Inauguration du monument élevé à la mémoire de François Coppée, à Paris

Le 5 juin 1910

Jean AICARD

INAUGURATION DU MONUMENT ÉLEVÉ
À LA MÉMOIRE DE FRANÇOIS COPPÉE

A PARIS

Le Dimanche 5 juin 1910.

DISCOURS

DE

M. JEAN AICARD
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

MESSIEURS,

Il y a deux ans, nous étions réunis, ici même, sur cette place Saint-François-Xavier, autour du cercueil où la mort venait de coucher ce poète, aussi aimé qu’admiré, notre François Coppée. Et aujourd’hui, voici que sur ce même point du sol de Paris, nous le retrouvons debout et souriant, en pleine gloire.

C’est aujourd’hui sa fête par-dessus la mort, et — peut-être plus encore qu’à l’heure de ses funérailles — nous nous sentons non seulement rapprochés dans l’amitié et dans l’admiration qu’il nous imposait, mais unis, de cœur et d’esprit, dans les pensées qui furent les siennes, et que son œuvre a glorifiées.

Ce qui éloigne les uns des autres les misérables vivants, ne les tient vraiment séparés que dans la vie conventionnelle et pour un temps très bref. Le malentendu humain n’est souvent que dans les mots. Ce sont les formes qu’on donne à la pensée qui sont ennemies, et qui créent les hostilités ; mais la mort, la mort surtout, a vite fait, quand cela lui convient, de nous montrer partout où nous sommes tous pareils d’aspirations... comme d’impuissance ! Elle éclaire les mêmes choses d’une tout autre lumière. Les yeux des mourants sont des yeux qui s’ouvrent ; ces yeux-là ne se fixent plus que sur l’essentiel. Et ceux qui voient mourir sentent passer en eux le même éclair de vérité finale. Au fond, tous les pauvres humains désirent les mêmes justices, les mêmes bontés.

Demandez à tel ou tel de ces adversaires acharnés quelle cause ils échangent l’humiliante invective ? vous apprendrez que c’est pour défendre ou pour affirmer la dignité humaine ! De quoi tels autres disputent-ils jusqu’à se torturer ? N’est-ce pas, en vérité, sur les moyens les plus efficaces de réaliser un peu de bonheur ? Ne voyons-nous pas enfin qu’on ne se combat avec férocité que parce qu’on n’est point tout à fait d’accord sur les chemins à suivre pour atteindre à la douce paix, sainte promesse de l’Évangile ?

Ainsi s’agitent les hommes ; mais il y a, dans les profondeurs de la conscience humaine, un lieu où les idées et les sentiments sont éprouvés avant d’être exprimés ; là, ils n’ont encore aucuns vêtements, ni de parade, ni de combat ; et là, si on le veut bien, on aperçoit qu’ils se réduisent tous à n’être qu’une substance identique, et l’unité même de l’âme humaine, — à savoir : humilité involontaire et respect imposé devant le mystère obstiné qui nous domine, — amour des êtres dont nous sortons, et du sol même qui a nourri notre race, — indestructible espoir, par delà les colères et les batailles ; espoir quand même, d’une humanité plus haute, meilleure, plus aimante.

Et voilà ce que, en tout temps, de toutes ses forces, a voulu servir notre poète, notre cher, notre admirable François Coppée, — héroïquement chrétien, chevaleresquement français, et enfin si simplement homme.

Messieurs, ce monument que nous inaugurons est une consécration si définitive de la charmante et pure gloire de Coppée, que je ne crois pas avoir à refaire ici, au nom de l’Académie française, l’éloge d’une œuvre poétique qu’elle a de tout temps applaudie et de bonne heure consacrée.

D’ailleurs, l’héroïsme de cet homme devant la douleur et devant la mort, sa longue et sereine patience, la qualité de sa gloire enfin, le placent désormais dans une région où les plus vifs éloges restent insuffisants, s’ils ne sont que littéraires.

Oui, Messieurs, certains hommages, tel celui qu’au jour des funérailles apporta à François Coppée le peuple de Paris, ne s’adressent pas à un simple faiseur de chansons, frit-il le plus habile des sertisseurs de mots, le plus prestigieux des jongleurs de rimes. Une patrie, une race, une humanité ne se reconnaissent et ne s’aiment dans un poète que si ce poète a su chérir lui-même humanité, race, patrie.

François Coppée a aimé véritablement le peuple — dont il a dit les humbles joies, les grandes douleurs et les grands amours, dans une forme rythmée qui a su retenir l’admiration des lettrés subtils, tout en devenant populaire, et elle obtint ce double succès parce que, simple et claire, elle est essentiellement française.

Or, par-dessus tout, Coppée a aimé et chanté Paris. Et c’est pourquoi il fallait qu’une place publique lui fût consacrée dans Paris. Son effigie fait maintenant partie intégrante de la Cité. Son piédestal est désormais pierre indestructible parmi les pierres qui sont scellées dans la terre française. Sa statue est un morceau du sol de France ; et, ainsi matérialisée, la gloire du poète devient l’un des traits caractéristiques du cher visage de la patrie.

Au pied du jeune monument de François Coppée, l’Académie française dépose avec fierté une palme, — symbolique entre toutes celles que le peuple de Paris élève vers lui, — une des palmes toujours vertes qui gardent les noms de vieillir.