Discours pour l’inauguration d’une plaque apposée sur la maison de Pierre Benoit, Paris

Le 19 octobre 1982

René de CASTRIES

DISCOURS

DE

M. le Duc de CASTRIES
délégué de l’Académie française

pour l’inauguration d’une plaque apposée
sur la demeure du 120 rue d’Assas à Paris VIe
où Pierre BENOIT vécut de 1924 à 1947

à PARIS
le 19 octobre 1982

 

Sur l’initiative de M. Frédéric Dupont, nous venons apposer une plaque commémorative sur cette maison du 120, rue d’Assas, où Pierre Benoit écrivit plusieurs de ses merveilleux ouvrages, et qui fut avant tout celle de ses parents. Il me paraît donc normal de vous dire un mot de ceux-ci.

Par son ascendance paternelle Pierre Benoit était originaire de Lyon. Cette famille lyonnaise des Benoit s’allia à une famille de magistrats béarnais, les Casebonne, dont l’un fut procureur du Roi à Pau, l’autre procureur impérial à Bayonne.

Gabriel Benoit, père de Pierre, naquit à Bayonne en 1852 ; orphelin de père à l’âge de deux ans, il fut élevé par sa mère et par son grand-oncle, le procureur impérial.

Saint-Cyrien à dix-huit ans, engagé volontaire en 1870, combattant en Kabylie, Gabriel Benoit bifurqua par la suite dans l’Intendance.

En 1885 il épousa Claire Fraisse, une dacquoise, qui séjournait souvent à Bayonne et à Biarritz.

En 1886 le ménage voyait naître à Albi son premier enfant, un garçon prénommé Pierre, qui était appelé à suivre ses parents dans leurs garnisons, notamment en Tunisie et en Algérie.

Le jeune Pierre se montra d’une étonnante précocité intellectuelle, puisqu’il savait à deux ans dix-sept fables de La Fontaine. Sa mémoire exercée de bonne heure lui permit de savoir par cœur des milliers de vers dont les tragédies de Racine et une partie de Victor Hugo.

Après de brillantes études au lycée de Tunis, il fit son service militaire aux confins du désert, à Boghar, ville qu’il a évoquée dans l’Atlantide.

Puis il séjourna à Montpellier où il passa avec succès deux licences, une de droit, une autre de lettres.

Jusqu’à l’âge de vingt ans, il passa ses vacances avec ses frères et sœurs à la Pelouse, petite chartreuse voisine de Dax qui appartenait à sa grand-mère ; il était tellement attaché à ce lieu de son enfance qu’il en fit plus tard le cadre de Mme de La Ferté.

En 1908 Pierre Benoit avait gagné Paris ; il y fut admissible à l’agrégation ; il passa le concours de rédacteur à l’Instruction publique, puis entra au cabinet de Léon Bérard et approcha le monde littéraire.

En 1913 il fit son entrée dans les lettres en publiant un recueil de poèmes « Diadumène » dont son père assuma les frais d’impression. Ces poèmes qui comportent régulièrement quatre quatrains chacun, dans le style des Parnassiens, évoquent à l’avance plusieurs thèmes de ses futurs romans.

Le 2 août 1914, Pierre Benoit, partant comme lieutenant d’infanterie au 218e à Pau, gagna la ligne de feu, participa aux combats de Charleroi, puis à la bataille de la Marne ; enfin dans les tranchées de l’Aisne et à la ferme Heurtebise, il tomba malade et, après de longs mois de traitement, il fut démobilisé et reprit son poste au ministère.

Ayant gardé un mauvais souvenir des difficultés rencontrées pour faire imprimer « Diadumène », il tenta un essai romanesque qui fut « Koenigsmark » et prouva immédiatement sa maîtrise. Publié par le Mercure de France, « Koenigsmark » attira l’attention sur lui qui, quelques mois plus tard, parvint à la notoriété universelle avec « L’Atlantide », à laquelle l’Académie française attribua le grand prix du roman.

Désormais, il allait consacrer sa vie à la création romanesque, à raison d’un volume par an, ce qui ne l’empêchait pas de faire de grands voyages comme reporter, conservant toutefois comme adresse parisienne ce 120, rue d’Assas, où l’on appose la plaque.

Président de la Société des Gens de Lettres en 1929, il allait devenir deux ans plus tard le benjamin de l’Académie française où il succédait à Ernest Lavisse et à Georges de Porto-Riche. Il avait été élu le même jour que le général Weygand et il fut reçu par Henri de Régnier.

Pierre Benoit fut très attaché à notre Compagnie dont il devint l’un des électeurs les plus influents ; toutefois il donna avec éclat sa démission quand Paul Morand échoua et on ne le revit plus quai Conti.

Il existe une légende sur la personnalité de Pierre Benoit que l’on représente comme un amateur de farces et de mystifications dont il se plaisait à semer ses romans.

En réalité Pierre Benoit était un homme très discret, très fermé dans ses affections familiales. Il restait fort réservé sur sa déférence à l’égard de son père dont il craignait la rigueur de jugement et sur sa profonde tendresse à l’égard de sa mère.

Cet homme, qui avait dépeint avec bonheur une quarantaine d’héroïnes dont le nom commençait systématiquement par un A, était fort sensible au charme féminin. Il ne se maria pourtant que tardivement, fut un excellent mari et mourut de chagrin de son veuvage.

Il décéda le 3 mars 1962 dans une villa de Ciboure qu’il avait baptisée du nom d’une de ses héroïnes, Allegria.

Je me présentai sans succès à son fauteuil, car j’aurais voulu faire l’éloge d’une œuvre romanesque que j’admire profondément et dans laquelle je me replonge fréquemment.

Qu’il me soit permis de dire la sympathie que j’éprouve pour son auteur que je n’ai malheureusement jamais rencontré, mais dont je tiens à souligner ici l’esprit vif et acéré, excellent dans la conversation et aussi le patriote défendant ses idées politiques qui n’étaient pas toujours au goût du jour. Sa fidélité à ses anciens maîtres Barrès, Bourget, Maurras, n’eut d’aussi remarquable que son désintéressement des biens matériels.

Cet auteur que sa littérature avait fait vivre très largement multiplia ses générosités au point qu’il mourut ruiné. Ce n’est pas un des aspects les moins sympathiques de cet homme si plein de talent et de charme.

Hélas ! le dictionnaire Larousse qui se flatte d’être à la tête du progrès vient de supprimer le nom de Pierre Benoit de ses récentes éditions. Ce geste qui ne grandit guère ses rédacteurs n’atteint pas le souvenir de Pierre Benoit qui restera dans les mémoires comme l’un des plus prodigieux conteurs de tous les temps.

Et pour terminer, je tiens à adresser un très amical hommage à Mme Renée Benoit, sœur de l’écrivain, qui avec une exemplaire fidélité maintient le souvenir de son frère.