Rapport sur les concours littéraires de l'année 1951

Le 20 décembre 1951

Georges LECOMTE

Rapport sur les concours littéraires

SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

DU JEUDI 20 DÉCEMBRE 1951

DE

GEORGES LECOMTE
Secrétaire perpétuel

 

 

 

L’année dernière, l’Académie française a tenu pour un devoir de s’associer, activement, par sa présence et les discours de ses représentants, à toutes les cérémonies commémoratives organisées, dans certaines villes de province comme à Paris, lors du centenaire de la mort de Balzac, afin de célébrer le génie et l’œuvre du puissant créateur de la Comédie humaine.

 

En 1942, ç’eût été avec ferveur qu’elle aurait honoré la mémoire de Stendhal, si la douloureuse angoisse dans laquelle vivait alors la France, et la lutte clandestine contre l’envahisseur n’avaient pas dominé sa pensée. Quels regrets nous avons eus de ne pouvoir manifester publiquement notre admiration pour le fin et pénétrant psychologue, pour la langue sobre, directe, précise de l’auteur du Rouge et Noir, de la Chartreuse de Parme, et de tant d’études incisives et sensibles sur l’homme, la société et les arts.

Du moins, nous sommes heureux d’avoir, cette année, une occasion de lui rendre hommage et d’exprimer l’opinion de l’Académie en couronnant le vaste, judicieux et très important ouvrage, récemment paru, de M. Henri Martineau, intitulé : L’œuvre de Stendhal, et portant comme sous-titre : « Histoire de ses livres et de sa Pensée ».

Après avoir débuté dans la vie des Lettres par des volumes de vers d’un délicat sentiment poétique, qui lui valurent l’honneur, à un concours de poésie, d’être l’élu d’un jury composé de Jean Moréas, d’Henri de Régnier, d’Emile Verhaeren, puis ayant fondé la revue Le Divan, qui ne tarda pas à se compléter par une très active maison d’édition, M. Henri Martineau, sans délaisser l’art des vers, se mit à écrire en prose quelques volumes sur la vie et l’œuvre de certains écrivains contemporains. Dans sa jeune ferveur littéraire, il alla jusqu’à choisir comme sujet de thèse pour son Doctorat : Le Roman scientifique d’Émile Zola : La Médecine dans les Rougon-Macquart. Bientôt il est irrésistiblement attiré par les romans de Stendhal, par ses attachantes évocations des plus glorieuses villes italiennes et des grands peintres qui y vécurent. Et, dès 1914, il lui consacre un premier livre qu’il intitule : L’Itinéraire de Stendhal.

Fasciné par cette grande figure, il s’applique désormais à la mieux connaître, à élucider ce qu’il y avait encore d’un peu secret et de mystérieux en elle.

Sachant que certains héritiers, des parents ou amis de Stendhal possédaient de lui des pages inédites, qu’en Italie comme en France, plusieurs bibliothèques publiques ou privées gardaient des manuscrits inconnus des lecteurs M. Henri Martineau partit avec entrain à leur découverte. Il commença par inventorier les richesses qu’il était sûr de trouver à la Bibliothèque de Grenoble, ville natale d’Henry Beyle — le Stendhal de plus tard —. En furetant parmi les amas de papiers rassemblés dans cette Bibliothèque, M. Henri Martineau a la bonne surprise de découvrir des textes de Stendhal, des plans ou débuts de romans inachevés, maintes pages révélatrices de sa pensée que, selon ce qu’on appela « sa manie écrivante », il éprouvait le besoin d’écrire pour lui-même afin de fixer ses réflexions et observations. M. Martineau fut bien plus étonné encore lorsque, feuilletant les exemplaires personnels des livres de Stendhal publiés de son vivant ; il y trouva, en de nombreuses pages, des modifications — la plupart très justifiées — faites de la main de l’auteur et que, sans doute, celui-ci notait pour mieux préciser ses idées et souvenirs en vue de rééditions éventuelles.

Ce furent autant de solides supports pour l’édifice stendhalien que, dès lors, M. Henri Martineau se proposa de construire dans sa librairie du Divan, et auquel de 1924 à 1951 — soit 27 ans — il consacra presque exclusivement son activité littéraire.

Son premier soin fut de faire une édition nouvelle des ouvrages de Stendhal déjà parus, en tenant un judicieux compte des corrections inscrites par l’auteur en marge de son texte imprimé. Après quoi, avec interprétation des travaux et remarques des bons écrivains qui, avant lui, s’étaient occupés de l’œuvre stendhalienne, il fit paraître successivement tous les textes recueillis, çà et là, qui n’avaient pas encore vu le jour. C’est ainsi qu’il parvint à publier un plus grand nombre de volumes qu’il n’en était paru du vivant de Stendhal.

Et nous devons à M. Martineau un apport encore plus personnel par ses études critiques, riches de commentaires, que sont ces volumes : Stendhal inconnu, Petit Dictionnaire Stendhalien, Le Calendrier de Stendhal, Nouvelles soirées du Stendhal-Club ; enfin par ce livre de 600 pages : L’Œuvre de Stendhal, qui est l’occasion de l’hommage que nous lui rendons aujourd’hui en même temps qu’à l’auteur du Rouge et Noir.

Avec quel souci de vérité il nous parle du caractère ombrageux et susceptible de Stendhal, de son esprit caustique, de son scepticisme apparent, dissimulant les blessures fréquentes d’une sensibilité très vive, de ses sourires et paroles d’ironie. M. Martineau nous rappelle que Stendhal, nourri des idées du XVIIe siècle, fut d’abord hostile au premier Romantisme, qui était monarchiste et, sous l’influence de Chateaubriand, religieux ; et que, au contraire, il s’en approcha lorsque, sous des influences nouvelles, le Romantisme devint libéral, mais que, après comme avant, il exécra toujours l’emphase, la boursouflure, la truculence de certains adeptes de cette École.

M. Martineau loue la fine psychologie, les analyses subtiles et pénétrantes où Stendhal ne s’abandonne jamais longuement, car, pour lui, les personnages d’un roman doivent se révéler par leurs actes et paroles beaucoup plus que par l’intervention de l’auteur. Pour la même raison Stendhal, cependant très sensible aux beautés de la nature et aux émotions que les hommes en retirent, ne s’attarde jamais aux minutieuses descriptions de décor ou de paysage. Entraîné par le mouvement de son récit, il les écourte volontairement.

Et il fut un apôtre de l’énergie : M. Martineau ne manque pas de nous le rappeler. D’autre part, le mot « égotisme », qu’il empruntera à la langue anglaise pour le faire nôtre, ne signifiait pas pour lui — comme d’ailleurs maintenant pour nous — ce vaniteux abus de « Je » et de « Moi » du personnage desséché qui ne pense qu’à soi. Stendhal applique, avant tout, le conseil reçu de son grand-père, le docteur Gagnon, qui préconisait, comme règle de vie, le « Gnôthi seauton » socratique ; et Stendhal veut qu’on s’efforce de se bien connaître pour devenir l’homme que l’on rêve d’être, puis, pour acquérir, avec cette méthode, le moyen de mieux connaître les hommes, curiosité qui se manifeste dans toute son œuvre. Maurice Barrès, qui admirait en lui un excitateur d’énergie, n’a-t-il pas repris avec son « Le Culte du Moi », cette idée « d’égotisme » dans le sens stendhalien, par la vertu duquel il voyait pour chacun de nous une source d’enrichissement intellectuel et moral.

M. Henri Martineau explique à merveille que l’étude de l’humain avait amené Stendhal à croire que le but constant de l’homme était la recherche du plaisir, c’est-à-dire, sous une forme plus élevée, avec de nobles sentiments, la « chasse au Bonheur » et, comme il disait dans son livre Racine et Shakespeare, « la Vertu est le chemin le plus probable du Bonheur ».

Sur certains points, — M. Henri Martineau nous le fait justement sentir — Stendhal peut apparaître un précurseur d’Hippolyte Taine. N’a-t-il pas très nettement saisi que l’être humain — quels que soient ses créations, ses actions, son rôle dans la vie — est, pour une large part, le produit du sol, du climat, des mœurs, du milieu où il est né, où il a vécu. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles Taine l’a si bien compris et a si élogieusement parlé de lui.

Par ce que Stendhal a écrit sur l’éducation des femmes, il peut apparaître aussi comme un précurseur dans un autre domaine : celui du féminisme, aujourd’hui presque partout victorieux. M. Henri Martineau nous remet en mémoire que l’un des tout premiers, Stendhal a demandé que les femmes ne soient pas seulement en état de « connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse », mais aient le droit d’accéder à ce que nous appelons aujourd’hui la culture. Et il contestait l’argument que l’instruction ferait négliger aux femmes les soins du ménage, leurs devoirs de mère.

M. Henri Martineau nous annonce que son dessein est à présent de se pencher sur « le cœur » de Stendhal. Le très vif intérêt que nous avons pris à la lecture de ses précédents ouvrages nous donne la certitude qu’un nouveau plaisir nous attend.

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Le Prix du Roman a été attribué à M. Bernard Barbey, pour son livre : Chevaux abandonnés sur un champ de bataille, titre un peu bizarre, qui s’explique dans le récit par un épisode de guerre dont deux des héros sont les spectateurs et qui, à leur tour, resteront seuls après avoir encouru les dangers des combats de la vie. Mais n’anticipons pas.

Dès son premier roman : Le Cœur gros, M. Bernard Barbey s’affirmait comme un observateur des sentiments humains, au regard aigu, servi également par un sens intuitif subtil. Son habileté à saisir des nuances d’âme, d’impressions nerveuses, s’est aussitôt retrouvée dans la Maladère et le Crépuscule du Matin. Cette fois son roman offre un cas de singulière confusion, celle d’une imagination qui recrée une morte auprès d’une vivante. C’est l’obsession d’un homme qui, entre lui et la jeune femme qu’il épousa et dont il a aimé la mère, interpose sans cesse le souvenir de celle-ci.

Drame qui fait un peu songer au roman de Maupassant Fort comme la mort où la jeunesse de la fille est comme une réplique de la jeunesse adorée de la mère et pousse au suicide l’amant de celle-ci. Cependant, le cas avec M. Bernard Barbey est différent par la situation, le cadre, les détails physiologiques, les développements, et par les réactions des personnages.

Son roman débute en 1945, pendant l’avance de l’armée française. Le lieutenant Pierre Boisselot doit rejoindre l’état-major d’un certain général. C’est seulement en arrivant à cette Division qu’il apprend le nom de son chef. La fatalité a voulu que ce soit le mari d’une femme qu’il a aimée avec toute la passion de ses vingt ans et qui est morte, pour ainsi dire, dans ses bras pendant l’exode. Il voudrait fuir, mais impossible. Son général l’a tout de suite pris en gré. Il faut le suivre. Dans l’Allemagne occupée celui-ci fait venir sa fille. Très séduisante, elle devient assez vite, mais par le fait de son initiative, la fiancée du séduisant Boisselot. Et c’est avant le mariage qu’elle découvre par hasard quels liens avaient attaché ce dernier à sa mère, et qu’il ne l’a pas oubliée. Loin de rompre, elle se tait en se persuadant, par une imprudence juvénile ou une sorte d’exaltation romanesque, que c’est une raison de plus pour l’aimer. Elle, qui ressemble tant à la disparue, remplacerait pour lui l’amour qu’il avait perdu.

Mais il ne peut se défendre de ce premier amour, et c’est une hallucination continuelle qui lui fait comme abolir la personne de la vivante sous la souveraineté de la morte. Ce qu’il avoue à sa jeune femme un jour qu’elle surprend qu’il la trompe — assez bassement d’ailleurs — croyant ainsi « s’exorciser ». Ce n’est pas à cause de cette trahison qu’elle renonce à vivre, mais parce qu’elle se sent la plus faible, la vaincue. Elle ne veut pas être « celle qui accepte, qui compose et qui ruse ».

Et les deux hommes, le père et le mari, demeurent seuls, liés dans leur deuil. Ils se comparent aux malheureuses bêtes qui se rejoignaient fraternellement dans leur solitude après la tragédie des combats.

Histoire douloureuse où les comparses ont aussi physionomie bien vivante, où les décors, les paysages ne sont pas négligés.

Ce bref résumé donne insuffisamment l’idée de la valeur du livre, des analyses finement poussées, des caractères qui prennent leur relief non sous de violents éclairages, mais par une lumière savamment projetée selon la marche des péripéties. Une langue d’une souple éloquence ajoute à l’intérêt de cette étude psychologique d’une rare qualité.

J’ajoute que les premiers chapitres nous placent dans l’atmosphère de la guerre finissante et offrent les détails les plus émouvants ou pittoresques.

M. Bernard Barbey, qui est né dans le canton de Vaud, s’installait à Paris en 1922. Il y fut un collaborateur de la Revue hebdomadaire. En 1939, il devint Chef d’État-major particulier du commandant en chef de l’armée Suisse. Mais revenu à Paris dès l’armistice, il est depuis chargé des Affaires culturelles de la Légation Suisse.

Nous sommes heureux de saluer en sa personne la noble et loyale Nation voisine qui n’a cessé de se montrer, durant nos épreuves, si généreusement attentive et humainement bienfaisante.

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Ce printemps, l’indépendance de l’Académie et son esprit de justice lui ont valu un legs destiné à la création de deux ou trois prix annuels bien dotés, auxquels nous avons donné le titre de Grand Prix d’Académie (Fondation Le Métais-Larivière).

C’est donc la première fois que nous les distribuons.

Par l’un de ces Prix, nous rendons hommage à l’œuvre, à la science, à l’enseignement, à l’activité littéraire et morale de l’éminent médiéviste Gustave Cohen, professeur honoraire à la Sorbonne, grand blessé de la guerre de 1914-18.

D’abord professeur de français à l’Université de Leipzig, puis à celle d’Amsterdam où il fit créer « la Maison de Descartes » en souvenir de tous les écrivains français qui vécurent en Hollande et, en particulier, de l’illustre auteur du Discours sur la Méthode — puis à la Faculté de Strasbourg et finalement à celle de Paris, M. Gustave Cohen a fait paraître dans les plus importantes Revues, en France et à l’étranger, ses études sur la littérature du Moyen-Age. Et comme son érudition s’accompagne du don oratoire, il a même multiplié à travers la France et le monde, sur ce même thème qui lui est familier, de très vivantes conférences qui, avec ses livres fort estimés, contribuèrent à établir sa réputation.

Il possède toutes les vertus et qualités pour mener à bien ces délicates enquêtes à travers plusieurs siècles, ces analyses de textes, dans une langue difficile, ces explorations dans un passé qui, sans être extrêmement lointain, n’est accessible qu’à des chercheurs dont le savoir est soutenu par beaucoup de conscience et de patience.

Son fameux ouvrage sur Chrestien de Troyes — fondateur du roman français, créateur de ce monde amoureux, mystique et guerrier dont la légende du Saint-Graal est le centre — fut fort prisé par Joseph Bédier, le célèbre historien de nos chansons de gestes. Plus tard, un ouvrage magistral : La Grande Charte du Moyen-Age, fut vanté, par notre confrère Émile Mâle qui a dit, avec la compétence et l’autorité qui lui appartiennent : « C’est tout le Moyen-Age ». Puis suivirent deux livres non moins précieux et remarqués : La Vie littéraire en France au Moyen-Age et, l’an dernier, une Histoire de la Chevalerie. Tout cela au milieu de maintes études publiées çà et là, en divers périodiques, sur des sujets relatifs à cette même époque.

Au cours de ses recherches et travaux, M. Gustave Cohen, après avoir porté son attention sur les leçons comiques des fabliaux, s’était surtout intéressé au Théâtre religieux du Moyen-Age, à la mise en scène et aux représentations des « Mystères ».

Ayant fait une adaptation du Miracle de Théophile, il persuada ses étudiants de représenter cette œuvre du trouvère Rutebeuf dont l’étude était à leur programme pour la licence. Comme ils étaient attachés à leur maître et se sentaient aimés par lui, ce fut avec plaisir qu’ils tentèrent cet effort. Comment n’auraient-ils pas suivi cet excellent professeur et animateur qui, dans ses rapports avec ses élèves, mettait en pratique le principe qu’il avait formulé pour lui-même « Aimer ce que l’on enseigne et ceux à qui l’on enseigne ». Noble parole d’un homme de cœur. Enchantés de leur entreprise sous la conduite de M. Gustave Cohen, ces jeunes gens jouèrent Le Miracle de Théophile dans l’amphithéâtre Louis Liard. Puis, saisis d’un joyeux zèle, ils représentèrent d’autres drames sacrés, mais, comme au Moyen-Age c’était la coutume, sur le parvis des Cathédrales, en France et à l’étranger. Les acteurs bénévoles de cette jeune troupe étaient si fiers de l’œuvre commune que, en souvenir de leur première tentative, ils se baptisèrent « Les Théophiliens ». Selon l’achèvement des études, les premières équipes d’interprètes se sont renouvelées. Mais les traditions affectueuses se sont maintenues. Les Théophiliens restent une famille autour de leur chef qui continue à diriger fraternellement leur travail théâtral.

M. Gustave Cohen qui, en 1914, s’était engagé comme simple soldat pour défendre la France, qui, devenu lieutenant et trois fois blessé grièvement, avait été décoré de la Croix de Guerre et de la Légion d’Honneur, puis réformé comme grand mutilé 100/100 ; ce professeur qui, dans la vie civile comme durant la guerre, faite par lui volontairement, n’avait cessé de servir la France sur son sol et dans d’autres pays, ce bon Français, en 1940, du fait des odieuses mesures racistes ordonnées par les Allemands, fut privé de sa chaire à la Sorbonne.

Ne pouvant plus marcher, contraint d’être conduit en voiturette aux lieux de ses cours, il dut s’embarquer pour l’Amérique afin d’y gagner son pain. Heureusement, écrivain et professeur de renommée mondiale, il fut vite invité à faire profiter un jeune public américain de ses savantes leçons et, toujours soucieux de servir son pays, il crée à New-York, avec le concours de M. Jacques Maritain et du regretté Henri Focillon « l’École libre des Hautes-Études », dont M. René Pleven, alors notre ambassadeur à Washington, favorisa l’essor.

Rentré à Paris vers l’automne 1944, M. Gustave Cohen, lauré d’un prestige accru, fut aussitôt remis en possession de sa chaire en Sorbonne. Il retrouva autour d’elle, sinon ses anciens étudiants, que leur âge et la guerre avaient dispersés, du moins leurs successeurs, animés à son égard du même respect, d’une pareille affection, qui ont repris avec joie, sous le nom désormais consacré, l’œuvre des « Théophiliens ». Et c’est naturellement M. Gustave Cohen qui dirige leur entraînement vers des représentations qui sont autant de chapitres d’une vivante histoire littéraire française et humaniste.

 

En attribuant à M. Albert Dauzat l’un de nos trois Grands Prix d’Académie, nous rendons un pareil hommage à l’érudition, à l’œuvre écrite, à l’enseignement de ce linguiste dont l’autorité est grande dans le monde savant de toutes les nations et à qui nous devons tant de précisions sur l’origine des mots de notre langue et sur certaines lentes et partielles modifications de sens que, à travers les siècles, l’usage, les mœurs et modes nouvelles y apportèrent.

L’estime et la considération dont M. Albert Dauzat jouit universellement, prouvent combien est justifié le salut que, le 9 juin dernier, jour de son jubilé célébré à la Sorbonne, notre vénéré confrère, M. Albert Lefranc, lui adressa en le proclamant « le maître actuel de la toponymie et de la dialectologie françaises ».

Il est au premier rang des savants envers lesquels tous les écrivains français ont une dette de reconnaissance. Et avec quel profit intellectuel tous ceux, toutes celles qui ont le culte ou simplement le respect de notre langue, lisent les substantiels ouvrages qu’il lui a consacrés ! Que de lecteurs, parfois troublés par des locutions défectueuses peu à peu détournées de leur sens original, sont rassurés ou soulagés lorsque, dans les journaux auxquels M. Albert Dauzat collabore régulièrement — et surtout dans sa revue Le Français moderne, où l’étude des mots se complète par des articles sur des problèmes de grammaire et de sémantique — ils y trouvent la signification et le moyen correct d’incorporer ces locutions dans la place où elles ont un rôle.

M. Albert Dauzat fut d’abord attiré vers l’évocation littéraire des beautés de la Nature et des pays étrangers à travers lesquels il eut le plaisir, dans sa première jeunesse, de voyager, l’Italie, la Suisse, l’Espagne. À ces livres s’ajoutèrent deux volumes d’esthétique où il étudie le sentiment des aspects de la terre tels qu’ils sont représentés dans certaines œuvres d’art. Mais ce fut surtout vers le sol, les mœurs, les spectacles de son pays natal, l’Auvergne, que se porta son attention. Il en résulta deux volumes : Toute la Montagne, puis, avec plus d’ampleur : Le Village et le Paysan de France.

Peut-être est-ce en écoutant le parler rude, expressif, pittoresque, même le patois des campagnards de cette région, que lui vinrent l’idée et le désir d’étudier la dialectologie.

S’étant fixé à Paris et fait inscrire à l’École des Hautes- Études — où, plus tard, il devint professeur — il eut la bonne fortune d’y suivre les cours d’un maître illustre, Gaston Pâris. Ses leçons et son influence contribuèrent sans doute à déterminer l’orientation définitive des recherches et travaux de M. Albert Dauzat.

On peut raisonnablement diviser les littérateurs en deux cohortes : d’une part, celle des poètes, des romanciers tout d’imagination ; d’autre part celle des critiques, historiens, essayistes, que nous dirons les littérateurs ès-sciences.

Incontestablement, M. Albert Dauzat brille au premier rang de cette littérature savante. Et ses émules en ce genre de recherches lui marquèrent leur haute estime pour son œuvre en l’appelant à la présidence des premiers congrès internationaux qui se sont tenus à Paris sur ces questions de langue, d’étymologie, etc...

Ses nombreux ouvrages, très répandus, que tous les lettrés gardent à portée de la main, sont : Le Génie de la Langue française — que l’Académie honora d’un de ses prix, — Histoire de la Langue française, Dictionnaire étymologique, Grammaire raisonnée de la Langue française, La Toponymie française, qui, par ses méthodes, recherches, exemples, nous renseigne exactement sur les noms de lieux et continue l’œuvre remarquable d’Auguste Longnon. Enfin, ayant créé dans notre pays « l’Anthroponymie », il nous donne, sous le titre : Les noms de famille de France, un traité de cette science. Cette année a paru un Dictionnaire des noms et familles de France. Nous nous bornerons à mentionner une dizaine d’ouvrages destinés surtout aux spécialistes de la Dialectologie.

L’ensemble de ces livres permet d’apercevoir la conception générale qui a guidé le labeur de M. Albert Dauzat. Je ne crois pas me tromper en pensant que son idée inspiratrice est celle-ci : la Langue s’explique historiquement. Elle constitue un héritage qui crée des devoirs. Ses diverses transformations marquent les réactions et l’influence de la vie ambiante. Le linguiste doit donc être en incessant contact avec la vie et en liaison avec l’histoire, la géographie humaine, l’archéologie, la physiologie, les découvertes de laboratoire, enfin être attentif à l’évolution sociale et à celle des mœurs.

Vaste et continuel effort, soutenu dans l’esprit et le cœur de M. Albert Dauzat par la noble ambition de faire mieux connaître — et par suite mieux aimer — la Langue française, aux Français et aux étrangers.

 

C’est encore un Grand Prix d’Académie qui échoit à Alexandre Nicolaï.

Président d’honneur de la Société archéologique de Bordeaux, il a voué à cette ville et à la région de la France du Sud-Ouest la plus grande partie de son activité d’historien. Il nous a introduits dans les Maisons d’Henri IV sises aux Landes de l’Albret et de la Gascogne, puis conduits en pèlerinage sur les chemins qui mènent à Monsieur Saint-Jacques de Compostelle à travers la Guyenne et la Gascogne. Après une Histoire des Faïenceries de Bordeaux au XIXe siècle et une Histoire des. Moulins à papier dans le Périgord, l’Agenais, l’Angoumois, le Béarn, il nous a présenté un Montesquieu économiste peu connu jusqu’ici. Mais c’est, surtout à Montaigne qu’il s’est attaché. Il a constitué entre autres un volumineux dossier de 200 documents inédits concernant la « Maison » de Montaigne — contrats de mariage, testaments, partages de famille, titres de propriété — découvertes qu’il a bien voulu déposer à la Bibliothèque de l’Institut.

Il a donné un Montaigne intime, plein de détails sur l’homme, ses façons d’être, son existence quotidienne, ce qui est aussi nous instruire sur les usages et la vie des gentils­hommes de province au XVIsiècle.

Il revient sur ce sujet dans un volume récent dont la première moitié nous parle, comme l’annonce la couverture, des Belles Amies de Montaigne. Le « charme » de celui-ci nous est expliqué par M. Alexandre Nicolaï en des chapitres nourris de faits et de citations qui traitent de ses amours et amitiés, de sa sociabilité, de son hospitalité, d’une goinfrerie juvénile qui devint délicatesse de « fine gueule », de son goût pour la danse, de son indépendance, de sa philosophie qui se tient sur la route où s’engagera Descartes. Charme opérant après sa mort jusqu’à sauver sa sépulture de toute profanation en 93, et, en 1871, d’un incendie. Charme qui agit de façon si particulière que sa mémoire et ses cendres furent honorées dans une véritable apothéose, à Bordeaux, en 1802, et qui subsiste de nos jours, comme on l’a vu par les cérémonies célébrées avec une particulière chaleur, à Paris, et dans plusieurs villes de France, en 1933, lors de son quatrième centenaire.

Quant aux « belles amies » de Montaigne, ce sont des femmes lettrées, nobles dames dont il aimait la compagnie. Nous avons là de véritables monographies qui mettent en lumière ce que fut le commerce intellectuel du grand douteur courtois avec Diane de Foix Candale, Diane d’Andoins, dite la belle Corisande, longtemps Égérie d’Henri IV, Louise de Madaillan d’Estissac, Mme de Duras, Marguerite de Valois (la reine Margot) et enfin Mme Marie Le Jars de Gournay, celle qui, pour l’auteur des Essais, était sa « fille d’alliance » et dont il dira avant de mourir, comme le rapporte M. Nicolaï : « Je ne vois plus qu’elle au monde ». Cependant M. Nicolaï est un peu sévère pour cette gardienne de la mémoire de Montaigne, dont la sincérité d’admiration, et il faut le dire la compréhension, s’affirmèrent presque jusqu’au milieu du XVIIe siècle, dans une constante ferveur de dévouement. On ne doit pas oublier qu’elle a le mérite, et disons « le courage », d’avoir proclamé les droits de la femme au développement intellectuel, à un rang égal pour l’esprit à celui des hommes.

Mais cette petite remarque n’infirme en rien la valeur d’un livre qui atteste un persévérant et lucide dépouillement d’archives par un excellent écrivain, et qui apporte une très sérieuse et large contribution aux travaux biographiques dont Montaigne est encore l’objet.

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Le Prix Louis Barthou a été décerné à M. Henri Pourrat, dont René Boylesve disait : « Je crois qu’il est le prince incontesté des écrivains régionalistes ».

Sa région est l’Auvergne. Que de gens du terroir nous croisons en passant lorsqu’il nous entraîne vers le paysage volcanique, sec et austère, ou vers le bocage, les coins à fougères, les chemins de chèvres, les villages aux dispositions anciennes, toute une campagne qui semble avoir de la mémoire, conserve des coutumes, des pierres et une configuration qui datent de siècles oubliés.

On se souvient de ces romans et récits suggestifs : Gaspard des Montagnes, La Colline ronde, Les Sorcières du Canton, Les Jardins sauvages, La Tour du Levant, Dans l’Herbe des trois Vallées, de tant d’autres ! Et aussi de ce Trésor des Contes où l’on croit entendre, à la veillée, une mère grand, en cotte surannée, dévider ses histoires dans un parler savoureux, plein de sève dans sa naïveté. M. Henri Pourrat ne dédaigne pas le folklore. Il le défend et le loue avec éloquence. De son œuvre montent les échos de la voix des saisons. Il observe, il est ému, il traduit ses impressions avec une élégante habileté de plume. Nul pessimisme ne l’atteint et, de ses promenades méditatives, il rapporte des propos de sagesse.

 

Mlle Judith Cladel, lauréate de notre Prix Alice Barthou, est, on le sait, l’auteur d’un ouvrage définitif sur Rodin, sa vie glorieuse et inconnue, et d’autres volumes sur l’art du grand sculpteur. Un roman de jeunesse, de nombreuses études une Mlle de la Vallière, un livre de critique démonstrative sur la vigoureuse statuaire d’Aristide Maillol, témoignent d’un talent ferme et nuancé, apte aux profonds examens artistiques et littéraires.

Elle vient d’utiliser des documents inédits en sa possession et ses souvenirs sur Baudelaire et son père, Léon Cladel, le styliste de haute classe. Elle nous livre ainsi certains secrets des procédés littéraires de Baudelaire, surtout de ses scrupules à l’égard de la langue. D’autre part, le poète des Fleurs du Mal nous apparaît dans une générosité de cœur et d’esprit à l’égard de jeunes écrivains dont il reconnaissait ou pressentait les dons. Il donnait sans compter de son temps et de son savoir au jeune Léon Cladel, digne de le suivre et comprendre. C’est donc un livre de révélations qui ne peut que réjouir les Baudelairiens. C’est aussi une belle leçon pour ceux qui veulent s’adonner à l’épineux métier d’écrire.

 

Pour le Prix Max Barthou, nos suffrages ont été à M. Guy des Cars. Son roman La Brute est l’étude très fouillée de l’évolution morale d’un sourd-muet-aveugle de naissance, d’ailleurs intelligent et parvenu à un degré de culture qui lui a permis d’écrire un livre : Il se laisse accuser ou plutôt s’accuse d’un crime commis à bord d’un paquebot sur lequel il voyage avec sa jeune femme qui, selon les apparences, serait la coupable. Depuis l’adolescence, grâce à un langage tactile inventé par des religieux, elle est l’intermédiaire dévouée entre le malheureux muré dans son infirmité et le monde extérieur. Cette figure de « brute » et les péripéties adroitement menées du drame, sont fort attachantes. Mais l’intérêt du livre est aussi dans le rôle d’un avocat, un méconnu dont l’intelligence intuitive et la divination du cœur le persuadent de l’innocence de la prétendue brute, soi-disant meurtrière. Et il découvre le véritable assassin. Probité et humanité sont, avec une écriture sans faiblesse, les qualités de ce roman psycho-pathologique qui ne permet pas à l’attention de se détendre.

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Le Prix Muteau est destiné à récompenser des écrits qui contribuent à donner une image de la grandeur de la France.

C’était justice d’en faire bénéficier, M. Pierre Varillon et M. Pierre Sherrer.

Celui-ci, avec Royal Morvan — nom emprunté à une tradition militaire de nos anciennes provinces — nous met en présence d’un régiment de F.F.I. qui, en 1944, rejoignit, dans les Vosges, l’armée régulière. Témoignage des exploits de ces résistants, vrais continuateurs des volontaires de 1792 qui firent Valmy. Plus ou moins pourvus d’armes, ces F.F.I. comptaient des terriens, des ouvriers, des prêtres, des intellectuels de tout ordre, tous étroitement liés, quelles que fussent leurs opinions et leurs croyances, dans une fraternelle union sacrée. Des soldats de l’armée régulière, attirés par leur ardeur, leur « cran », se mêlaient à ces hommes qui auraient pu rester tranquillement chez eux.

Dans cette chronique de guerre se succèdent des épisodes pathétiques, où palpite le plus pur patriotisme, c’est-à-dire l’amour instinctif et raisonné du patrimoine français.

 

Après avoir donné, l’année dernière, un exposé clair et basé sur l’examen des faits du drame de Mers el Kébir, M. Pierre Varillon s’attache aujourd’hui, avec Marins héroïques, à montrer par des exemples la valeur de notre marine pendant la guerre, telle la victoire navale que remporta, en Indochine, le capitaine de vaisseau Barenger. Livre émouvant, qui nous laisse l’impression de bravoures sublimes, mais aussi d’infinies tristesses tant est désolant le sacrifice de jeunes Français au grand caractère, comme le lieutenant Bernard de Sausinne, qui périt magnifiquement dans un sous-marin. Cette suite d’épopées offre un tableau des vertus guerrières en des décors où la puissance de la mer, et tous les mystères de l’immensité, s’imposent à l’imagination.

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C’est à un poète qu’a été un de nos trois prix Dupau, M. Jean Lebrau.

Il est né à Moux, dans l’Aude, et sa vallée fut sa première et grande éducatrice. Il a chanté les paysages — « sous un ciel embrumé d’un excès de lumière », — comme il dit — et toutes Les Voix de là-bas, titre de son premier recueil de vers, qu’avec modestie il appelle « bouquet de paysan ». Et il a continué en donnant Le Ciel sur la Garrigue, Couleur de Vigne et d’Olivier, Quand la grappe mûrit, etc. avec des accents tantôt descriptifs, tantôt de chaud lyrisme ou de mélancolie douce-amère. Mais M. Jean Lebrau — et il appelle cela son « drame » — a connu le tourment d’une sorte d’infidélité, mettons le remords d’un partage. Il s’est retrouvé dans le Béarn comme chez lui, pris d’enthousiasme filial, par une sorte d’élection imprévue, mais peut-être sourdement désirée.

Deux horizons différents ont donc sollicité sa sensibilité de poète, les deux climats immortels de l’inspiration classique. En effet, il la mit d’abord au service d’une terre fort analogue par sa physionomie à celle de la Grèce, monts dénudés, pureté un peu sèche des contours. Puis il s’est laissé conquérir par le charme virgilien d’un sol où le hêtre pourpre, les vertes promesses des Pyrénées lui offraient l’ombre que lui refusaient les cyprès de Moux.

L’Ombre est un besoin, tel est intitulé un volume récent où il est toujours le traducteur des spectacles bienfaisants de la Nature pour qui sait distinguer la vie profonde sous le charme des couleurs et le pittoresque des formes, y trouver des motifs de rêve sans cesse renouvelés.

Habile, à manier tous les mètres, mais parfois usant de la souplesse du vers libre, habile aussi à suggérer de multiples sensations en peu de mots, poète, M. Jean Lebrau l’est aussi en prose. Sa phrase est harmonieuse et cadencée, même lorsqu’il se meut en critique ; et il sait, dans ce domaine, donner les coups de sonde d’une intelligence que séduisent les démarches de la pensée.

Henry Bataille, son compatriote audois, Francis Jammes et l’apôtre de la poésie pure, l’abbé Bremond, donnèrent sans réserve leur amitié admirative à M. Jean Lebrau qui est aussi un mainteneur des Jeux Floraux, de ces récompenses florales qui doivent particulièrement plaire à un contemplateur des lauriers roses, des roses jaunes, de toutes les belles corolles.

 

M. Jean Paul Vaillant est titulaire de la seconde partie du Prix Dupau.

S’il n’avait fondé que la Grive, dont il dirige les destins depuis 1928, périodique d’excellente tenue littéraire, très bien présenté, et ces Cahiers ardennais qui ont tiré de l’ombre des écrivains de mérite ; s’il n’était que l’organisateur de tant de manifestations, d’inaugurations de monuments, de bustes, de plaques commémoratives en l’honneur d’hommes célèbres nés au pays Ardennais, tels Michelet, Verlaine, Rimbaud, Taine ; s’il n’était que l’animateur de sociétés littéraires ardennaises et en particulier du groupe des « Amis de Rimbaud », il mériterait déjà les sympathies les plus justifiées.

Mais il est lui-même la preuve que ce terroir ardennais produit des écrivains de belle et bonne race. Il est l’auteur d’un fort roman : Macajotte, qui a pour thème le calvaire du petit artisanat — en l’espèce celui des cloutiers dont les chiens savaient activer le souffle de la forge — et qu’écrasa la grande industrie. Puis, par L’Enfant jeté aux Bêtes, qui eut un gros succès, il initie à la lutte d’artillerie pendant la guerre de 14-18, des « moins de vingt ans », les « bluets » de la classe 17, livrés par les affreuses circonstances aux cruautés de la bataille à l’âge des exaltations idylliques et de la joie de vivre.

Le recueil des Légendes ardennaises nous plonge dans « l’océan végétal », comme Michelet appelait la vaste forêt des Ardennes, océan de sombres verdures, si propices à l’éclosion du fantastique, du fabuleux, antre millénaire de la magie et de la sorcellerie, où se juxtaposent encore l’âge païen et l’âge chrétien. Ces légendes, filles de l’imagination et de la tradition populaires, M. Jean-Paul Vaillant les présente avec l’accent d’une sensibilité qu’exalte et attendrit la connaissance intime d’une chose chère.

 

À l’aide de documents inédits, il a révélé dans Rimbaud tel qu’il fut, le vrai visage de l’auteur du Bateau ivre dans sa métamorphose d’Africain.

Nous sommes heureux de marquer notre estime à un talent et des efforts qui gardent la flamme de la vie intellectuelle dans cette province « unique au monde », selon le mot de Jean Richepin.

 

M. Alphonse Métérié, — encore un Prix Dupau — est né à Amiens. Il a, dans sa prime jeunesse, respiré la « douceur angevine » comme élève des lycées d’Angers et de Tours, villes où l’amenèrent les nécessités de la carrière paternelle.

M. Métérié a été journaliste, architecte, professeur libre, s’est engagé en 1914. Après 1918, il professa au lycée d’Aix-en-Provence et, appelé au Maroc, par Lyautey, séjourna à Marrakech comme Inspecteur des Monuments historiques et de l’Urbanisme jusqu’en 1942, année où il revint en France pour « servir ». Mais, en 1944, son poème Les Cantiques de Frère Michel eurent l’honneur de déplaire aux occupants. Il devint suspect et connut la misère glorieuse d’être traqué. Enfin, sa tranquillité retrouvée, il créa en Haute-Savoie, avec le Prix de Rome d’Architecture, Grille et l’ingénieur Coninck, les modestes mais vivantes « Amitiés de Samoëns ».

Sa vie errante eut un point fixe, une patrie jamais quittée : la poésie. Il n’a guère écrit que des poèmes en de successifs volumes qui s’échelonnent de 1910 à 1951. C’étaient entre autres : Le Livre des Sœurs, Le Cahier Noir, Nocturnes, Proella.

Ses vers sont souples, mais sans désordre ; ils sont parmi ceux qui, de nos jours, continuent à faire durer le goût de la rigueur et de la perfection classiques. M. Métérié s’apparenterait néanmoins, par quelque chose de rêveur, à Jules Laforgue et à Maeterlinck, surtout aux doux faiseurs de lieder qui parlent à l’âme. Il eut une longue présence de collaborateur au Divan et au Mercure. Né en 1887, il peut, bien des années encore, ajouter à une production où les anthologies glaneront, comme elles l’ont déjà fait, des strophes d’une forme sûre.

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Notre Grand Prix Gobert est décerné à M. Georges Edgar-Bonnet pour son ouvrage considérable sur Ferdinand de Lesseps, diplomate et créateur de Suez.

Ayant passé quinze ans de sa vie dans une intimité quotidienne avec l’œuvre de ce grand Français, M. Georges Edgar-Bonnet, Directeur général honoraire de la Compagnie du Canal de Suez, était le plus qualifié pour écrire un tel ouvrage évoquant la période qui va de la naissance de Lesseps, en 1805, à sa triomphale inauguration du Canal le 16 août 1869.

Il nous montre d’abord un aspect de sa vie peu étudié, mais essentiel pour qui veut le bien connaître : son rôle de jeune diplomate. Par son père, vice-consul en Égypte, il eut ses premières notions de ce qu’est l’Orient. Plus tard, devenu lui aussi consul dans ce même pays, il y rencontra vite des sympathies : ce fut en souvenir des liens amicaux que son père avait su créer entre lui et le vice-Roi, Mohamed-Ali, dont il avait favorisé les desseins et les ambitions, sans se douter qu’ainsi il préparait le succès futur de l’œuvre entreprise par son fils, un demi-siècle après. Mais celui-ci inspira un sentiment de reconnaissante affection à Mohammed Saïd — adolescent, promis à la vice-royauté — en lui révélant les joies du sport et les prouesses de l’équitation. Il bénéficia plus tard de l’amitié ainsi conquise.

Il fut ensuite consul à Barcelone, puis ministre de France à Madrid — où l’avait nommé Lamartine alors membre du Gouvernement provisoire, en 1848 —, et il y fit preuve de sens politique pour maintenir des relations entre la dictature espagnole et la seconde République française. Il réussit aussi bien à Rome comme arbitre dans le conflit entre le Pape et le peuple romain. Mais ses idées libérales le desservirent bien tôt. Jugé imprudent par le Prince Président, Louis-Napoléon Bonaparte, qui voulait se ménager la faveur des catholiques français, Lesseps connut une disgrâce qui l’obligea à quitter la carrière diplomatique.

C’est alors que l’attachement, ressenti depuis sa jeunesse, pour l’Égypte et les idées saint-simoniennes en faveur des grands travaux d’un intérêt universel, l’orientèrent vers l’idée, vingt fois séculaire, mais jamais mise en œuvre, de relier par un canal la Méditerranée et la mer Rouge.

De retour sur la terre des Pharaons, avec l’intention bien arrêtée, bien nette, d’y réaliser la pensée dont il entendait parler depuis son enfance, et que l’étude, la réflexion avaient fait mûrir en son esprit, il trouva, auprès de son poulain sportif, Mohammed-Saïd devenu vice-Roi, un accueil prudemment favorable, malgré les diverses et puissantes oppositions qui bientôt se manifestèrent avec continuité.

Ce n’est donc point le hasard ou une inspiration soudaine qui fit naître en l’esprit de Lesseps le plan pratique de cet immense et difficile travail, et de la meilleure méthode politique et financière pour l’accomplir. Ce n’est pas non plus, comme on le croit souvent, une inventive compétence d’ingénieur. Car Lesseps ne l’était pas. Mais, avec son discernement, sa force de persuasion et sa volonté tenace, il sut grouper autour de lui une brillante équipe de spécialistes qui tous, fort avisés et de bon conseil, travaillèrent suivant ses directives.

À la réalisation de son projet Ferdinand de Lesseps apporta une foi qui donne à son œuvre les plus beaux titres de noblesse : certitude d’un accroissement, indéfini d’échanges et de richesses d’un bout à l’autre de la terre ; la croyance sincère — hélas trop déçue — que le rapprochement intellectuel et moral qui en résulterait permettrait aux nations, aux peuples les plus éloignés, de se connaître et de se comprendre. Il ajoutait même « de s’aimer ».

M. Edgar-Bonnet nous montre son héros — le mot n’est pas trop fort développant ses dons de lutteur : lutte contre les difficultés naturelles et matérielles, mais surtout, lutte contre les hommes, contre l’animosité irréductible d’un Palmerston et, derrière lui, d’une Angleterre qui n’avait pas oublié Napoléon et ses campagnes d’Égypte ; lutte contre la Porte, hésitante entre sa peur de la France et sa terreur de l’Angleterre ; parfois même lutte contre les tergiversations du vice-roi d’Égypte, qui voulait des appuis dans tous les camps, pour faire reconnaître son indépendance ; lutte enfin contre l’attitude timorée de Napoléon III.

Le grand intérêt de l’ouvrage de M. Edgar-Bonnet est de nous faire assister à cette bataille de quinze ans, où Lesseps est devant nous vivant, prêt à faire front par des efforts presque surhumains ; patient et hardi à la fois, d’un optimisme imperturbable, entraînant, poussant jusqu’au génie la lucidité dans le dessein et la force dans la volonté. Bref, dans ce portrait, magnifique mais nullement magnifié, il nous restitue l’homme dont Renan disait ici-même, en le recevant sous la Coupole : « Après Lamartine, vous avez été, je crois, l’homme le plus aimé du siècle. »

 

Notre second Prix Gobert a été attribué à M. Pierre Saint-Marc qui a repris le dossier Émile Ollivier et s’est fait une opinion qui projette un jour lumineux sur le caractère, les actes, le comportement, les intentions de l’homme d’État, Provençal éloquent, charmeur, élevé dans le culte de la Démocratie et de la Liberté. Son drame fut que, parti de l’opposition, il se rallia à l’Empire. Honni de ses anciens amis, il ne gagna pas la confiance de ses anciens adversaires. Mais, dès que l’Empereur tendit à transformer son gouvernement et, d’autoritaire, à le faire libéral, Ollivier le poussa dans cette voie. Joué par le machiavélisme de Bismarck, l’Empire fut comme fatalement amené à prendre la responsabilité de la guerre et à la déclarer. Émile Ollivier crut rassurer des inquiétudes en déclarant l’accepter « d’un cœur léger ». « Léger » devait, pensait-il, se traduire par « sans appréhensions ». Mais ce mot malheureux, resté accroché à sa mémoire, lui a créé une légende qui a certainement faussé toute sa physionomie.

C’est à la rétablir que s’est voué M. Pierre Saint-Marc. Des lectures abondantes, le dépouillement d’une masse de lettres, de documents inédits, l’ont aidé dans cette tâche. Il a réussi à nous faire concevoir pour Émile Ollivier, qui fut quarante-trois ans emmuré dans la disgrâce, souffrit amèrement dans son inactivité et son silence de tribun, un jugement d’équité non exempt de sympathie.

 

M. Robert Schnerb reçoit le Prix Thérouanne.

Par un singulier hasard a paru, presque en même temps que l’Émile Ollivier de M. Pierre Saint-Marc, le Rouher de M. Robert Schnerb. Le Second Empire a tenu entre ces deux figures si disparates, Ollivier méridional ardent, ouvert, souvent poète et lyrique, et Rouher épais, fermé, Auvergnat solide et réaliste.

On a dit que, pendant une dizaine d’années, Rouher fut le « Vice-Empereur ». Mais sa carrière était mal connue en dehors de ses années de pouvoir ou d’action politique. Et on continuerait à ne savoir presque rien de ses premiers pas avant 1851 et de ses derniers après 1870, sans M. Robert Schnerb. Il a eu certainement beaucoup de peine à retracer cette vie en entier, car Rouher n’a pas écrit de Mémoires ; il réduisait au minimum sa correspondance ; et ses papiers, sans scrupule dans son château de Cernay, par Bismarck en 70, n’ont été restitués par les Allemands qu’exigés par le Traité de Versailles. D’ailleurs ils furent une déception. Rouher cette incarnation du principe de l’autorité souveraine, ne s’extériorisait pas, n’avait d’envol ni de pensées ni de parole, ne s’imposait que par sa ténacité, sa solidité toute plébéienne et sa certitude d’avoir toujours raison. Cette carence de renseignements manuscrits, M. Robert Schnerb y a suppléé en prospectant imprimés, manifestes, tout ce qui pouvait l’aider à asseoir une monographie dense et sans faille.

 

M. Louis Hastier autre bénéficiaire du Prix Thérouanne, apporte sur la mort de Louis XVII des clartés que je dirais ingénieuses, si elles n’étaient basées sur un examen étonnamment scrupuleux et perspicace de faits, de pièces d’archives, de documents de toutes sortes qui n’avaient pas été découverts, contrôlés ou regardés avec une vue perçante, par les historiens ayant déjà essayé de résoudre le problème de la disparition du dauphin. La thèse de M. Louis Hastier, que résume l’appellation du livre : La double mort de Louis XVII, est servie par un sens critique remarquable, une rigueur dans les déductions qui la rendent des plus probantes.

 

Le Prix Teissonnière est offert à M. François Piétri.

Un long séjour en Espagne lui a permis d’approfondir un chapitre de sa biographie de Lucien Bonaparte, publiée il y a douze ans, biographie neuve et brillante, nourrie de ce que lui révélaient des papiers concernant les Bonaparte, conservés en Corse et notamment dans sa famille. Fortement bâti, également, voici son volume sur l’ambassade du frère de Napoléon à Madrid. En 1800, à vingt-sept ans, celui-ci a fait beaucoup, durant ses onze mois de séjour, pour souder, par une alliance, les rapports de l’Espagne déjà rapprochée de la République française. Il sut gagner le roi Charles IV et même le célèbre Manuel Godoy, hissé presque jusqu’au pouvoir souverain par la faveur scandaleuse de la reine. Mais les habiles et heureux efforts de Lucien furent anéantis par les « procédés trop rudes » et les exigences outrées du Premier Consul. L’Espagne se rebella et, d’amie fort utile, devint ennemie funeste. Ce qui sortit de cette situation, on le sait. Secousse qui fut un premier et sourd ébranlement de l’Empire.

Un style alerte, parfois mordant est un des attraits de cette œuvre constamment captivante.

 

Par un des Prix d’Histoire Rocheron, nous félicitons Mme Agnès de La Gorce, de la liberté d’esprit, de l’équité, d’une sorte de vue scientifique, avec lesquels, dans son livre : Camisards et Dragons du Roi, est écrit, en une suite de larges scènes d’un coloris vif et d’une heureuse diversité de ton, le drame des troubles qu’avait déterminé, dans les Cévennes, la Révocation de l’Édit de Nantes. Les personnages, plus ou moins violents, qui ont joué un rôle en ces lugubres dissensions, Mme de La. Gorce les montre vivants et distincts par les traits de leur physionomie, saisis dans les particularités de leur caractère, de leur conduite, de leurs passions. Ces récits, qui sont, on n’en peut douter, le fruit d’une longue exploration des sources sérieuses, certifient, d’autre part, les qualités d’un style vigoureux qui trouve l’expression juste et impressionnante.

 

Pour la deuxième partie du Prix Rocheron, nous avons choisi le Bergeracois de M. Jean Charet. Il prend les ancêtres des habitants de Bergerac à l’ère secondaire, créatures de petite taille assez proches de l’homme, jouissant d’un climat comparable à celui de l’Archipel des Canaries. Ensuite viennent les âges paléolithique, néolithique, et l’âge des métaux. Puis les siècles passent, et la période gallo-romaine apparaît, brillamment décrite, pour faire place à l’Histoire de France en Périgord depuis les temps barbares jusqu’en 1340. Dans cette fresque, qui donne un vaste aperçu de révolution humaine, M. Jean Charet n’est pas seulement un érudit, c’est aussi un écrivain.

 

La troisième partie du Prix Rocheron est allée à l’Histoire de la Marine française, du commandant René Jouan, ouvrage d’une impartialité, d’une honnêteté rares, qui veut démontrer que les Français ne comprirent pas toujours assez qu’on ne peut imposer à un continent une civilisation et un idéal sans avoir acquis la maîtrise des routes maritimes. L’auteur donne à penser que ce n’est pas parce que Louis XIV a perdu la bataille de la Hougue et Napoléon celle de Trafalgar, que nous n’avons pas gardé la suprématie dans une certaine force d’expansion, mais parce que nos dirigeants n’ont pas toujours été suffisamment attentifs au rôle de la marine. On pourrait en déduire que la mer est le véhicule essentiel de la civilisation.

 

Par le Prix Kornmann, nous félicitons Mme Simone de la Souchère-Deléry d’avoir, grâce à mille souvenirs recueillis à la Nouvelle-Orléans, à des sources de première main, rendu l’atmosphère dans laquelle vivaient des exilés napoléoniens, comme Lakanal, les généraux Lefebvre-Desnouettes et Lallemand, le docteur Antomarchi, le maréchal Bertrand, et de plus humbles bonapartistes, réfugiés ou visiteurs de la Louisiane. À la poursuite des Aigles, ainsi s’annonce cette reconstitution de l’état de fièvre et d’exaltation dans lequel s’entretint chez ces fidèles le culte de l’Empereur.

 

Selon ses statuts, l’Académie ne peut couronner que des auteurs vivants. Mais je tiens à signaler la remarquable biographie justification posthume — d’Armand de Gontaut, premier maréchal de Biron, par son descendant, le comte Roger de Gontaut-Biron. La science s’y allie à la clarté et des précisions très attachantes y sont apportées sur ce XVIsiècle, si troublé, si chargé d’événements tragiques, mais fertile en caractères forts et fiers. Le maréchal Armand de Gontaut, doué d’un esprit de tolérance et à la fois de respect pour l’autorité royale, joua, sous le règne de six rois, un rôle de premier plan, souvent décisif au cours des guerres de religion, puis des luttes d’Henri IV pour la conquête de son trône et la pacification du royaume. Une lucide et éloquente préface du général Weygand prépare à la lecture de cet ouvrage sérieusement conçu et réalisé.

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M. Jean Alazard, Doyen de la Faculté des Lettres d’Alger, est fort estimé dans le monde des artistes, des historiens et des amateurs d’art, par ses beaux ouvrages, notamment sur les peintres.

Cela mérite la distinction que confère notre Prix Broquette-Gonin. Mais M. Alazard est aussi l’homme qui, en 1930, avec les moyens modestes dont dispose notre France ruinée, est arrivé à faire construire, dans un cadre incomparable, aux portes d’Alger, un musée. Il l’a aménagé, composé, ordonné avec un zèle et une compétence qu’on ne saurait trop vanter. Cette création a pris un tel essor qu’on y peut facilement analyser, dans ses étapes essentielles, la peinture, la sculpture françaises depuis le XVIe siècle jusqu’à l’époque contemporaine. Rien n’est, d’autre part, négligé pour montrer ce que fut la civilisation méditerranéenne. Un cabinet d’estampes et de dessins, des moulages ajoutent à l’intérêt des tableaux et des statues. Voilà donc une œuvre considérable que nous devons signaler avec orgueil, car, dans l’ordre de tous les arts plastiques, elle honore grandement l’initiative et le goût français.

 

Le Prix Née a été attribué à Mme Christine Garnier pour son roman : Va-t-en avec les tiens.

Mme Christine Garnier qui, pendant deux ans au Togo, s’est vouée au dépistage des lépreux, a pu noter maints traits de la mentalité nègre. Doellé, son héroïne, est une noire évoluée qui analyse ses sentiments avec une acuité d’introspection digne d’un habitué des sciences de psychologie expérimentale et qui recourt aux procédés de la plus primitive sorcellerie pour se débarrasser d’une rivale blanche, dès qu’elle croit menacées ses amours avec un blanc. Elle échoue dans la tentative et elle se sent alors décidément repoussée, comme si les coloniaux blancs lui disaient : « Va-t-en avec les tiens ». Mais elle prévoit que, si elle a un fils, elle ne lui refusera pas l’éducation des civilisés blancs et qu’il lui reviendra si déraciné, si détaché de leur race qu’elle lui dira, en désignant l’Europe : « Va-t-en avec les tiens ».

Doellé nous rappelle un peu Ourika, la protégée noire de la duchesse de Duras, qui s’était émue des cruautés de la question de race. Le roman de Mme Christine Garnier ne vaut pas seulement par les réflexions qu’il suscite à propos du problème racial, un art subtil s’y déploie.

 

Le Révérend Père A.-J. Festugière, Dominicain, ancien élève de l’École Normale Supérieure, a reçu le Prix Bordin.

Son livre, au titre riche de mystère et d’harmonie, L’Enfant d’Agrigente, réunit une dizaine d’études consacrées à quelques aspects très divers du monde gréco-romain. Il y traite du sentiment religieux chez Euripide, du problème de la traduction du vers grec — avec un sens du rythme qui force l’admiration du lecteur — des fêtes agricoles de l’ancienne Rome qui se mêlaient aux traditions de l’époque légendaire ; enfin de la nouveauté que le Christianisme apporta au monde antique par l’amour de la charité. Une suite à l’Enfant d’Agrigente évoque ce que fut le sentiment de la Nature chez les Grecs de l’âge hellénistique ; sentiment qui leur faisait trouver repos et sagesse dans une vie cachée.

Ce livre est d’un savant, d’un érudit, d’un très bon écrivain et d’un humaniste aux dons de poète.

 

Autre Prix Bordin : M. Louis Chaigne. Ses Vies et Œuvres d’écrivains enrichit d’éléments nouveaux ; des biographies, de Montherlant, d’Exupéry, Bernanos, Pearl Buck, Graham Green, Marie Noël. L’analyse de ces vies étaye celle des œuvres qui sont l’objet d’une critique impartiale et avisée.

 

Un des Prix Saintour reconnaît très légitimement l’importance d’une édition critique de la Correspondance de Voltaire avec les Tronchin, établie et annotée par M. André Delattre. C’est le travail d’une dizaine d’années, un monument de 800 pages, édifié avec la plus stricte méthode historique, con salutations d’archives familiales et autres, catalogue de bibliographie. Ces 172 lettres de Voltaire, objet de tant de recherches et classements, s’étagent de 1754 à 1778, presque un quart de siècle de la vie de Voltaire. Elles nous introduisent dans son intimité, car il y dit tout ce qui lui passe par l’esprit en écrivant aux membres de cette famille genevoise qui ne cessera de répondre à ses désirs les plus méticuleux, à lui rendre d’éminents services.

On ne saurait trop savoir gré à M. André Delattre d’avoir réuni ces textes, de les avoir livrés au public intégralement, munis de savantes références.

 

Pour une autre fraction du Prix Saintour, nous avons désigné M. Patrice Buet, le fils de Charles Buet, romancier savoisien dont la pièce, Le Prêtre, fut jouée avec grand succès et qui était l’ami de Barbey d’Aurevilly, sur lequel il a publié un ouvrage. M. Patrice Buet s’ingénie à compulser les œuvres de Poètes étrangers qui ont écrit en français : Suisses, Belges, Canadiens, Argentins, Égyptiens, Syriens, mais celles aussi de Poètes de France et en particulier, de jeunes poètes. Il a rendu, il rend de grands services en faisant connaître, ces Muses diverses.

 

Une troisième fraction Prix Saintour était mérité par M. Joseph Canteloube, qui a réuni, en deux gros volumes, les Chants populaires des diverses régions de la France, avec des textes complets, musique et paroles, authentiques, non arrangés, groupés par province ou « pays », accompagnés de notices expliquant à quel point les chansons d’un terroir sont en accord avec les caractères ethniques et avec ceux du sol et des paysages ; anthologie qui met en valeur un immense trésor traditionnel.

 

Par la première tranche du beau Prix Durchon, nous couronnons les 480 pages de texte serré, par lesquelles M. René Johannet situe dans leur temps et leur ambiance la Vie et la Mort de Péguy. C’est un très large, sérieux et complet hommage rendu à l’homme dont, autour de lui, l’influence fut notable de son vivant et dont la mémoire n’a cessé de grandir depuis sa mort héroïque en septembre 1914. M. René Johannet a derrière lui une production abondante de critique et d’essayiste qu’animent des convictions sincères développées avec l’esprit le plus exercé aux investigations délicates dans les doctrines, les idées, l’histoire, la vie française.

Pour ce retour vers Charles Péguy — car il s’est plusieurs fois déjà occupé du créateur et directeur des Cahiers de la Quinzaine, du poète à la spiritualité ardente et à l’ample maîtrise de ces vastes poèmes : Jeanne d’Arc et Ève — il a utilisé les documents amoncelés depuis trente ans. Il a consulté tous les témoignages possibles, imprimés, manuscrits, verbaux, en y ajoutant ses souvenirs personnels. Tout cela avec un soin, une conscience, une admiration sans aveuglement, qui s’avèrent à chacun des quarante chapitres si pleins de cette œuvre magistrale.

 

Une Histoire générale des Postes françaises comprendra dix tomes, dont cinq sont publiés sur une matière absolument neuve, qui a tenté M. Eugène Vaillé ; et ce travail, qui comble une lacune, ne pouvait manquer d’obtenir de l’Académie une haute marque d’estime qu’elle lui a donnée avec la seconde tranche du Prix Durchon.

Depuis le rôle du « cursus publicus » chargé de la poste officielle dans l’empire romain et gallo-romain, le transport des correspondances, aux temps mérovingiens, est fait un peu au hasard. Les rois, les seigneurs se servirent longtemps de messagers corvéables. Une poste royale créée en 1464 ne devint service d’État que sous Henri IV, et le monopole ne sera assuré qu’en 1664 avec une organisation due à Louvois, qui s’étendra à l’établissement d’une poste internationale.

Ce trop bref résumé donne mal l’idée d’une œuvre qui fournit une connaissance nouvelle et fort intéressante sur un sujet à peu près inconnu.

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Et voici quelques-uns de nos Prix d’Académie :

En nous faisant assister aux Grands Jours de la Convention, M. Jacques Castelnau n’a pas voulu faire l’histoire de cette fameuse assemblée révolutionnaire, mais seulement nous rendre présents les spectacles qu’elle offrait au public de ses tribunes. La succession de ces images bien choisies constitue une relation très vivante des débats, des mesures tragiques, des divisions qui mettaient aux prises les Conventionnels. Dans cette arène, les groupements s’épuisèrent et s’entre détruisirent, après même la révolte de Thermidor... Mais cette « assemblée géante », comme on a écrit ensuite, si elle a commis des excès, a su accomplir une grande œuvre en conjurant des périls extrêmes, par la création d’armées qui sauvèrent la Patrie en danger. Et sa session close, elle proclame — M. Jacques Castelnau termine là-dessus son récit grouillant de vie — que la Place de la Révolution s’appellera Place de la Concorde.

 

Nous avons désiré témoigner notre reconnaissance aux services qu’a rendus M. Mabille de Poncheville par les conférences : Humanités, fondées au lendemain de la Libération et qui ont favorisé, depuis cette époque, par leur épanouissement progressif, l’amour des choses de l’esprit et le rayonnement de la pensée française dans les principales villes du nord de la France et de la Belgique. Plus de 100 conférences ont été faites, sous le beau vocable des « Humanités », par des conférenciers éminents, dont plusieurs membres de l’Académie française et de l’Académie de Belgique, et aussi par des hommes d’État, des femmes de lettres, des prêtres, des journalistes. Le fondateur lui-même a aussi payé de sa personne comme conférencier. Depuis plus de sept ans, il sert notre culture et tresse un solide lien spirituel entre la France et la Belgique.

 

Sous le titre prophétique Pie X le Saint, puisque l’épithète fut accolée au nom par M. Harry Mitchell avant la récente béatification, il décrit l’ascension de Giuseppe Sarto de son humble pays natal à la souveraineté pontificale, dans une existence vouée au service du peuple, dont il sortait, de l’Église qu’il gouverna, dans le plus pur esprit de charité et de paix.

 

De M. Claude de Bonnault, une Histoire du Canada s’appuie sur une vaste bibliographie et, avec des réflexions justes et peu banales, le rôle de la France, de 1534 à 1763, est admirablement expliqué. Cet ami de notre pays se maintient dans l’impartialité, sachant qu’ainsi on le sert mieux que par des excès de louanges.

 

Mme Pauline Valmy est un auteur qui a toujours tendu à réaliser une œuvre d’amour et d’énergie. Bel idéal qui lui a dicté plus d’une douzaine de romans. Le dernier en date est cet Équilibre que nous couronnons aujourd’hui. Ce n’est pas une thèse. Mais une moralité, un espoir généreux, émanent de toutes les actions ou réactions des personnages.

 

Avec Les Prétendants de Catherine, M. Yves Dartois a voulu écrire sans fadeur un roman pouvant, comme on dit, être mis entre toutes les mains. Ce n’est pas un art facile, et il a tenu avec succès cette gageure dont nous lui adressons nos compliments avec la distinction d’un de nos Prix d’Académie.

 

Un autre de ces Prix a pour lauréat M. Marcel Pollitzer. Grâce à lui nous suivons les débuts d’artiste de Talma et sa liaison avec Mlle Desgarcins, la charmante actrice ; histoire d’amour et de théâtre étudiée sérieusement avec de clairs et sobres commentaires dans la manière de l’essayiste-moraliste qui nous avait entretenus de l’Amour, thème éternel et de Variations sur le mode sentimental.

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L’Académie a donné exceptionnellement sa médaille à deux de nos compatriotes qui, hors de France, enseignent notre langue et se consacrent, en plus de leurs leçons, à faire connaître notre littérature.

M. Marc Chesneau, chargé de cours, à Stockholm et à l’Université d’Upsal, fait aimer nos auteurs à la jeunesse suédoise. En même temps que nous lui offrons notre médaille, nous le félicitons pour son Choix de Poèmes, édité récemment en Suède. Ils sont préfacés par le Chantre des Ballades françaises, Paul Fort, qui en fait un éclatant éloge. M. Marc Chesneau est un orateur qu’on a pu surnommer « Musicien de la Parole » Il est aussi musicien par le rythme et la mélodie de ses strophes aux mètres variés. Elles vont du large coup d’aile à la confidence de pures nostalgies, mais elles se servent aussi, comme l’indique le titre d’une série de morceaux plaisants, d’un à pipeau désinvolte ».

 

M. François Denoeu, professeur à Dormouth (États-Unis), Collège Hanover, New Hampshire, y enseigne le français et, en plus de ses cours aux élèves de cet établissement, il s’emploie à faire connaître au dehors notre littérature. En outre, il a publié trois ouvrages, l’un, roman : L’Amour en bouton, le second, récit d’un jeune officier de la première guerre mondiale ; le troisième, destiné aux élèves du monde anglo-saxon, est un recueil de morceaux choisis de nos auteurs modernes. L’enseignement, les livres, l’activité si variée et généreuse de M. François Denoeu méritaient bien de retenir l’attention de l’Académie.

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M. Marc Blancpain, que nous avons récompensé naguère en lui donnant le Prix du Roman, vient de recevoir, après plusieurs années, comme notre règlement nous y autorise, le prix Paul Flat.

Il appartient à cette catégorie de romanciers dont l’inspiration est entretenue par l’amour et la connaissance de leur province natale, pour lui la Thiérache. Après des études à Nancy et à Paris, il devient professeur à l’École internationale de Genève, puis au lycée français du Caire. Officier d’infanterie, il est fait prisonnier en 1940 et reste captif trois ans en Allemagne. Tristes loisirs qu’il utilise vaillamment en préparant une œuvre littéraire. Ainsi naquirent : Le Solitaire, Catherine les belles amours, Maturité, Les Contes de la lampe à graisse, Les Fiancés d’Olomouc, dont furent fort prisés l’imagination et le ton, l’espèce de réalisme qui reste à bonne hauteur, d’où n’est pas exclu le charme des sentiments forts et purs, ni les épisodes dramatiques, M. Marc Blancpain sait émouvoir sans renoncer à l’humour, ni cesser de chanter sa terre de forêts et d’herbages, tout en fournissant un grand effort pour maintenir l’influence de notre pays dans le monde, comme Secrétaire général de l’Alliance française.

 

Le Prix Marcellin Guérin signale, en M. C. J. Gignoux, agrégé de la Faculté de Droit, ancien Ministre, un biographe de Karl Marx, dont l’œuvre pour lui est étroitement reliée aux particularités de sa lugubre existence et de sa nature orgueilleuse, autoritaire. Sans estime pour les socialistes français, i1 méprisait en particulier Proudhon, auquel pourtant il ressemblait un peu par la sombre humeur. M. Gignoux a mis en relief des questions curieuses, comme celle qui se rapporte à l’extraordinaire destin de l’œuvre énorme de Marx : Le Capital, si aride, si difficile à lire en entier. La chose étrange est que Marx n’a guère pressenti quel pays appliquerait ses idées et il considérait la Russie comme le plus grand obstacle à la Révolution communiste ! M. Gignoux a élucidé des matières souvent obscures, et il l’a fait avec une verve entraînante, un ample savoir et des qualités notables d’écriture.

 

Nous avons attribué le Prix Louis Miller à M. Pierre Froger. Grâce à lui, nous avons le « Livre de Raison » d’une famille de l’Ouest, plus précisément de l’Anjou, et il le confie à notre curiosité par ces mots d’en-tête : Autrefois... chez nous.

Son vœu, qu’il a formulé en maintes conférences, articles et plaquettes, est qu’on revienne à la pratique du journal de famille qui semble n’avoir d’intérêt que pour les enfants, mais qui initie, dans l’avenir, à des détails du passé, à certaines institutions sociales, à des maux conjurés par le progrès, ou à de regrettables pertes de jolies coutumes et de douces habitudes.

Le livre de M. Pierre Froger est un livre de vérité vécue et une sorte d’hommage aux siens dont il ressuscite les figures et les comportements avec des souvenirs tronqués. Mais le sculpteur aux grands dons ne reconstitue-t-il pas la statue s’il en possède quelques fragments ? Ainsi M. Pierre Froger nous rend la physionomie de sa petite ville et de la maison ancestrale avec un art coloré, une sincérité fervente et une respectueuse émotion.

 

Le Prix Charles Blanc, destiné à des ouvrages sur l’art, allait naturellement au Watteau de Mme Hélène Adhémar, présenté par une magistrale préface de M. René Huyghe, professeur au collège de France. La qualité du texte, la quantité des reproductions, un catalogue méthodique et chronologique font qu’après ce livre exemplaire, il n’y aura rien à glaner sur le grand poète de la peinture qui a su trouver le secret de ses féeries dans la contemplation de la seule réalité.

 

Une mention est due aux Bulletins de la Société Poussin., fondée par Mlle Bertin-Mourot, nièce de l’écrivain d’art Paul Jamot, qui avait voué un culte à Poussin. Cette Société a pour but de centraliser tout ce qu’on peut savoir sur ce maître de la peinture classique, en faisant appel aux érudits des deux mondes.

 

M. Martial Piéchaud méritait hautement notre Prix Narcisse Michaud pour son livre au titre si engageant : Ainsi vécut Chateaubriand. Il a eu l’art de retracer cette vie tumultueuse, mêlée à l’histoire du temps, sans écrire un lourd et épais volume. Les principaux faits de la Révolution, de l’Empire, de la Restauration, de la Monarchie de Juillet passent sous nos yeux autour de la figure de « l’enchanteur ». M. Martial Piéchaud, connu par ses romans et une pièce qu’il fit jouée à la Comédie française, a renouvelé un sujet que l’on croyait épuisé, cela par des qualités de forme, un sens historique et psychologique, un goût de la synthèse, et de la clarté qui le rapproche de la mesure classique.

 

Par le Prix Thorlet, nous remercions M. Pierre de Sornay d’avoir donné un tableau loyal de la vie présente dans l’Ile Maurice — cette île de l’Océan Indien jadis française et rendue illustre par les amours de Paul et Virginie —. Avant de passer sous la domination anglaise, elle était un des lieux d’élection de notre influence. Noirs et Indiens y représentent 40.000 âmes. Le reste de la population, 10.000 Français y ont accepté d’y être citoyens britanniques. Mais ils n’ont renoncé ni à leur langue, ni à leur formation intellectuelle, ni aux habitudes de la civilisation de leur ancienne mère-patrie. C’est un fait que M. Pierre de Sornay se plait à confirmer dans son ouvrage considérable, complet, et pour nous fort émouvant.

 

Nous couronnons, avec le Prix Vitet, M. Jean Mistler. Dans une histoire pathétique, il évoque la vie autrichienne de la Vienne impériale et musicale d’avant 1914, imprégnée de souvenirs du passé, telle que l’ont connue Mozart, Beethoven, Schubert. Ce dernier est le héros du livre qui emprunte son nom : Symphonie inachevée, à l’œuvre immortelle de l’émouvant musicien.

 

Le docteur Eylaud a remporté le Prix Miller à l’occasion de son roman : Louisa, fille des Iles qui nous ramène, avec une élégance d’écriture, un souci de la couleur locale, une charmante sentimentalité, vers les mœurs d’armateurs bordelais du XVIIIe siècle. Le docteur Eylaud est un modèle de ces médecins à l’esprit encyclopédique qui, non contents d’exercer leur profession avec science, honorent les Lettres.

 

M. Pierre Gentil, qui a reçu le Prix de Jouy, pour son livre : Remous du Mékong, représente à merveille ces administrateurs envoyés au loin par la France, dans ces régions de son empire qui font aujourd’hui partie de l’Union française. Il connaît à merveille ces problèmes dont il faut que les Français prennent conscience, dans leurs droits comme dans leurs devoirs. Ils pourront prendre clairement cette conscience en lisant de substantiels rapports comme celui de M. Pierre Gentil, car il parle des difficultés que rencontre l’Union, non par ouï dire, mais par connaissance profonde de et parfois douloureuse.

 

L’Académie a donné le Prix Augier à M. Jean Silvain, pour sa pièce Le Père Damien, où le fait historique et l’imagination collaborent. Le Père Damien, missionnaire belge, a consacré sa vie aux lépreux avec un dévouement et une constance admirables. Parti pour Honolulu à vingt-trois ans, il a, par sa ténacité et sa volonté intelligente, réussi à intéresser l’administration au sort de la léproserie. Mais il prend la lèpre et il meurt de l’inexorable maladie. Pièce touchante, bien découpée scéniquement, qui échappe au reproche de verser dans le genre édifiant et conserve, d’un bout à l’autre, une chaude humanité.

 

Le Prix Brieux va nécessairement à une pièce où planent les sentiments nobles et l’idée de justice. Le Capitaine de Paroisse, de M. Jean Yole, entrait dans cette catégorie. C’est un drame qui évoque les vertus de l’âme paysanne Fortement appuyé sur l’histoire, très bien mené, il a une valeur épique, sans nuire à la vérité de l’être qui se hausse jusqu’à une sorte d’absolu, en prenant la voie du sacrifice où l’entraîne et le soutient l’ardeur religieuse.

 

Le Prix Catenacci est dévolu à M. Eugène Michaut, qui présente une magnifique édition illustrée dédiée au Ballet contemporain. Il est le premier en France qu’ait tenté cette histoire de la danse, depuis 1929. Il appelle trop modestement « essai » sa longue enquête, son analyse scrupuleuse de l’œuvre des chorégraphes modernes, de tous ceux, musiciens, librettistes, décorateurs, maîtres de ballets, danseurs et ballerines virtuoses des attitudes et des pointes, qui contribuèrent à donner tant d’éclat, sur nos scènes, à l’art chorégraphique.

 

Par un Prix littéraire Montyon, nous offrons un laurier à M. Charles Oulmont, romancier, critique, poète, auteur dramatique, dont la plus récente manifestation d’écrivain est un récit qui se déroule dans le Valais et au Portugal, autour des douleurs sentimentales et des crises de conscience de deux femmes adultères. La psychologie de ces victimes d’un malheureux et coupable amour est fortement étudiée. Celle de deux prêtres, qui leur arrachent des aveux avec une sévérité tempérée par une compassion évangélique, ne l’est pas moins. La capitale portugaise ensoleillée, la majestueuse, magnétique et périlleuse montagne suisse, sont l’objet de descriptions frappantes. On conçoit que M. Charles Oulmont ait été nommé « bourgeois d’honneur du Valais » et que M. Salazar ait qualifié son roman de « noble et puissant. »

 

Un autre Prix Montyon a été retenu pour le Saint-Colomban de Mme Marguerite Henry-Rosier, vrai chapitre d’une légende dorée. Elle nous fait accompagner le religieux irlandais dans ses pérégrinations de fondateur de monastères, qui alla, de son île, à Luxeuil, puis en Helvétie, pour mourir en Italie, après avoir, dans la barbarie mérovingienne, répandu le message évangélique. Épopée chrétienne qui s’émaille d’anecdotes, et où font quelque tapage, polémiques, discussions de théologiens, démêlés avec la cour de Bourgogne.

 

Un Prix Montyon encore est dirigé vers des aventures tropicales, narrées par M. René Guillot, sous le titre : La Brousse et la Bête. Il semble avoir, sous la tente d’un Touareg, saisi les thèmes de ces contes, non loin de paysages qui prennent leurs couleurs à la palette violente de chaudes forêts. Sa fantaisie fait se mouvoir une faune qui, à ses instincts, mêlerait de l’âme et qui intervient dans la destinée du fins du roi, comme dans celle du chasseur et du berger. Légendes et chansons se succèdent dans un air fiévreux, créateur de mirages.

 

Si je m’arrête ici dans l’énoncé des prix destinés aux prosateurs ; ce n’est pas sans avoir conscience de commettre une injustice, car j’aurais encore à parler de récompenses bien placées. Mais je dois, pendant l’heure dont je dispose, me tourner un peu du côté des poètes ; C’est donc à eux que peuvent s’en prendre ceux que, malgré moi, j’omets de nommer dans ce discours, qui, d’ailleurs, ne doit pas être un palmarès, Je demande qu’ils me soient cléments au nom de la Poésie et de ses droits sous cette Coupole, et de l’oasis de rêve où elle nous convie en notre temps de quotidiennes inquiétudes motivées et de dur réalisme.

Le Secrétariat de l’Académie tient à la disposition de nos lauréats une liste complète de nos Prix.

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Les Chemins retrouvés de M. Henri-François Marchand lui ont fait rencontrer le Prix Verlaine. Il vient d’augmenter son œuvre abondante d’une nouvelle évocation ruisselante de sève, si alerte et si vivante de la région mâconnaise que, d’emblée, on pénètre avec lui dans sa maison, ses champs, ses vallons, que l’on est en familiarité avec les moissonneurs e les vignerons, que l’on hume mille senteurs rustiques. Sous le ton « bon enfant » qu’il emploie comme venant sans façon au cœur, il est pourtant l’expert appliqué à ne pas enfreindre les règles de la prosodie classique, à respecter ce que respecta la lyre de Lamartine dont il cherche la grande ombre à Milly, à Monceau, à Saint-Point.

 

Le Prix Davaine salue les chants, d’une harmonieuse sonorité, de M. Martial Marthon, qui s’élèvent aussi à la louange de la terre natale. Ils nous mènent d’un pas de flânerie plein d’agréments, du Sentier Limousin à la Grand’Route, en nous avertissant de tout ce que renferme sa province, selon les heures et les saisons, la lumière ou la brume. Et comme M. Martial Marthon voit toujours, à travers son Limousin, la France et au-delà même, il termine ses actions de grâce au ciel de son pays par un hosanna d’espoir généreux :

Le Limousin, la France et puis l’Humanité
Unis au même amour dans la durable Paix.

 

Prix Davaine aussi à la Comtesse Charles de Voguë. Ses Nouveaux Poèmes, nés des frémissantes suggestions de la tendresse et de la douleur, noués en une gerbe endeuillée à la mémoire de son fils mort pour la France. Son émotion, sa ferveur, ont une très communicative vertu :

 

Le Prix Saint-Cricq-Theis est décerné au dernier volume de Mme Marthe Dupuy : Du fond des Abîmes, venant après bien d’autres qui, tous, attestent un talent féminin d’une rare vigueur. Elle sait glorifier les héros, comme les villes dont elle rêve ou celles dont elle a respiré les enivrantes émanations. Elle se penche vers les doctrines orphiques, pythagoriciennes. Elle chante en de belles strophes la lente ascension de, l’humanité hors des ténèbres, la vie universelle et les grandes espérances de l’au-delà.

 

Le Prix Capdeville a trois titulaires :

M. Léon Vérane appartient en partie au groupe des fantaisistes. Aisés, spirituels, les vers de son livre Les Passe-Temps ont parfois sous leur bonhomie une amertume qui les approfondit. Ils trahissent un mélange de résignation hautaine et de pessimisme souriant.

 

M. Yves Gérard Le Dantec, neveu du grand savant et philosophe Le Dantec, en même temps qu’un historien de la Poésie, et que l’exhaustif éditeur des poèmes de Baudelaire, de Verlaine, de Pierre Louÿs, est l’auteur de vers qui joignent à la plastique parnassienne une fluidité symboliste. Il a cédé à l’inépuisable prestige de la fable antique et tenté de rajeunir les mythes en les déformant afin d’y introduire un mysticisme tour à tour inquiet et serein. Il n’a point dédaigné le drame humain ni les problèmes que pose incessamment la pensée de son avenir.

 

M. Paul Gilson apporte à l’éternel lyrisme une note moderne qui traduit l’incertitude de nos temps par l’enveloppant mystère des mots. Ce sont des poèmes à la vie, à l’amour, au rendez-vous des solitaires.

 

M. René d’Arghiavine est un poète corse qui ne se recommande pas seulement à nous par ses Satires et Eaux-fortes, croquis pleins de verve et de couleur, mais aussi par son fiction féconde en faveur des Lettres françaises dans notre île de Beauté. Nous l’en remercions avec le Prix Archon-Despérouses.

Ce Prix est partagé avec M. Jean-Victor Pellerin qui a connu d’éclatants succès au théâtre, notamment avec Têtes de rechange. Par son recueil : Jean qui pleure et Jean qui rit, il réagit contre le surréalisme, sans être étroitement traditionnel, surtout dans son inspiration qui va du spiritualisme à une ironie souriante.

 

Le Prix Jean-Jacques Bernard est attribué à Mme Jeanne Evian qui s’occupe activement des Lettres rhodaniennes. Elle a observé la vie du haut d’un Donjon perdu, ainsi que s’intitule un recueil de vers d’un accent personnel, qui avoue un goût profond de la nature et qui sont d’une forme très condensée.

 

M. André Pourquier bénéficie du Prix Artigue. Le titre de son volume : Parmi les Hommes, indique bien qu’il s’oriente vers les problèmes de notre destinée. Tout ensemble pessimiste et stoïcien, il ne s’égare jamais hors de la sûreté de la forme parnassienne. C’est un poète de classe.

 

Également Prix Artigue, M. Alfred Anselme, grand blessé de guerre de 1914. En des sonnets d’un métal bien trempé, il fait passer des profils, des silhouettes furtivement entrevues dans des paysages parisiens ou méridionaux, mais aussi des rêveries troublées par l’inquiétude humaine.

 

M. Jean Silvaire, très estimé dans le Périgord pour ses qualités de poète, remporte également un Prix Artigue. Il est aussi artiste enlumineur. C’est sans doute pourquoi les vers de son Jardin des rimes sont traités avec un soin délicat et une recherche des teintes fines.

 

Mlle Madeleine Mordacq nous promène à travers d’autres jardins, ceux de la Loire, décorés par nous du Prix Wils. Elle nous fait respirer l’air doux et salubre du beau pays de la Touraine où règne un charme bucolique que sa sensibilité a su bien rendre.

 

Le Prix Amélie Mesureur veut vivement encourager une jeune poétesse, Mlle Thérèse Picquelmont, à laquelle, dans la préface de son volume : Les Poisons de l’âme, M. Pierre Grosclaude prédit un bel avenir. Sous l’aveu de sourdes angoisses, de tâtonnements dans le brouillard perce la hantise de la lumière, de la santé de l’âme.

 

Un Prix Jouffroy-Renault est accordé à des sonnets baptisés par M. Yves Kervor d’un nom tout moderne : Cocktail. C’est, en effet, une chimie capiteuse de sentiments tendres ou mélancoliques, d’émotions nuancées de découragements et d’exaltation.

 

Un autre Prix Jouffroy-Renault est reçu par M. Pierre Laurent. Il a vécu des années à la Guadeloupe et en est revenu avec des poèmes de clarté prismatique qui nous transmettent ce dont ses yeux furent éblouis dans l’Ile de Lumière.

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En décernant chaque année quelques Prix de Langue française sous la forme de notre belle médaille Richelieu à certains écrivains étrangers qui réalisent leur œuvre en notre langue, et aussi à des hommes qui l’enseignent et l’aiment, s’efforcent de propager ou de maintenir sa diffusion, nous prenons plaisir à montrer combien nous sommes touchés et fiers d’un tel attachement.

C’est ainsi que nous sommes sûrs d’accomplir un acte de justice en faisant tenir cette médaille à un prêtre canadien, M. l’abbé Arthur Maheux, licencié ès-Lettres de notre Sorbonne, diplômé des Études supérieures classiques (avec un Mémoire rédigé sous la direction du très regretté maître Ferdinand Brunot).

Ancien Secrétaire général de l’Université Laval à Québec, il est actuellement Directeur de l’Institut d’Histoire et de Géographie de cette Université et Président de la Société Royale du Canada. Écrivain et conférencier fort apprécié, membre très actif de plusieurs Sociétés savantes, il est l’auteur de nombreux ouvrages destinés à la défense et même au développement de la culture française au Canada. Tous ceux d’entre nous qui eurent la bonne fortune d’être, en ce pays, témoins de son constant prosélytisme en ce sens, saluent avec ferveur son admiration passionnée du génie français.

Pour bien montrer l’abbé Arthur Maheux let qu’il est dans ses sentiments à notre égard, je m’enhardis jusqu’à commettre une indiscrétion, dont je m’excuse, en répétant tout haut, ce que, dans une conversation sur l’atmosphère intellectuelle de sa Patrie, le général Vanier, ambassadeur du Canada — qui, lui-même, parle avec élégance un français d’une parfaite pureté — me dit un jour à propos de l’abbé Maheux : « Je l’ai beaucoup vu, en 1941-42, quand je commandais la région militaire de Québec et me souviens que, à ce moment où la France souffrait si atrocement, il l’a comprise et aimée. C’est un fidèle serviteur de la cause française à laquelle il consacra, une vie de labeur et de dévouement. »

 

Et voici une autre médaille

Poète, romancier, journaliste, M. Raphaël Soriano est a assurément l’un des plus fervents défenseurs des Lettres et, de l’influence françaises en Égypte.

Tous ceux de mes confrères qui eurent le plaisir de s’y rendre sont unanimes à le reconnaître. Nous savons que — sur ce point comme sur tant d’autres — ils sont d’accord avec le Président de la colonie française d’Alexandrie.

Dès le lycée, M. Raphaël Soriano s’est intéressé à la littérature française, à laquelle il voua un véritable culte. À dix-sept ans — comme bien des collégiens de chez nous — il fonda une revue littéraire et artistique : Les Essais, y collaborent ses camarades de classe... et aussi — en secret — quelques professeurs. Un peu plus tard, Les Essais, changeant de titre, deviennent l’Athénée et, conquis par ce zèle si flatteur pour notre Pays, plusieurs membres de notre Académie, Edmond Rostand et Henri de Régnier en particulier, ont bien voulu figurer à ses sommaires. La Comtesse Anna de Noailles eut la bonne grâce d’en faire autant.

En 1914, M. Raphaël Soriano publia, sous le modeste titre : Balbutiements, une plaquette de vers qui fut favorablement accueillie par la Presse parisienne. Devenu journaliste en 1919, il ne laisse échapper aucune occasion de servir la France, aussi bien dans le domaine intellectuel qu’en celui des intérêts matériels. Correspondant régulier des Nouvelles littéraires, du Mercure de France et d’autres journaux, il se fait un plaisir d’y mettre en relief, par ses articles, le rayonnement de la pensée française en Égypte.

Entre temps, il écrit un roman : Antagonisme, qui paraît en feuilleton dans le journal d’Alexandrie, dont il fut le rédacteur en chef pendant onze ans. Et il continue à écrire des vers. Un de ses recueils : Le Cahier de Rimes, puis plusieurs furent couronnés à Paris par des juges qualifiés.

Depuis 1935, Directeur des services alexandrins du Journal d’Égypte, l’un des quotidiens de langue : française les plus répandus dans le Moyen-Orient, il poursuit avec foi et talent activité francophile. Ce dont se souviennent et peuvent témoigner de nombreux écrivains français de haut renom, en l’honneur desquels il a, lors de leur passage dans la seconde capitale égyptienne, organisé de brillantes réceptions et fait lui-même le plus cordial accueil.

 

Nous offrons à Mlle Hélène Harwitt cette Médaille Richelieu, une de nos récompenses les plus souhaitées que nous ne prodiguons pas, à travers le monde. L’Académie ne pouvait, d’ailleurs, faire moins quand le Gouvernement français a reconnu publiquement les mérites de cette animatrice de la French Review. Citoyenne des États-Unis et professeur dans une grande Université de l’Est, Mlle Hélène Harwitt est une fidèle amie de la France. Elle n’a cessé, depuis plusieurs décennies, de prouver son attachement à notre civilisation et à nos Lettres, par ses écrits dans la French Review et par le moyen de ses fonctions universitaires. Elle a tous les titres à notre gratitude.

 

Notre Médaille est aussi offerte à La Revue de la Pensée française qui s’efforce de répondre aux besoins de tous ceux qui, vivant hors de leur pays intellectuel qu’est la France, désirent trouver, chaque mois, sous une forme attrayante et dans une présentation de haut goût, une synthèse vivante de tous les aspects de la vie française. Une équipe d’écrivains, de journalistes, de dessinateurs, de tout premier plan lui permet de répondre à ce vœu. Cette revue, qui va commencer sa dixième année d’existence, a été fondée, en 1941, à New-York, sous l’égide du baron de Zuyden de Nievelt. À cette époque, le prestige de la France subissait une éclipse passagère. Aucun livre ne pouvait venir de France. Nos compatriotes réfugiés aux États-Unis se trouvaient presque complètement privés de lecture. L’effort pour remédier à cette situation fut couronné de succès et Maurice Maeterlinck, entre autres, admira l’énergie de l’apostolat de cette revue qui mettait sous les yeux des lecteurs étrangers les trésors de la littérature française.

En 1946, pour répondre aux besoins nouveaux créés par la libération de notre territoire, la Revue, maintenant dirigée par M. Bernard Voyenne, prit sa formule nouvelle. En plus de pages anthologiques prises à notre littérature du passé lointain ou récent, elle donne des articles vivants sur le mouvement artistique, littéraire et social de la France. Instrument de culture, utilisé par beaucoup de professeurs dans les Universités étrangères, la Revue de la Pensée française s’efforce d’être toujours fidèle à son titre, comme à sa mission de propagandiste pour la défense et l’illustration du prestige spirituel de notre pays dans le monde.

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Dans ce discours annuel, prononcé en séance solennelle sous la Coupole, rapporte toujours le plus grand soin à parler des étrangers qui aiment la France, sa littérature et sa langue. Je le fais parce que, pour moi, c’est le plus délicat moyen de remercier les hommes et les femmes dont les écrits ou l’enseignement ou les actes prouvent un fidèle attachement à notre Pays. Je tiens à leur montrer que, si nous sommes touchés, de le voir parfaitement connu d’eux, dans son présent comme dans son passé, nous connaissons aussi les étapes de leur vie, leurs talents, leur œuvres, leurs généreux efforts pour la diffusion de la langue française. En m’y appliquant avec cette conscience, je suis sûr d’exprimer l’émotion, la fierté et la gratitude non seulement de mes confrères de l’Académie, mais de tous les écrivains français.