Fables nouvelles

Le 14 août 1860

Jean-Pons-Guillaume VIENNET

FABLES NOUVELLES

LUES DANS LA SÉANCE PUBLIQUE DES CINQ ACADÉMIES

DU 14 AOUT 1860,

PAR M. VIENNET.

 

LES DEUX LIONS.

Deux lions se battaient, et leurs rugissements
Faisaient trembler l’Atlas jusqu’en ses fondements.
Le prétexte de la querelle
Était une pauvre gazelle,
Qu’un des deux sous sa griffe avait fait expirer,
Et que chacun des deux voulait seul dévorer.
Mais une haine invétérée
Animait ces fiers combattants.
Ils ne pouvaient se voir sans se montrer les dents.
Chacun prétendait seul régner sur la contrée ;
Et, dans tous les pays comme dans tous les temps,
Qu’il s’agisse d’un prix, d’un trône ou d’une place,
Les gens de cour, comme ceux du Parnasse,
Ont détesté leurs concurrents.
Les renards, les chacals, hyènes et panthères,
Tous les hôtes des bois, des rochers, des tanières,
Se partageaient entre les deux.
Mais nul dans ce combat ne hasardait sa vie.
Leur prudente amitié se bornait à des vœux
Le danger comprimait leur belliqueuse envie,
Et la muette galerie,
Sagement retranchée en un taillis voisin,
Attendait l’arrêt du destin.
D’autres rois auraient fait appel à leur courage ;
Et les peuples, en pareil cas,
N’ont point la faculté de se croiser les bras.
Mais les rois des forêts suivent un autre usage ;
Ils vident tout seuls leurs débats.
Bref, au pire des deux le destin fut propice ;
Et le grand nombre eût préféré
Que son rival l’eût dévoré.
Mais nul ne condamna la céleste justice.
Pour blâmer, insulter, maudire le vaincu,
Pour louer le vainqueur et pour lui faire fête,
Ils sortaient à l’envi de leur sombre retraite ;
Ils célébraient en chœur sa gloire et sa vertu ;
Et, tout en exaltant leur amour et leur zèle,
Ils mendiaient de l’œil une part de gazelle.
« Merci, dit le vainqueur en croquant son butin ;
« Merci de vos souhaits, je me plais à vous croire.
« Mais le repas est court, et je mourais de faim, »
Ajoutait-il d’un air malin.
« Si l’on a peu d’amis avant une victoire,
« On en a trop le lendemain.
« Mangez mon ennemi, si cela peut vous plaire.
« II est là-bas, voyez, couché sur la poussière… »
Sur le mort, à ces mots, fondent mes carnassiers.
II n’en resta pas une oreille ;
Et ceux qui le flattaient la veille
N’arrivèrent pas les derniers.

 

LES GRENOUILLES ET LES CIGALES,

Par d’horribles coassements,
Les grenouilles en chœur célébraient le printemps,
Et le sommeil fuyait de tout le voisinage ;
Et ses paisibles habitants
Maudissaient leur affreux ramage.
Une cigale s’indigna
Qu’on mît à les honnir si vive acrimonie,
Parla d’injustice et d’envie,
Soutint effrontément que nos vers d’opéra
S’accorderaient fort bien avec leur symphonie ;
Et tout le monde s’étonna
Qu’on osât admirer cette cacophonie.
L’été vint, et l’on devina
Le secret de sa sympathie.
C’est qu’aux premiers rayons du jour,
La cigale et ses sœurs entonnaient à leur tour
Leur chant criard et monotone ;
Et par un doux retour les chanteuses des eaux,
En échange de leurs bravos,
Leur en faisaient une abondante aumône.

Quoi qu’en disent les gens qui n’en ont pas besoin,
La camaraderie est chose bien trouvée.
Qui louerait Chapelain et sa sotte couvée,
Si les Cotins n’en prenaient soin !
Mais, s’il fallait choisir entre les deux musiques,
Je leur dirais à tous, pour sortir d’embarras :
Brocanteurs de panégyriques,
Vantez-vous, mais ne chantez pas.

 

L’OURS ET SES CONSEILLERS.

Dans un vallon des Pyrénées,
Une famille d’ours régnait de père en fils.
Ce n’est pas de mon temps ; mais on tenait jadis
A ces coutumes surannées ;
Et l’ours dont je vous parle était toujours heureux,
Surtout dans ses vieilles années,
De vivre avec son peuple et d’écouter ses vœux.
Or, une vieille pie, intraitable bavarde,
Du haut d’un chêne vert lui criait tout le jour
Que les abus perdaient ses États et sa cour ;
Qu’il était temps d’y prendre garde.
Mon bonhomme de roi voulut donc s’informer
De ceux que sa justice aurait à réformer.
La Margot, qui pour elle aimait fort l’abondance,
Lui dit alors que, par son indulgence,
Des milliers de corbeaux trop longtemps enhardis,
Et des climats du Nord par les glaces bannis,
Venaient de ses sujets dévorer la substance,
Qu’en un mot il fallait en purger le pays.
Le renard se plaignit que par scélératesse,
Dans le creux des rochers presque voisins du ciel,
Les abeilles faisaient leur miel,
Qu’on n’en trouvait d’aucune espèce
Pour les rhumes de sa hautesse,
Et qu’on devrait les forcer d’habiter
En des lieux où l’on pût monter.
Il exposait encor, d’une voix attendrie,
Que la pie et d’autres oiseaux
Choisissaient pour couver les arbres les plus hauts ;
Que leurs pauvres petits, au péril de leur vie,
Par la moindre tempête en tout sens ballottés,
De leurs nids dans les airs étaient précipités.
Un loup trouvait que lapins et belettes
Se creusaient méchamment des terriers trop étroits ;
Que des chasseurs et des tempêtes
On ne pouvait jamais s’abriter sous leurs toits.
La loutre allait aussi faire sa doléance,
Quand le roi rompit l’audience.
« J’aviserai, » dit-il. Mais il avait compris
Que ces honnêtes gens prenaient pour injustices,
Pour des abus et pour des vices,
Ce qui gênait leurs appétits,
Leurs intérêts ou leurs caprices ;
Et, sans aller loin de Paris,
Je leur connais bien des complices.

 

LA POULE COQUETTE.

Une poule gentille et dans la fleur de l’âge
Se prit à dédaigner le modeste plumage
Qu’elle tenait des auteurs de ses jours :
Et, sans songer à la dépense,
Comme une lionne de France,
Elle voulut briller par de riches atours.
De plumes de pigeon, de serin, de mésange,
Elle para d’abord sa poitrine et son cou.
Elle les payait un prix fou,
Et pour deux en donnait cinq ou six en échange.
Mais que ne fait-on pas pour être du bel air ?
On en exigea vingt pour quatre de pivert,
Et ma poule gaîment en fit le sacrifice.
Le lendemain, pour un nouveau caprice,
Celles de perroquet lui coûtèrent plus cher.
L’une était rouge, l’autre bleue ;
Comment se refuser de s’en faire un esprit ?
Bientôt, pour deux ou trois qu’un vieux paon lui vendit,
Elle livra toute sa queue.
C’était beaucoup, qu’importe ! on l’admire ; il suffit.
Enfin, pour satisfaire à des modes nouvelles,
Il ne lui restait plus que son corps et ses ailes ;
Et, comptant sur le temps, elle achète à crédit.
C’est une ressource funeste ;
Le temps passe, la dette reste ;
Le terme arrive, il faut payer.
Ma poule ne le peut ; et, sourd à la prière,
L’impitoyable créancier
Vient la dépouiller tout entière.
Que faire alors ? comment se pomponner ?
A quel saint recourir dans sa détresse extrême ?
Las ! n’ayant plus rien à donner,
La belle fut réduite à se vendre elle-même.
Un jeune coq fut le premier
Dont elle entreprit la conquête ;
Et le galant dut la coquette
A trois plumes de son collier.
Plus tard, pour obtenir cette bonne fortune,
Un second n’en donna que deux ;
Le troisième n’en donna qu’une :
Le rabais devenait fâcheux.
A sa toilette un peu flétrie
Elle mêla des fleurs de la prairie,
Quelques graines d’épine en guise de rubis ;
Et, se croyant encore élégamment parée,
Elle espéra qu’au même prix
Un beau faisan, lion de la contrée,
Lui céderait quelque plume dorée ;
Mais elle n’y trouva qu’un faquin mal appris
L’insolent, sur sa friperie
Jetant un regard dédaigneux
Se rit de sa coquetterie ;
Et ce premier affront lui dessilla les yeux.
Que devint à ce coup la pauvre déplumée ?
Triste objet de mépris, de regrets consumée,
Au fond du poulailler elle alla se blottir.
Elle y mourut de froid, de honte et de misère,
En se disant trop tard qu’elle eût dû s’en tenir
A la toilette de sa mère.

Qu’on se le dise avant, on s’en trouvera bien.
Mais qu’il advienne un bal, un concert, un spectacle,
Jusqu’à ce qu’au logis il ne reste plus rien,
On se rira de mon oracle.

 

LES OISEAUX DES TUILERIES.

Dans le jardin royal que Le Nôtre a planté,
Et dont, pour échapper aux ardeurs de l’été,
Les oisifs de Paris vont chercher les ombrages,
Autour d’un vert gazon des enfants rassemblés
Contemplaient les ébats des bipèdes ailés
Qui peuplent ces riches bocages.
D’allants et de venants entourés tout le jour,
Ces oiseaux ne sont pas sauvages :
Ils sont trop voisins de la cour.
Mais en vain mes bambins essayaient de les prendre.
A ce vol de moineaux, de merles, de pigeons,
Ils prodiguaient en vain, de leur voix la plus tendre,
Les noms de fifis, de mignons.
Mes oiseaux s’approchaient, mais, dès le moindre geste,
Ils fuyaient d’une aile plus leste,
Et retournaient à quelques pas
Reprendre leurs joyeux ébats.
Un seul de ces enfants avait le privilége
De les attirer tous, même de les fixer.
Ses bras avaient beau s’exercer,
Aucun d’eux ne levait le siège.
Quel était le secret de cet heureux bambin ?
D’où lui venait ce don de plaire ?
Faut-il le dire, hélas ! son agaçante main,
Pardonnez-moi ce langage vulgaire,
Leur faisait voir un gros morceau de pain.
Sur le gazon d’abord il lança quelques miettes,
Que mes oiseaux couraient se disputer.
Puis, plus près de la grille il risqua ses boulettes ;
Et les gloutons encor vinrent les becqueter.
Bientôt, pour rapprocher leur troupe parasite,
Il leur tend la pâture au bout de ses dix doigts ;
Et, plus timide cette fois,
Le peuple aile se consulte, il hésite ;
Mais, s’il recule un pas, il en avance deux ;
Et bientôt un pigeon des plus aventureux
Saute, enlève sa proie, et s’échappe au plus vite.
Le succès l’encourage, il revient et soudain
D’autres s’élancent à sa suite.
Bref, sur l’épaule du gamin,
Sur sa tête et ses bras ils se posent enfin,
Sans que la moindre peur tes trouble et les agite.
Mais tout finit, surtout le pain ;
Et, l’enfant ne donnant plus rien,
Tous mes oiseaux prirent la fuite.
Du jeune Amphitryon dont ils prenaient congé, ·
Ses compagnons raillaient la tristesse profonde,
Quand un promeneur plus âgé
Lui dit « Consolez-vous, c’est ainsi qu’est le monde !
« Si, par le Dieu qui règle l’avenir,
« Dans les conseils d’un roi votre place est marquée,
« Des oiseaux plus gourmands viendront vous assaillir ;
« Et vous n’oublîrez pas que, pour les retenir,
« Il faut toujours leur donner la becquée. »