Funérailles de M. Collin d'Harleville

Le 25 février 1806

François ANDRIEUX

INSTITUT NATIONAL.

FUNÉRAILLES DE M. COLLIN D’HARLEVILLE.

25 février 1806.

 

L’INSTITUT NATIONAL en exécution de l’arrêté pris dans sa séance du 25 frimaire an 7 a assisté aux funérailles de M. Collin d’Harleville, membre de la classe de la langue et de la littérature françaises.

Au lieu de la sépulture et en l’absence de M. le Secrétaire perpétuel M. Andrieux membre de la même classe, a prononcé le discours suivant :

 

« Une mort prématurée vient de ravir un frère à des frères et sœurs désolés, à l’Institut un de ses membres les plus illustres, à moi, l’ami de mon enfance, de ma jeunesse, de toute ma vie. Collin d’Harleville meurt à cinquante ans d’une maladie lente qui l’a long-temps consumé !… quelle perte nous faisons tous ! quelle perte fait notre littérature ! et qu’il est à craindre qu’elle ne soit réparée de long-temps !… Il étoit du petit nombre d’hommes privilégiés que la nature a exclusivement doués du talent poétique. On applaudissoit dans ses pièces de théâtre une morale saine une diction facile et naturelle une gaieté franche et douce et je ne sais quel charme qui lui appartenoit et qui se faisoit sentir dans toutes ses productions ; il s’est créé un genre ; il a agrandi la carrière dramatique ; et puisque l’esprit de dénigrement ne poursuit plus les morts puisqu’on pardonne aux louanges données aux grands hommes sur leur cercueil j’oserai dire que mon ami tiendra parmi les poètes comiques de la France un des premiers rangs.

« Il ne l’aura dû qu’à son talent naïf et original : simple, modeste, mélancolique, d’une timidité un peu sauvage, il ne s’occupoit qu’à l’étude, ne songeait qu’à travailler ses ouvrages et se répandoit peu dans le monde : délicat sur les bienséances, sensible en amitié, il avoit besoin d’être ménagé ; mais son cœur seul étoit tendre et facile à blesser ; son amour propre n’étoit point irritable ; il cherchoit les conseils plus que les éloges : tout-à-fait étranger à la jalousie, aux rivalités, à l’intrigue, il aimoit les succès d’autrui, et ceux de ses amis le transportaient de joie. Il avoit obtenu du public non-seulement une juste admiration pour ses talens, mais une estime, une bienveillance personnelle. On le connoissoit par ses écrits, dans lesquels en effet il a peint son âme ; et ses lecteurs auroient voulu être ses amis.

« Noble jusqu’à la fierté, désintéressé jusqu’à l’insouciance, bienfaisant jusqu’à l’indiscrétion, il donnoit sans calculer et s’appauvrissoit sans s’en apercevoir. Aussi ne laisse-t-il aucun héritage ; mais eût-il eu des trésors à distribuer, il n’eût pas reçu plus de soins pieux de sa famille, dont une partie l’a fidèlement entouré et servi jusqu’à la fin. Les longs jours pendant lesquels il s’est vu mourir par degrés, n’ont pas été sans quelque sorte de douceur et de volupté douloureuse ; il serroit les mains de ses plus chers parens, de ses plus anciens amis. Son Excellence le Ministre de l’intérieur lui a adressé peu de temps avant sa mort une lettre consolante et honorable ; le Président de l’Institut lui a donné au nom du Corps entier, des marques de souvenir et d’attachement ; notre savant confrère, le docteur Halle lui a prodigué avec un zèle affectueux tous les secours de l’art, et les consolations de l’amitié ; la Comédie française et plusieurs des premiers acteurs de ce théâtre, lui ont offert des services dont heureusement il n’avoit pas besoin, et pour lesquels ses plus intimes amis auroient réclamé la préférence ; il a eu le temps de recevoir tous ses amis les derniers témoignages de leur tendresse ; il a pu jouir des regrets qu’il alloit nous laisser ; il a souri à sa dernière heure que lui-même voyoit s’avancer de moment en moment ; il s’est éteint avec tranquillité et avec une entière confiance dans la justice de l’Être suprême !… O mon ami ! fidèle compagnon de ma vie ! où sont désormais nos travaux communs, nos amusemens paisibles, nos lectures chéries et nos entretiens solitaires ? j’ai tout perdu. Entends les derniers adieux que te font tes parens, tes confrères, tes amis, par une voix qui te fut chère !… Repose en paix dans ce dernier asile où vont s’engloutir les fortunes, les ambitions, les brillans projets et les longues espérances ; tu auras du moins marqué ton passage sur cette terre ; et il restera de toi ce que la mort même est réduite à respecter, le nom et les ouvrages d’un poète, et le souvenir de tes vertus, que ta gloire littéraire protégera et fera vivre dans la mémoire des hommes !… »