherche de se retrouver en communauté. Cette sociabilité scientifique est indispensable au partage et à la circulation de l’information, à l’élaboration dialogique ou collective de la connaissance. Pour une institution comme l’Institut de France où la confraternité et la collégialité constituent la norme, il est particulièrement réjouissant de voir des fondations s’impliquer dans cette démarche fertile et profitable à tous.

Par exemple, la fondation du Docteur Cotrel, consacrée à la recherche sur la scoliose idiosyncratique a créé sur ce sujet une sorte d’université virtuelle mondiale qui rassemble tous les travaux et est en passe de découvrir les causes et les soins de cette affection.

Il faudrait citer ici le colloque de Cerisy organisé à l’été 2014 par la Fondation Jean Laplanche, et qui a rassemblé historiens, philosophes, et chercheurs en littérature pour discuter des enjeux et des perspectives suscités par l’œuvre du psychanalyste Jean Laplanche.

La Fondation Simone et Cino del Duca, outre son soutien aux travaux académiques pour favoriser le développement de cycles d’études ou de programmes de recherche, poursuit son engagement aux côtés de la Bibliothèque nationale de France pour l’organisation des grandes conférences annuelles, qui rassemblent un public nombreux, amateur ou professionnel, autour de figures majeures de la pensée française et internationale.

 J’ai déjà évoqué par ailleurs les colloques annuels des fondations Caritas et Croix Rouge française. Il faudrait encore mentionner toutes les rencontres organisées par les différentes fondations-musées de l’Institut de France. La Villa Kérylos, par exemple, qui accueille chaque année le colloque de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres sur des questions très ouvertes concernant l’Antiquité.

Citons enfin, même s’il s’agit là d’une intervention légèrement oblique par rapport à notre sujet, les nombreuses expositions organisées dans les fondations-musées : au Musée Jacquemart-André, au château de Chantilly, à la Fondation Dosne-Thiers, ou au château de Langeais. Expositions historiques ou artistiques qui font appel aux sciences humaines, en histoire et en histoire de l’art notamment, et qui donnent chaque fois lieu à des publications inédites.

Le détail des actions menées par les fondations de l’Institut de France dans le domaine des sciences humaines et sociales existe dans les brochures annuelles que nous faisons paraître depuis deux ans à l’occasion de la séance solennelle de remise des grands prix des fondations. La prochaine brochure sera disponible le 3 juin, date de la séance solennelle de remise des grands prix des fondations de l’Institut, sous la Coupole.

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Au terme de cette présentation, je devine qu’une telle tentative panoramique se heurte inévitablement aux singularités irréductibles de chaque action entreprise et aux vœux spécifiques des fondateurs. J’ai essayé de restituer le contexte philanthropique de l’Institut de France et de ses fondations.

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, la diversité des actions des fondations de l’Institut répond à la diversité des besoins de la recherche, et à la diversité des thématiques et des échelles qui la parcourent. C’est l’addition des générosités, des fidélités à des valeurs et à des engagements qui aboutissent à cette imposante mosaïque. Mosaïque qui, par-delà les sciences humaines, couvre également des sciences fondamentales, des champs humanitaires et sociaux.

J’espère vous avoir convaincu de la chance que nous avons, en France, deux siècles après sa création, de faire vivre un Institut indépendant, appliqué à ses missions de façon désintéressée, sachant produire de la richesse à partir de la volonté, sachant organiser les générosités, et les mettre en fin de compte à la seule disposition de la société, de l’humanité même et de son goût ininterrompu de connaître.

Finalement, l’Institut de France pourrait être considéré, en vertu de cette addition de fondations, comme étant, par lui-même, une importante fondation, de plein exercice, jouant un rôle éminent d’encouragement à la recherche dans les sciences humaines et sociales. Ses caractéristiques spécifiques pourraient se résumer ainsi : des travaux qui au sein des fondations se situent dans le prolongement des missions académiques, toujours en appui à l’action générale menée dans l’intérêt général par les pouvoirs publics en général, la recherche de l’excellence par une haute exigence de sélection, de promotion et de diffusion des travaux de recherche, le souci de trouver un équilibre en la consécration d’une œuvre réalisée, le couronnement d’une personnalité, ou bien le choix d’un projet en accordant à ses promoteurs les moyens de le réaliser, enfin, non pas les prétentions de transformer la réalité sociale de notre époque, hélas, mais un souci constant de corriger certains défauts, de combler des lacunes persistantes de notre système de protection sociale pourtant de grand luxe, enfin de secourir aussi souvent qu’on le peut des détresses hors de notre pays.

Je vous remercie.