Discours prononcé lors de la remise des Grands prix des fondations de l'Institut de France

Le 14 juin 2006

Gabriel de BROGLIE

Remise des Grands prix des fondations de l’Institut de France

 

Allocution de M. Gabriel de Broglie,
de l’Académie française,
Chancelier de l’Institut

Mercredi 14 juin 2006

 

 

L’Institut de France tient désormais, sous cette coupole tricentenaire, deux séances annuelles. L’une est traditionnelle, c’est la séance de rentrée des cinq Académies qui, depuis le XIXe siècle, se tient le mardi le plus proche du 25 octobre, jour anniversaire de son organisation, et au cours de laquelle les délégués des Académies viennent traiter, dans ce double hémicycle où siège le parlement des savants, chacun selon sa manière, un thème commun qui illustre notre mission première, « concourir au perfectionnement et au rayonnement des sciences, des lettres et des arts ».

C’est un tout autre visage de l’Institut qu’offre la cérémonie de ce jour, au cours de laquelle seront remis les Grands Prix des Fondations. Un visage si nouveau que Monsieur Pierre Messmer en ouvrant en qualité de Chancelier de l’Institut pour la première fois la séance de l’an dernier à cette même place n’a pas hésité à qualifier cette nouveauté à juste titre de « révolution ». Non pas que l’existence de fondations abritées par l’Institut de France et les Académies soit une nouveauté. Elles existaient depuis longtemps, sous la forme de fondations-musées, de fondations littéraires et philanthropiques. Ce qui a changé dans les dernières années, ce sont les moyens considérables mis à la disposition de l’Institut de France pour intervenir dans les domaines scientifique, culturel et humanitaire. Au point que le changement quantitatif a entraîné une mutation qualitative.

Si la traditionnelle séance de rentrée des Cinq Académies est la simple projection de nos pensées vers l’extérieur, la nouvelle séance des Grands Prix résulte de la rencontre des volontés, d’un concours de la générosité, de la confiance et du talent.

Générosité et confiance des mécènes tout d’abord, dans le sens devenu courant de celui qui donne. Ils ont décidé à travers l’Institut qui abrite leur volonté désintéressée, de donner à la France des moyens différents de ceux de l’Etat et indépendants des administrations, pour signaler, selon l’ancienne formule, “les succès distingués dans les arts, les belles actions et la pratique constante des vertus domestiques et sociales.” Beaucoup d’entre eux sont ici aujourd’hui. Je les salue avec respect. Je tiens à leur rendre hommage et à leur dire à tous publiquement, ayant pu rencontrer la plupart depuis que j’ai accédé aux fonctions de Chancelier, ma gratitude et mon admiration. Ils ont choisi d’offrir le fruit de leur labeur et de leur réussite, ils ont choisi de renoncer à jouir d’une opulence acquise puis recueillie avec les valeurs qui l’ont permise, pour les transmettre et permettre à d’autres de poursuivre leur œuvre ou leurs actions exemplaires. Cette séance solennelle est la leur. Elle est destinée à honorer leurs intentions. Je les en remercie chaleureusement de nouveau. Ils constateront dans un instant que leur choix a été judicieux et que nous avons redoublé d’efforts pour nous montrer dignes d’eux dans l’accomplissement des tâches qu’ils nous ont confiées.

Générosité et engagement de ceux-là même qui sont récompensés, qui consacrent leur vie à établir la concorde entre les hommes, à soulager les souffrances d’autrui, à poursuivre la conquête de nouveaux savoirs pour aider l’homme à vivre mieux. A ces chercheurs, à ces savants, à ces hommes ou à ces femmes que leurs tâches ou leurs initiatives fécondes accaparent, je veux dire aussi mes sentiments de profonde gratitude. Ils sont loin des idoles médiatiques des temps modernes, ils sont les vrais héros à montrer en exemple à la jeunesse de notre pays et des vieilles nations de notre jeune Europe.

Je veux enfin saluer mes confrères de l’Institut. C’est pour la qualité de leur expertise, leur rigueur intellectuelle, leur dévouement au service de l’intérêt général, leur réputation internationale, que les mécènes se tournent vers l’Institut pour entreprendre et réaliser leurs volontés généreuses. C’est à leur liberté d’esprit et à leur soif de transmettre l’étincelle qui a brillé en eux qu’est dû le choix des lauréats qui vous seront présentés tout à l’heure.

Si l’on recherche quels sont les ressorts qui conduisent les mécènes à abriter à l’Institut une fondation, on voit qu’ils sont nombreux et que tous dépendent d’une cause unique : l’indépendance de l’Institut et des Académies, qui est leur raison d’être même, et qui est garantie à la fois par leurs traditions, par leur statut et par leur prestige.

Je me bornerai à énumérer quelques-unes des raisons qui peuvent amener à placer sa confiance dans notre institution.

-  La souplesse dans la forme que peuvent prendre les Fondations : qu’elles soient appuyées sur un capital ou sur des ressources renouvelées annuellement, une Fondation reste avant tout un contrat entre deux parties, dont les termes sont consacrés par le Conseil d’État.

-  Le gage de la pérennité. Tel est bien le moins que puissent promettre des « Immortels ».

-  La rigueur dans la gestion des fonds, qui est placée sous le seul contrôle de la Cour des Comptes.

-  L’exécution scrupuleuse des volontés des fondateurs.

-  La qualité de l’expertise rendue et du travail accompli par les jurys sous l’autorité de membres qualifiés des Académies.

C’est cette dernière richesse, notre seule richesse à vrai dire, qui est et demeure la pierre d’angle de la dimension nouvelle de notre activité. En effet, l’afflux de nouvelles Fondations a modifié la place qu’occupait l’Institut de France dans le domaine du mécénat en France. Il en est maintenant un des acteurs importants en appui appréciable aux objectifs d’intérêt général poursuivis par les pouvoirs publics. D’une mission de « savoir » et de « faire savoir », l’Institut a progressivement évolué vers une mission de « donner le pouvoir de faire ». C'est-à-dire, le plus souvent « le pouvoir d’innover ». Seules la vaste information, la qualité de jugement et la haute intégrité de mes confrères peuvent assurer que notre participation au rayonnement des sciences, des lettres et des arts s’opérera dans les meilleures conditions, au profit de la collectivité.

Car, nous n’oublions jamais que nous sommes au service de la Nation. Si le travail de l’esprit est par nature cosmopolite, si l’horizon du chercheur est toujours celui de la vérité et de l’universel, nous nous devons toutefois de ne pas négliger que nous œuvrons dans le cadre national. Nous n’avons pas d’exclusive et nos lauréats peuvent être de toutes nationalités mais c’est aussi pour nous un devoir d’aider ceux qui, dans notre pays, conçoivent et élaborent l’avenir. Dans un contexte élargi de mondialisation et d’ambition pour notre pays, nous entendons être à la hauteur de nos responsabilités nouvelles.

Avant de laisser la parole à mes confrères, pour qu’ils nous exposent les qualités des lauréats de cette année, permettez-moi de les remercier encore de leur dévouement et de redire au nom des lauréats nos sentiments renouvelés de gratitude aux fondateurs et aux fondations qui vont, tout autant que les lauréats, être à l’honneur maintenant.