Dire, ne pas dire

L’assimilation, le ch’fal et le joual

Le 4 mai 2017

Expressions, Bonheurs & surprises

L’assimilation à laquelle nous allons nous intéresser ne ressortit pas à la biologie, ce n’est donc pas le fait pour un organisme d’intégrer à sa substance des éléments étrangers. Elle ne ressortit pas non plus à la sociologie et ne désigne donc pas le phénomène par lequel un individu ou un groupe se fond dans le milieu où il vit en perdant certains de ses caractères propres. Il s’agit de l’assimilation dans le domaine de la phonétique. Cette dernière ressemble à ce qu’était la prose pour monsieur Jourdain, nous en faisons sans le savoir et l’on pourrait presque trouver gênante l’emprise qu’elle a sur nous, puisque c’est elle qui régit notre manière de prononcer les mots. Avec l’assimilation, nous ne sommes pas loin de la psychanalyse et de ses lapsus, puisque quelque chose parle en nous que nous ne contrôlons pas.

Ce phénomène inconscient est lié à la loi du moindre effort. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de la paresse de quelque cancre qui refuse d’accomplir sa tâche, mais d’une judicieuse forme d’ergonomie. Mais voyons en quoi consiste ce phénomène. Les sons que nous émettons sont produits en divers endroits de notre canal buccal et de diverses manières. Quand deux phonèmes très différents se suivent, le passage de l’un à l’autre n’est guère aisé. C’est pourquoi nous en modifions un, généralement le premier, en lui donnant certaines caractéristiques de l’autre pour que la transition entre les deux soit facilitée. Il n’est besoin pour s’en rendre compte que d’un peu d’introspection. Que chacun s’écoute prononcer un peu vite le médecin est absent, il constatera qu’il dit le mét’sin est apsent. Il constatera de même qu’il dit anegdote et subzide quand il lit les noms anecdote et subside. Ce phénomène est universel et on en trouve de nombreuses traces dans les langues anciennes puisque, dans celles-ci, l’écrit était plus près de l’oral. Le couple latin agere et actio en est un bon exemple : dans actio, la consonne sonore g, que l’on trouvait dans agere, s’est assourdie en c, prononcée [k], au contact de la consonne sourde t du suffixe -tio. Un grand nombre de particularités formelles de nos mots s’expliquent par l’assimilation. C’est elle qui justifie, par exemple, la règle qui veut qu’en français n se transforme en m devant m, b et p : il s’agit de la mise en norme de ce qui se passait en latin où la dentale n se transformait en la labiale m devant les autres labiales m, b, ou p.

En dehors de ces cas, l’assimilation se produit quand la chute d’un e muet met en contact deux consonnes jusque-là séparées, comme on l’a vu pour médecin prononcé mét’sin. Cela se produit parfois à l’intérieur d’un mot mais plus encore, dans la chaîne parlée, quand un terme monosyllabique perd son e final, ce qui arrive fréquemment avec je, ce, se, le. On se rappellera donc que si l’on omet le e du pronom dans je t’aime, on aura un plus rugueux ch’t’aime, le j, consonne sonore, se transformant au contact de la sourde t en la sourde correspondante, ch. On rencontre également ce phénomène dans les groupes je crois, je peux ou je sais, menacés de passer à ch’crois, ch’peux ou ch’sais. L’adjectif démonstratif subit un sort semblable, lui qui est susceptible de devenir z’, comme dans z’dessin, z’garçon. Force est de constater également que l’on dit un jeu t’cartes et que le service de contre-espionnage français se prononçait zdec, bien qu’il s’écrivît SDECE.

Dans tous ces cas, on l’a vu, c’est la deuxième consonne qui modifie la première. On parle alors d’assimilation régressive. Mais il arrive aussi, plus rarement, que l’assimilation se fasse en sens inverse ; c’est alors la première consonne qui modifie celle qui la suit, et l’on parle dans ce cas d’assimilation progressive. Ainsi, quand il perd son e, le nom cheval est-il le plus souvent prononcé ch’fal : c’est cette fois le v qui s’assourdit en f au contact de la sourde ch. Cependant, d’une région à l’autre, l’assimilation n’est pas toujours la même. C’est ce qui est arrivé à notre cheval puisqu’il existe aussi des lieux où l’assimilation est régressive et où l’on dit g’val et j’val. C’était autrefois le cas en Normandie et en Anjou, où cette prononciation a évolué ensuite en joual. Les Normands qui ont émigré au Québec ont amené avec eux cette forme, qui est ensuite devenue emblématique du parler populaire québécois et lui a donné son nom, le joual.