Inauguration d’une statue équestre élevée en l’honneur du maréchal Foch, à Lille

Le 24 mai 1936

Maxime WEYGAND

Inauguration d’une statue équestre élevée
en l’honneur du maréchal Foch

A LILLE

Le dimanche 24 mai 1936

DISCOURS

DE

M. MAXIME WEYGAND
DÉLÉGUÉ DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

 

Il y aura bientôt huit ans, la grande voix de Monsieur Gabriel Hanotaux s’élevait, à Cassel, pour apporter au maréchal Foch, sur ce tertre dominant la riche plaine des Flandres que protégea son génie, l’hommage de l’Académie française. Vers celui dont l’âme intrépide planera toujours sur ces régions, monte aujourd’hui un nouveau tribut de reconnaissance. L’Académie française s’y associe, avec plus de ferveur peut-être qu’à tout autre, en raison de l’inspiration qui lui donna naissance et des sentiments dont il restera le symbole:

Ce monument porte l’écusson de l’Union Nationale des Anciens Combattants, parce que c’est, leur volonté fidèle et persévérante qui l’a dressé. Dans sa pierre, sont également gravées les armoiries de la Flandre, de l’Artois et de la Picardie, si rudement éprouvées, dont plus de cinq cents communes ont voulu concourir à son érection. Il est à la fois le monument des anciens combattants et celui des provinces du Nord.

Vous ne pouviez, Messieurs, donner, à votre témoignage de gratitude envers le maréchal Foch, une signification qui lui fût allée plus directement au cœur s’il était. encore au milieu de nous, et dont il s’émeuve plus profondément s’il est permis à ceux que nous pleurons de n’être pas insensibles aux élans de notre fidélité.

 

Pour rappeler quel fut le constant souci du maréchal Foch, touchant les pays du Nord, il me suffit d’interroger mes souvenirs. Lorsque, après la Marne, le général Joffre voulut barrer la route à la vague allemande, morte devant Paris mais qui déferlait à nouveau sur Calais, il appela celui qui venait de faire preuve, aux marais de Saint-Gond, d’autant de résolution que de hauteur de vues. Quelques heures après, dans la nuit magnifique du 5 au 6 octobre, le général Foch remontait à toute allure, de Châlons, vers le Nord. S’il allait, selon ses paroles, « à de nouvelles destinées », il pénétrait dans un domaine bien connu de lui. Il savait, et il aimait à rappeler, que le sort de l’Europe s’était, au cours de l’histoire, souvent décidé dans les plaines du nord, à Bouvines, à Denain, à Waterloo. Il savait que, « de tout temps, cette région de parcours facile, et sans reliefs sérieux, fut la route d’invasion de l’Europe centrale en marche vers l’Occident, le terrain de rencontre où se jouèrent les destinées du vieux monde ». Son esprit se haussait sans effort au niveau des grandes responsabilités qu’il sentait inéluctables dans cet éternel champ clos de nos luttes décisives. Ainsi se trouva-t-il de taille à les assumer avec une maîtrise sans pareille.

Pour mesurer la tragique situation de nos armées, il faut se reporter à cette première quinzaine d’octobre, lorsque les masses allemandes se hâtaient dans la direction qui s’ouvrait, libre encore, vers nos ports. Anvers était tombée. L’armée belge, en retraite, longeait la côte, conduite par son Roi sans peur et sans reproche et résolu à défendre le dernier lambeau de Belgique. L’armée britannique remontait, du lointain Tardenois, vers les Flandres., pour y couvrir directement ses communications. De tous les points du front, accouraient des unités françaises poussées à la rescousse.

Quelques jours après, toutes ces forces, éparses sur une immense étendue, étaient réunies, soudées face à l’ennemi. Elles constituaient une digue cimentée par la clairvoyance et l’indomptable énergie du général Foch. Leurs drapeaux s’auréolaient d’une gloire immortelle en arrêtant, définitivement cette fois, après une lutte acharnée, le flot allemand.

De même, lorsqu’au mois d’avril 1918 une offensive allemande tente d’en appeler, dans le Nord, de l’échec éprouvé devant Amiens, le commandant en chef des armées alliées y court. Il y déploie les ressources toujours nouvelles de son esprit et de sa volonté. Comme les réserves anglaises s’épuisent, il y jette des divisions, puis une armée française, et l’ennemi ne passe pas. Mais l’alerte a été chaude, la plus chaude de toutes, certainement, dans le souvenir du maréchal. Aussi ne cessera-t-il jamais de veiller et de se tenir prêt à intervenir du côté du Nord. Ce fut à juste titre, car nous savons aujourd’hui que, jusqu’au jour où notre offensive victorieuse et continue lui interdit toute initiative, le commandement allemand conserva l’espoir d’y trouver une décision qui, par deux fois, lui avait, échappé.

Ainsi, chaque fois qu’au cours de la lutte la région du Nord se trouva mise en péril, et avec elle de grands intérêts et des nécessités stratégiques supérieures, le maréchal fut là pour inspirer, coordonner ou raffermir l’héroïque effort des armées françaises et des armées alliées. Sa volonté éclairée et souveraine sut maîtriser les événements.

C’est maintenant vers ceux qui ont marqué ce socle de leur signature, vers les anciens combattants, qu’il convient de se tourner, car c’est un devoir de les remercier. Est-il possible de mieux le remplir qu’en leur apportant le témoi­gnage de la confiance que le Grand Chef ne cessa jamais d’avoir en eux, en essayant aussi de leur faire sentir quel inébranlable appui il trouva dans cette confiance. Nourri de notre histoire, il savait de quel dévouement se montra, dans tous les temps, capable le soldat français, et quels actes d’héroïsme ou d’abnégation ont su lui inspirer son ardent amour de la Patrie. Mais il n’ignorait pas le prix qu’un tel esprit de sacrifice, un tel oubli de soi-même réclament impérieusement, en retour, de ceux qui ont l’honneur de les commander. Lorsqu’avant la guerre il travaillait à former des générations d’officiers, il leur disait : « C’est le peuple entier qui s’arrache à ses pacifiques occupations pour tenter la fortune des armes, pour leur demander ses destinées à venir. Au moins ne veut-il pas de déception. C’est la victoire qu’il réclame de son corps d’officiers, de son état-major, de son commandement. » Cette pensée ne cessa jamais un moment, au cours de la guerre, d’être présente à son esprit. Lorsque, dans les plus graves circonstances, il méditait une décision devant ses grandes cartes, il sentait autour de lui tous ces combattants qui étaient la substance, la vie, l’âme de ces petits cercles représentant les divisions, et, derrière eux, les siens déjà tombés, et les grandes ombres de tous ceux qui, au cours des siècles, ont souffert et sont morts pour la grandeur de la France. Il les entendait lui dire : « Va, nous nous sommes levés à l’appel du Pays. Nous avons quitté tout ce que nous aimons. Nous savons que beaucoup d’entre nous ne le retrouveront plus jamais. Du moins, que tout cela ne soit pas vain. Ne nous fais pas tuer pour, après cela, reculer. Nous voulons bien mourir, mais sois vainqueur. » Plusieurs fois, s’arrachant à ses méditations, l’esprit et le cœur encore émus des rencontres qu’il y avait faites, il m’a dit ces paroles : « Réfléchissez à quelle hauteur doit s’élever le Commandement, pour être digne de tels Soldats. » Je vous les redis. Peut-il être de plus bel hommage ?

On s’est souvent demandé sur quelles bases reposait l’imperturbable confiance du maréchal. Certains, ignorant tout de lui, en ont fait une sorte d’illuminé mystique et incompréhensible. Rien de tel dans ce grand Français au génial bon sens, ardent, mais calme et mesuré. Le secret de sa force résidait dans sa science et dans sa foi : foi en Dieu, foi dans le destin de la France. Mais cette foi n’était pas aveugle. Le maréchal connaissait les hommes et la part qu’il y a, même chez les meilleurs, de sublime et de misérable. Dans ceux qui prétendent les conduire, les uns s’adressent à ce qu’ils portent en eux de médiocre ou de bas ; ils se font écouter, car leur besogne est aisée. Mais ils ne tirent à leur suite, lorsqu’ils ne sont pas traînés par elle, qu’une masse d’êtres nivelés à la taille des plus petits et incapables de grandes actions. Les autres, les vrais conducteurs d’hommes, frappent plus haut ; ils parlent à ce qu’il y a de noble dans tout être humain ; ils enseignent à chacun à se mieux connaître soi-même, à vouloir, par une noble émulation, être supérieur dans le dévouement, tout en acceptant d’être égal dans le sacrifice. La tâche est phis ardue, car elle réclame d’autres vertus. Mais ainsi, et seulement ainsi, se forment et s’élèvent ces sociétés, ces nations — magnifiques parce que leur force s’alimente une source inépuisable dans lesquelles les chefs grandissent leurs compagnons de route et de labeur, en exaltant ce par quoi ils valent : et en leur donnant le goût de valoir davantage, et puisent eux-mêmes, dans la qualité toujours accrue de ceux qu’ils conduisent, la force de surmonter l’adversité et d’atteindre les sommets. Si la défense du pays rend la guerre inévitable, les armées sont, alors invincibles. Mais il y a mieux encore. Lorsqu’une nation reste digne de son passé et demeure fidèle à son idéal, à ses grands devoirs, sa puissance morale et, matérielle est telle qu’elle écarte d’elle les menaces, et, c’est, dans la paix dans une paix de dignité et d’honneur — qu’elle peut former et poursuivre les plus généreux desseins. Tel est le sens de la phrase lapidaire que vous avez immortalisée sur ce monument.

 

Le maréchal Foch fut, un de ces chefs, à la fois intrépide et humain. Votre âme anxieuse l’interroge, et, vous dégagez, de ses enseignements et de sa vie, la réponse attendue. Il ne peut être de meilleure ligne de conduite : s’unir pour accepter et suivre les hautes et rudes disciplines que commande notre idéal sacré, le bonheur et la grandeur de la France.