Funérailles de M. Aignan

Le 24 juin 1824

Louis-Simon AUGER

INSTITUT ROYAL DE FRANCE.

ACADÉMIE FRANÇAISE.

FUNÉRAILLES

DE M. AIGNAN.

 

Le 24 Juin 1824 ont eu lieu les Funérailles de M. AIGNAN (ÉTIENNE), Membre de l’Académie Française.

Après le service funèbre, M. AUGER, Membre et Directeur de l’Académie, a prononcé le discours suivant.

 

MESSIEURS,

LA Mort semblait, depuis quelque temps, avoir oublié d’exiger de nous le tribut que lui doit tout ce qui respire. Mais elle n’avait suspendu ses coups que pour en frapper deux à la fois ; que pour faire tomber sur nous, en un seul instant, le poids d’une double affliction. Le même jour, presqu’à la même heure, elle vient de choisir parmi nous deux victimes ; et l’une d’elles est un homme dans la force de l’âge, qu’une constitution saine et robuste paraissait destiner à l’existence la plus longue et la plus exempte de maux. Une de ces maladies qui trompent ou défient tous les efforts de l’art a fondu sur lui à l’improviste, et l’a enlevé après quelques instants d’une lutte dont l’issue n’a paru favorable un moment, que pour devenir bientôt plus accablante : ainsi, nous avons passé, presque sans intervalle, du jour oui il partageait encore nos travaux, à ce jour où nous venons pleurer sur sa tombe.

Dans un autre lieu, dans un autre temps, lorsque sa perte moins récente causera des regrets moins amers, on dira quels ont été ses droits à la célébrité contemporaine, quels seront ses titres à l’estime de la postérité. On racontera que sa vie si courte, mais si remplie par le travail, fut principalement consacrée au culte d’Homère ; que par lui furent élevés à la gloire de ce grand poète deux monuments qui serviront de fondement à la sienne, et dont l’un demeure inachevé, comme pour ajouter, s’il est possible, aux motifs de notre douleur.

Mais, en ce triste jour, après les pompes lugubres de la religion, dans cette enceinte où tout parle de notre néant, l’écrivain, le poète disparaît à nos yeux obscurcis de larmes, pour ne nous laisser apercevoir que l’homme, le concitoyen, le confrère, dont le trépas inattendu nous a frappés de consternation. Nous nous rappelons, en gémissant, quelle était son assiduité, son attention, sa capacité dans les travaux qui nous furent communs avec lui; nous nous retraçons sa vive et sincère passion pour les lettres, son zèle ardent et pur pour la gloire et les intérêts de notre compagnie. Tous ses confrères, quelque route qui ait été suivie par eux dans nos jours d’agitation publique, s’empresseront de reconnaître qu’ils l’ont constamment rencontré dans la route de l’honneur et de la probité ; tous déploreront sa mort prématurée, regretteront son commerce facile et doux, et feront des vœux pour qu’en un monde meilleur il jouisse de ce repos qu’il n’est pas permis à l’homme de goûter sur la terre.