Funérailles de l’amiral Lucien Lacaze, en l’église Saint-Louis-des-Invalides

Le 26 mars 1955

Maxime WEYGAND

Funérailles de M. Lucien Lacaze

EN L’ÉGLISE SAINT-LOUIS DES INVALIDES

Paris, le 26 mars 1955

DISCOURS

DE

M. MAXIME WEYGAND
Délégué de l’Académie française

 

Messieurs,

Les coups du sort n’épargnent pas notre Compagnie. Une tombe est à peine fermée qu’une autre s’ouvre.

Avec une profonde tristesse l’Académie Française apporte un hommage de vénération et de gratitude à son Doyen d’âge, l’Amiral Lacaze qui fut un très grand Marin, un Homme de Bien.

Entre les inoubliables services que, pendant près de 5o ans le Marin a rendus à la France, il faut choisir. Nous ne pouvons ici en rappeler que les sommets en les considérant surtout du point de vue humain.

Nous ne tairons pas cependant qu’à l’École Navale, où il entra à 17 ans en 1877, il donna un premier et probant témoignage de sa générosité de cœur et de son courage. Au cours d’une manœuvre, par un gros temps, un de ses anciens tomba d’une vergue à la mer. Lucien Lacaze n’hésita pas à s’y jeter à sa suite et le sauva au péril de sa vie. Grand Croix de la Légion d’Honneur, il conservait une prédilection pour sa Médaille de Sauvetage, si vaillamment gagnée.

Jeune officier, il servit sur toutes les mers que baignaient les territoires où flottaient nos Couleurs.

Au Tonkin, en 1894-96, il entra en rapports avec Lyautey, alors en demi-disgrâce et sans emploi valable, à la suite de son retentissant article sur « le Rôle Social de l’Officier ». Il obtint que le brillant capitaine de chasseurs fût attaché au Colonel Galliéni. Il eut peut-être ainsi sa part de la vocation du futur fondateur d’empires.

En 1901, en Tunisie, à l’État-Major de l’Amiral Merlaux-Ponty, son initiative, sa volonté de réalisation triomphèrent dans la création de la base navale de Bizerte.

En 1906, le Capitaine de Vaisseau Lacaze fut nommé attaché à l’Ambassade de France en Italie, que dirigeait Camille Barrère. Grâce à ses relations dans les différentes Sociétés de Rome et à sa finesse, il apporta un concours très apprécié à son éminent chef auquel l’unit dès lors une indéfectible amitié.

Ce fut à partir de 1908, en qualité de Chef d’État-Major de l’Amiral Germinet, que Lacaze accéda aux plus hautes questions intéressant la Défense Nationale. En collaboration avec ce chef, dont le caractère égalait le talent, il participa à l’étude des problèmes concernant l’organisation et l’entraînement de nos forces de mer.

Lorsque M. Delcassé devint en 1911 Ministre de la Marine, il appela auprès de lui l’Amiral Lacaze en qualité de Chef de Cabinet. On doit à l’amiral un solide programme de constructions navales, où figuraient des sous-marins de haute mer. Son nom reste surtout attaché à la conclusion, en 1913, du premier des accords conclus entre les deux Marines britannique et française, qui régla les missions et la répartition des flottes entre les mers du Nord et la Méditerranée. Ce contrat arrivait à point, car la guerre était proche.

Lorsqu’elle éclate l’Amiral Lacaze exerce depuis un an le commandement d’une division de l’armée navale. Il doit le quitter à la suite d’une divergence de vues qui heurte l’amiral commandant en chef, auquel il avait donné avec une totale franchise l’avis sollicité. Loin de lui nuire, la fermeté de son caractère le désigne, en 1915, au choix du Président Viviani pour le poste de Ministre de la Marine. Sa parfaite connaissance des problèmes, son jugement, sa décision marquent son passage rue Royale. C’est le moment où la guerre sous-marine multiplie ses ravages; l’amiral organise la lutte contre ce fléau : il achète, il fait construire les bateaux appropriés et met en place un dispositif de défense qui réduit considérablement les dommages. Son influence et son autorité s’affirment au Comité de Guerre où il retrouve successivement, ministres de la Guerre, les généraux Gallieni puis le général Lyautey. C’est à lui encore que revient la charge de sauver l’armée serbe, d’abord victorieuse des Autrichiens, puis prise à revers par la Bulgarie et refoulée, en la faisant passer à Corfou, puis de Corfou à Salonique.

Mais l’irrésolution dont le Cabinet Ribot fait preuve, l’en détache. Il démissionne et le voilà, Vice-Amiral, Préfet Maritime de Toulon dans une conjoncture très délicate; il ramène par son tact et sa fermeté le bon ordre dans les esprits brouillés par les tristes événements de la mer Noire.

La guerre terminée, l’Amiral Lacaze exerce pendant quatre années les fonctions de Vice-Président du Conseil Supérieur de la Marine. Il prend part avant d’être atteint par la limite d’âge à la Conférence de Lausanne où il sert une dernière fois sous la haute direction de M. Barrère. Je constate là les marques d’estime et de respect dont il est l’objet de la part de tous nos interlocuteurs étrangers.

Peu de carrières maritimes ont été aussi pleines, aussi fécondes. Dans tous ses grades l’Amiral Lacaze a commandé à la mer. Attaché naval, chef d’état-major, chef du Cabinet d’un Ministre, Ministre lui-même, il a dans ces postes si divers fait preuve des qualités du chef, du technicien, du diplomate, de l’homme d’État, au grand bénéfice de la France qu’il a toujours et partout très noblement servie et représentée.

Avant d’entrer à l’Académie française, l’amiral appartenait déjà à l’Institut; l’Académie des Beaux-Arts avait appelé à elle un des créateurs de la Casa Velasquez.

Le recevant sous la coupole, en novembre 1937, M. Gabriel Hanotaux lui disait : « Vous êtes la douceur et la fermeté, la loyauté et l’indulgence, la finesse et l’autorité. Vous avez une éloquence naturelle, imperceptible et pénétrante, courte et forte comme votre arme d’amiral, mais qu’il faut tenir en main et mettre au bon endroit. Sans nul désir de plaire, vous plaisez; on vous aime parce que vous aimez, avec cette flamme du cœur qui anime et réchauffe. » On ne peut mieux dire. Telles étaient en effet, les qualités et les vertus d’esprit et de cœur, clefs de la constante réussite de l’amiral Lacaze. Ce sont elles aussi dont nous retrouvons l’action souveraine dans le couronnement lumineux de sa belle vie.

Certes il reste toujours, et avant tout, Marin; il est le Secrétaire général de l’Académie de Marine, il préside aux destinées du Musée de la Marine ; des œuvres auxquelles il se consacre d’abord sont celles qui assistent les hommes de mer et leur famille : la Société de sauvetage des naufragés, la Société des œuvres de mer, des Orphelins de la mer, des Pupilles de la marine marchande. Mais à combien d’autres encore se donne-t-il, telles que la Sainte Enfance et l’Association des Veuves de la Guerre, l’Aide Silencieuse... Car il est partout où il y a à aider, à secourir, à tirer quelqu’un d’un mauvais pas, à lutter contre la misère et la mauvaise chance; partout en somme où il y a une bonne action à accomplir.

Permettez-moi d’évoquer la dernière image que nous gardons de lui, lorsqu’il allait, ces derniers temps encore, à ses besognes charitables, vif, discret, de son pas pressé, par tous les temps souvent à pied ou dans les transports en commun dont la carte de priorité était le seul privilège qu’il revendiquait ; donnant à autrui et se donnant lui-même.

La simplicité de l’Amiral Lacaze nous laisse un exemple de la vraie grandeur. Par sa bonté et son total désintéressement des biens matériels il personnifiait l’esprit de charité. Bien puissant et efficace viatique pour le dernier voyage et pour comparaître devant le Juge Suprême.

La France pleure en lui un de ses fils qui l’ont le mieux servie. L’Académie française adresse à sa famille, dont elle partage le deuil, l’hommage de ses profondes condoléances. Elle s’incline avec émotion et une patriotique reconnaissance devant la dépouille mortelle de son illustre Confrère, d’un Marin, d’un Homme d’une exceptionnelle qualité.