Funérailles de M. Duval-Pineu

Le 12 janvier 1842

Jean-Pons-Guillaume VIENNET

DISCOURS DE M. VIENNET

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. DUVAL-PINEU,

Le 12 janvier 1842.

AU NOM DE LA COMMISSION DES AUTEURS DRAMATIQUES.

 

Oui, Messieurs, ce fut une belle et illustre vie que celle qui vient de s’éteindre. Ce n’est pas seulement un auteur célèbre, c’est un homme au cœur droit, un ami vrai, un confrère à jamais regrettable que nous venons déposer dans cette tombe. Honoré depuis longtemps de son amitié, j’ai pu apprécier ce caractère d’honneur et de loyauté que la nature lui avait départi, et que n’avait point altéré le commerce des hommes. Quelque douleur que j’éprouve, je rends grâces à la commission des auteurs dramatiques de m’avoir confié la mission de rendre cet hommage public à un confrère qui était une des gloires de notre association.

Né dans une province oh la franchise est l’apanage de tous, Alexandre Duval n’aurait pu dissimuler sa pensée. Sa parole était l’expression fidèle de ses sentiments ; et si quelquefois il s’y mêlait un peu de rudesse, c’est qu’il était passionné pour la justice, et que dans sa longue carrière il avait assisté trop souvent au triomphe de l’iniquité et du mensonge. Il ressentait les torts faits à autrui comme s’ils lui étaient personnels ; et s’il ne déguisait point le ressentiment de ceux qui le frappaient dans son intérêt ou dans sa gloire, c’est qu’il y voyait moins un préjudice pour lui-même que la violation du principe de justice dont il avait fait la règle de sa vie.

Aussi ne pouvait-il être et ne fut-il pas un de ces écrivains, trop communs dans tous les siècles, qui doivent leur renommée et leur fortune à l’intrigue. Duval n’avait pas besoin, pour s’élever, de ces pratiques secrètes que réprouvent l’honneur et la conscience. Il est du petit nombre de ceux qui, en contribuant à la gloire de leur temps, prennent rang parmi les gloires de tous les siècles, et qui, laissant sur leur route tant de réputations usurpées, tant d’illustrations mensongères, atteignent à cette renommée durable que la postérité seule décerne et que le temps accroit sans cesse. Duval ne dut qu’à ses ouvrages l’estime et l’admiration de ses contemporains. Son talent était, comme son caractère, franc et loyal, quelquefois un peu âpre, mais toujours vrai comme la comédie doit l’être ; vous savez avec quel charme, avec quelle vérité il a su peindre toutes les grandes et petites passions, depuis la coquetterie et ses frivoles caprices jusqu’à l’ambition et aux vices élevés que trop souvent elle excuse aux yeux du vulgaire.

Cette ambition, il ne la connaissait que pour l’avoir observée dans les autres, car il ne connut jamais que celle de la gloire littéraire. Mais l’absence de l’autre ambition ne suffit pas toujours. Il y a de la fatalité dans la vie de tous les hommes. Ils ne sont pas toujours libres d’obéir à leur vocation première. Duval fut assez heureux pour que le destin ne vint pas le chercher dans le sein de l’étude, ne vint pas l’arracher à ses travaux littéraires, pour le jeter dans le tourbillon du monde politique, dans cette arène où luttent avec tant de violence les plus grandes passions de l’homme, où les dissidences se transforment en haines, les amitiés même en rivalités, où les triomphes les plus éminents sont si fréquemment suivis de mécomptes et de regrets, et si rarement accompagnés de jouissances paisibles.

Sa vie ne fut pas pour cela exempte de trouble ; mais ses chagrins furent tous littéraires comme son existence, et Duval ne pouvait en connaître d’autres. Cette philosophie qui respire dans ses grandes compositions, il la retrouvait dans son cœur quand il avait besoin de l’opposer à des revers de fortune: et comme époux et père il lui fut donné de connaître, d’épuiser toutes les jouissances que le ciel attache à ces deux conditions de la vie humaine ; mais il s’affligeait, pour son pays et pour son siècle, des témérités de cette littérature aventureuse qui se jouait des règles et des doctrines, de cette anarchie littéraire qui pensait détrôner les maîtres de l’art et les rois de la scène. Il s’en indignait comme d’un sacrilége. Celui qui avait commencé sa carrière d’homme en combattant les ennemis de son pays la finissait par d’autres combats contre les ennemis du gord et de la vérité.

Rassure-toi, Duval, rassure-toi pour tes maîtres et pour toi-même. Si, dans tes colères, dont je fus témoin, il a pu entrer quelque appréhension pour les fruits de ton génie, rassure-toi. Les générations futures ne protesteront pas contre les hommages rendus par les générations passées. L’admiration des siècles ne peut être une erreur ni un caprice. La vogue ne prévaudra point contre la gloire, ni l’hérésie contre la foi. Ceux qui en ont souffert comme toi auront comme toi les consolations de l’avenir. Ceux qui en ont triomphé en gémiront un jour comme d’un temps perdu pour leur gloire. Rassure-toi, les novateurs passeront, tes œuvres ne passeront pas. Elles resteront comme un monument de notre siècle. Adieu, Duval, accepte cet augure que justifie la pureté de ta renommée; accepte les regrets de tes contemporains, de tes émules, de tes amis. Le nombre en est grand : il se compose de tous ceux qui t’ont connu !