Homélie prononcée pour les obsèques de M. André Roussin, en la basilique Notre-Dame-des-Victoires

Le 5 novembre 1987

Robert-Ambroise-Marie CARRÉ

J’ai connu André Roussin quand j’étais aumônier des artistes, il y a plus de trente-cinq ans. Celui qui porte actuellement ce titre aurait bien voulu être avec nous ce matin, mais il est retenu loin de Paris. Je rencontrai André Roussin, le comédien et l’auteur dramatique, avec une égale sympathie ; des liens d’affection se nouèrent alors. C’est pourquoi, sans doute, à deux reprises, André Roussin m’a demandé de prononcer l’homélie au cours de cette messe. À une condition expresse : que je ne dise rien sur lui qui soit élogieux.

Il n’y avait point là comportement superficiel et ambigu, mais preuve de sa modestie et pressentiment qu’ont peu d’importance, finalement, les gloires de ce monde.

Quand je l’ai vu la dernière fois, samedi, au moment des Premières Vêpres de la Toussaint, imaginant sa mort proche, je me posai, une fois de plus, une question que nous suggère avec force la liturgie : pourquoi ne pas d’abord pleurer les morts avant de célébrer dans la joie tous nos élus ? Pourquoi la Toussaint avant le Jour des morts ?

Je connais la réponse ; je me la suis répétée : elle éclaire notre destinée humaine. Ce qui est premier dans l’ordre de la pensée et de l’action, c’est le terme. Aux yeux des croyants, il y a un passage obligé et douloureux, mais le terme est une naissance. Dans un de ses sermons familiers saint Augustin déclare :

« Il est plus facile de dire ce que la vie éternelle ne sera pas que de dire ce qu’elle sera. J’en suis bien sûr, nous ne passerons pas notre temps à dormir... Toute notre action sera « Amen  » et « Alleluia  »... Que signifie Amen ? Que signifie Alléluia ? Amen signifie : « C’est vrai  ». Alleluia veut dire « Louez Dieu  ». Dieu est la vérité... Ce que nous atteignons

ici-bas n’est que le signe de la réalité vraie, les choses corporelles en étant le symbole.

« Lorsque nous verrons face à face ce que nous ne voyons maintenant qu’en reflet, alors d’une manière bien différente, avec un mouvement d’amour incroyablement différent, nous dirons : « C’est vrai  ». En parlant ainsi, nous dirons Amen avec une insatiable satiété...  »

L’évangile que j’ai choisi nous apporte l’espérance : le Seigneur ressuscité nous prépare une place dans son Royaume. Il n’agit pas en songeant à des masses d’hommes et de femmes, à d’immenses collectivités, il nous aime, chacun, à titre personnel.

Il fut un temps où l’Église — l’Église de France, je précise — écartait durement le monde du théâtre. Aujourd’hui encore certains chrétiens austères se demandent peut-être quelle place le Seigneur prépare pour ceux qui, par leurs pièces, ont su seulement faire rire tant de gens. On pourrait leur répondre que Dieu a de l’humour — ce qu’ils sont loin de savoir, car eux-mêmes n’en ont pas. Il faudrait ajouter que, sous des aspects comiques, se cachent souvent de graves réflexions sur nos défauts et sur nos qualités d’êtres humains. Oui, il y a de grandes profondeurs dans des textes apparemment fort plaisants. Enfin ne méritent-ils pas d’être récompensés, ceux qui ont su faire rire, alors qu’il en existe tellement d’autres, en ce moment, sur la terre des hommes, dont on pourrait dire que leur seule ambition et leur seul talent sont de nous faire pleurer ?

Il y a un an déjà, André Roussin m’a dit soudain, alors que nous cheminions dans un couloir de l’Académie : « À mon enterrement je ne veux pas que l’on me rende des honneurs. Mais je demande de la musique, et des prières tant qu’on voudra.  » Cela, il le dit à plusieurs reprises à son épouse et à son fils.

Alors, nous nous tournons vers la Miséricorde infinie et nous lui confions l’existence d’André, notre ami, notre frère. Qu’Elle lui pardonne toutes ses fautes. Kyrie eleison ! Seigneur, prends pitié ! Nous sommes tous membres du Corps du Christ et, dans l’admirable mystère qu’est la Communion des saints, nous devons intercéder les uns pour les autres. Prions donc avec ferveur pour André Roussin, en souhaitant la même ferveur à ceux qui, un jour, entourant notre propre cercueil, s’écrieront avec l’Église : Kyrie eleison ! Seigneur, prends pitié !

Je voudrais terminer par cette prière qu’il aimait particulièrement. Elle date du XIe siècle. Un comédien, Francis Lalanne, nous la propose maintenant. Que Notre-Dame des Victoires en favorise l’éternel accomplissement :

Seigneur,

Pourquoi ne pas me permettre

De toucher au moins

La frange de ton vêtement ?

Les malades la touchaient

Et ils étaient guéris

Pourquoi pas moi ?

 

Après avoir été suspendu

Au bois de la croix,

Avoir quitté vivant le tombeau,

Avoir rouvert le paradis,

Introduis-moi

Dans le jardin de tes délices

Tu as préparé la route qui y mène

Fais-m’en partager les ravissements,

Apprends-moi

Les joies de la vendange.

 

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André Roussin est décédé le 3 novembre 1987.