Éloge funèbre de M. Perrault

Le 31 janvier 1704

Paul TALLEMANT le Jeune

ÉLOGE FUNÈBRE DE MONSIEUR PERRAULT,

Prononcé dans l’Académie Françoiſe le 31. Janvier 1704.

PAR M. L’ABBÉ TALLEMANT, à la Reception de Monſieur l’Eveſque de Strasbourg, a preſent Cardinal de Rohan.

 

 

MESSIEURS,

L’Académie dans ſon eſtabliſſement avoit ordonné par un de ſes premiers Statuts, qu’à la mort des Académiciens on ſeroit leur Eloge et leur Epitaphe en Proſe & en Vers. Ce reglement ne paroiſt avoir eſté regulierement obſervé qu’à la mort de M. Bardin, qui ſut le premier dont l’Académie pleura la perte. M. Godeau Eveſque de Vence ſit ſon Eloge, M. l’abbé de Cerizy l’Epitaphe en Proſe, & M. Chapelain l’Epitaphe en Vers. Il eſt vray qu’on a ſupplée en quelque ſorte à un Statut ſi raiſonnable, par la loüable couſtume des diſcours qui ſe ſont aux Receptions, où l’on ſait toujours une mention honorable de celuy dont la place a vaqué, & où l’on n’oublie rien de ce qu’il y a eu de plus recommandable dans ſa vie. Ce pieux devoir vient d’eſtre rempli d’une maniere ſi avantageuſe pour M. Perrault, qu’il paroiſtra ſans doute qu’il y a quelque temerité à moy de pretendre adjouſter quelque choſe à ce que l’on vient de dire avec tant d’eloquence. Mais je croy qu’on pardonnera à ma reconnoiſſance & à mon amitié le zele qui m’anime, pour vous entretenir encore des bonnes qualitez de l’eſprit & du cœur de M. Perrault ; Et ſi j’oſe me ſlatter que le Ciel m’ait donné quelque ſoible talent dans l’art de parler, vous ne me blaſmerez pas, MESSIEURS, de l’employer en ce jour pour jetter quelques ſleurs ſur le tombeau de mon amy,

Purpureos ſpargam ſlores, animamque PERALTI

His ſaltem accumulem donis, & ſungar inami

Munere[1].

L’amitié qu’il a eue pour moy dés mes plus jeunes années ; les liaiſons de ſocieté que nous avons tousjours eues enſemble, mais ſur tout les bienſaits qu’il m’a ſi tendrement & ſi genereuſement procurez, exigent de moy tout autre tribut que celuy de la douleur & des larmes. Permettez-moy donc, MESSIEURS, de renouveller ce premier reglement de l’Académie en ſaveur d’un ſi illuſtre Conſrere & de ſoulager mon deplaiſir, en rendant au public un teſmoignage authentique de ſa vertu.

Nous avons veu perir de grands perſonnages. Combien avons-nous perdu de ces eſprits ſublimes, qui ſçavent donner le prix aux grandes actions, & qui immortaliſent les Heros en s’immortaliſant eux-meſmes. Leurs noms celebres gravez dans les ſaſtes de l’Académie, & dans ceux de la poſterité demeureront eternellement dans la memoire des hommes, & honoreront à jamais cet illuſtre Corps dont ils ont eſté l’ornement. Mais je ne croy pas, MESSIEURS, eſtre deſavoüé de vous, ſi je vous dis que ceux qui ſe ſont ſignalez pour l’avantage de cette Compagnie doivent encore vous eſtre plus chers que les autres. Ce ſameux Cardinal qui en a imaginé l’eſtabliſſement, Richelieu, ce puiſſant Genie qui en a ſi bien preveu l’importance & l’utilité, & à qui vous devez le plaiſir que vous gouſtez tous les jours dans nos Conſerences, & le proſit que vous en tirez, ne ſortira jamais de voſtre ſouvenir. Ces lieux retentiſſent continuellement de ſes loüanges immortelles données par ceux qui ont l’art de ſaire ces belles couronnes,

qui gardent les noms de vieillir.[2]

Je n’oublieray pas icy ceux qui ſurent, pour ainſi dire, les vrais ſondateurs de cette Compagnie, par les ſoins qu’ils prirent d’y eſtabtir des Reglements judicieux, n’ont jamais varié, par cette aimable egalité qui en a ſait tout le prix, la ſublimité du Genie n’eſtant ſujette ny à rang ny à diſtinction humaine ; & ne s’agiſſant icy que d’eſtre homme de Lettres, & d’eſtre diſtingué par les talents de l’eſprit. Chacun apporte icy le ſonds qu’il a receu de la nature & de ſes eſtudes, & ceux qui ſe voyent au deſſus des autres par leur naiſſance ou par leurs dignitez, ſe trouvent heureux d’eſtre aſſociez aux grands Hommes qui compoſent cet illuſtre Corps. ils trouvent une grandeur nouvelle à ſe meſler parmy ceux dont les noms dureront et eternellement, & à s’egaler à ceux, que le Sçavoir, l’Eloquence & la Poëſie ont mis au deſſus des autres hommes. Par le maintien de cette egalité, l’Académie eſt une, par cette egalité elle eſt ſimple, & par conſequent elle eſt durable ; & s’il m’eſt permis de parler ainſi, elle eſt immortelle.

Suivons-la pas à pas dans ſes glorieux progrés. Elle perdit Richelieu. L’honneur eſclattant dont elle joüit aujourd’huy l’attendoit, & dans cette attente elle ne chercha que chez elle la protection dont elle avoit beſoin. Seguier Chancelier de ſrance, l’un des Quarante de l’Académie, en devint le Protecteur. Seguier le Pere des Lettres, cet illuſtre Chancelier, qui par ſa protection & par ſes bienſaits a procuré les plus eſclattantes dignitez aux ſçavants hommes de ſon ſiecle, luy qui aſſembloit dans ſa propre maiſon les meilleurs Eſcrivains de ſon temps, prit alors un ſoin particulier de l’Académie : il aſſiſtoit ſouvent aux Conſerences, préſidoit aux Receptions, & veilla tousjours, à ce qu’il n’y entraſt que des Sujets dignes d’y eſtre admis, & d’en ſouſtenir la reputation.

On en vit bien-toſt le ſuccez. Noſtre puiſſant Monarque prend en une campagne les plus ſortes Villes de la ſlandre, en dix jours au milieu de l’hyver il dompte la ſranche-Comté : Toutes les Compagnies vont ſeliciter le Conquerant, & l’Académie, comme le Corps de l’Eloquence & du Sçavoir, eſt admiſe aux pieds du Throſne du Vainqueur, & joüit depuis de tous les avantages des premieres Compagnies du Royaume. C’eſt icy, MESSIEURS, que je vois l’Académie ſi brillante, que j’en ſuis preſque eſbloüi, ſes heureuſes deſtinées avancent, & ſe decouvrent tous les jours : Seguier à qui elle doit ſa conſervation ne meurt dans une extreſme vieilleſſe que pour luy procurer le plus grand des biensſaits, LOUIS LE GRAND ne dedaigne pas d’occuper ſa place : quel Succeſſeur pour Seguier ! quelle gloire pour l’Académie !

Il n’eſt pas malaiſé de ſe perſuader qu’un pareil honneur amine toutes ſortes de biens. Voila l’Académie dans l’auguſte Palais de nos Rois. Elle y trouve un appartement magniſique & commode, ou l’on ſournit avec abonde tout ce qui eſt neceſſaire pour ſes Aſſemblées. La liberalité ingenieuſe du Prince y joint une diſtribution honorable, qui ſemble moins inſtituée pour inviter & determiner à l’aſſiduité qui eſtoit gratuite depuis tant d’années, que pour regler le temps & la durée du travail. On ſçait aſſez que ce n’eſt que de la main d’un Roy puiſſant, bienſaiſant & magniſique que peuvent partir tant de biens ; mais auprès des Auguſtes, il ſaut des Mecenes, & c’eſt ce que l’Académie trouva dans Monſieur Colbert.

Ce Miniſtre, dont l’eſprit eſtoit univerſel, & qui ſur tout avoit un zele inviolable pour l’Eſtat & pour la gloire de ſon Maiſtre, ſouhaita d’eſtre de l’Académie ; au milieu des occupations inſinies que luy donnoient la Marine & les ſinances, il regarda le ſoin des Arts & des Sciences, comme un des principaux objets de ſon Miniſtere, & crut qu’eſtant parmi nous, il jugeroit par luy-meſme du merite de ceux que le Roy voudroit gratiſier. Il s’engageoit ainſi d’eſtre acceſſible à tous : ce n’eſtoit pas un Miniſtre, c’eſtoit un Conſrere, tousjours preſt à eſcouter & à ſaire du bien. Le plaiſir qu’il prenoit à voir nos diſputes vives ſans aigreur, & eſloignées de toute complaiſance ſans bleſſer la politeſſe, donnoit de l’emulation à tout le monde, ſaiſoit briller cette Compagnie, & luy donna un eſclat qu’elle n’avoit point encore eu.

C’eſt, MESSIEURS, au milieu de tout cet eſclat que je trouve M. Perrault. Le Miniſtre luy ſait connoiſtre ſon amour pour les Lettres & pour les beaux Arts, & ſe repoſe ſur luy de tout ce qui peut ſervir à les porter à ce haut degré de perſection où nous les voyons aujourd’huy. Habile en toutes choſes, mais ſur tout dans l’art de connoiſtre les hommes, il voit dans M. Perrault un ſonds de probité & de juſtice, qui attira toute ſa conſiance. Ce ſidelle conſident ne ſonge plus qu’à examiner de bonne ſoy tout ce qui peut ſaire ſleurir les Arts & les Sciences. Je le voy dans ſon cabinet paſſant les nuits à dreſſer ces memoires qui ſormerent en peu de temps un ſiecle d’or pour tous les illuſtres en quelque ſcience & en quelque art que ce peut eſtre. La ſortune & la vertu ſe reconcilient, les bienſaits vont chercher ceux, qui ſans brigue & ſans deſirs ne s’appliquent qu’à les meriter : une grande Scene s’ouvre à tout l’Univers. La Peinture & la Sculpture reprennent leurs anciens & leurs plus grands honneurs : l’Aſtronomie, la Phyſique & les Sciences les plus cachées ſe cultivent avec ſuccés : l’Eloquence & la Poëſie brillent de toutes parts : Monſieur Perrault ſans ſaſte, ſans jalouſie & ſans intereſt donne le mouvement à tout ; attentiſ au ſeul bruit de la Renommée, il produit & met en œuvre tous ceux dont elle luy ſait connoiſtre les rares talents. Sa capacité naturelle en toute ſorte d’Arts luy ſait remarquer aisément, & ceux qui excellent, & ceux qui ont ce Genie qui mene à la perſection, & ſa droiture pleine d’amour pour la verité, luy donne du zele pour leur ſortune ſans eſtre jamais occupé de la ſienne. Vous avez veu, MESSIEURS, tout ce qu’il a ſait pour l’Académie ; avec quelle ardeur n’eſt il point entré dans le deſtail de noſtre eſtabliſſement au Louvre ? jamais de negative, toutes les graces venoient ſans peine, & preſque tousjours avant que d’eſtre deſirées. Je vous appelle- ici, ſameux Peintres, celebres Sculpteurs, grands Architectes, Aſtronomes renommez, illuſtres Phyſiciens. M. Perrault ne vous a-t-il pas tousjours encouragez, aimez & protegez ? l’avez-vous jamais veu ſe prevaloir de ſa ſaveur ? ou pluſtoſt n’a-t-il pas tousjours eſté occupé à eſlever voſtre merite, à vanter vos ouvrages & à en ſolliciter la recompenſe digne de vous, & de la magniſicence du Prince que vous ſervez ? Parmi tant de ſoins pour les autres, ſongeoit-il à luy-meſme, à ſes illuſtres ſreres, à ſa propre ſamille ? non, MESSIEURS. Tous ceux qui environnoient M. Colbert proſitoient de ſa ſaveur, eſtabliſſoient leur ſortune. M. Perrault penſoit uniquement à luy plaire & à luy ſournir les moyens d’avancer le progrés de tous les Arts, aſin de ſatisſaire la paſſion extreme de ce Miniſtre pour la grandeur de ſon maiſtre & pour la gloire de la Nation.

La mort enleva trop toſt à la ſrance un homme ſi utile à l’Eſtat, & entraiſna en meſme temps dans une eſpece de diſgrace, ſelon la couſtume, tous ceux qu’il avoit le plus aimez. M. Perrault ſut plus ſenſible à la perte d’un ſi grand perſonnage, qu’à 1a perte qu’il ſit de la meilleure partie d’une aſſez petite ſortune acquiſe par de longs travaux. Le voila rendu à ſon loiſir, avec cette joye & cette tranquillité dont il avoit gouſté les charmes pendant ſa jeuneſſe, & dont il avoit tousjours regretté la douceur au milieu des plus grands emplois. Sa maiſon devient ſeule, il voit l’ingratitude de pluſieurs ſaux amis, la grandeur du poſte qu’il avoit occupé luy ſuſcite toute ſorte de traverſes ; ſa vertu le met dans une pleine ſecurité, & ſon Cabinet le conſole de tout. Que vous connoiſſez bien, MESSIEURS, le charme & le pouvoir d’une pareille conſolation, combien vois-je autour de moy de ces illuſtres Solitaires eſpris de l’amour de l’eſtude, & uniquement occupez de leurs livres ou de cette noble ardeur de compoſer ſuivant le talent qu’ils ont receu du Ciel ! Combien en compterois-je ici, qui aprés avoir eſté employez dans les plus importantes negociations, aprés avoir eu toute la conſiance des premieres perſonnes de l’Eſtat, ou enſin aprés avoir heureuſement travaillé à l’inſtruction des premiers Princes du monde, ſont revenus avec joye parmi nous, & ont beni le moment qui les a entierement rendus à eux-meſmes, & au plaiſir de jouir de leur temps & de leurs eſtudes, M. Perrault retrouve les Muſes autour de luy. Elles ne l’avoient pas tousjours abandonné, & le Poëme ingenieux de la Peinture eſtoit le ſruit de quelques moments derobez à des occupations bien incompatibles avec la Poëſie. Mais deſormais toute ſa vie n’eſt qu’un loiſir & vous en avez veu l’employ.

Vous vous ſouvenez ſans doute, MESSIEURS, du prodigieux applaudiſſement que le public donna à ſon Poëme, où il eſlevoit le ſiecle de ſon Prince au deſſus de tous les ſiecles les plus ſameux de l’Antiquité. Ce ſut la ſource d’une diſpute celebre qui a eſté ſouſtenue avec une vivacité & avec éloquence de part & d’autre, qui a ſini avec une politeſſe digne de deux ſi illuſtres Académiciens. Dans ces ſortes de diſputes il eſt ordinaire de pouſſer tousjours ſon opinion un peu au delà du vrai, peut-eſtre M. Perrault a-t-il porté trop loin l’amour de la Patrie, & qu’il ne s’appercevoit aſſez que ce beau génie, qui le ſaiſoit eſcrire avec tant d’agrément, avoit eſté cultivé dés ſa jeuneſſe par les ouvrages de ces grands hommes auſquels il comparoit nos Modernes : peut eſtre auſſi que ſon illuſtre adverſaire ne s’eſtimoit aſſez luy-meſme, & qu’il ne s’appercevoit pas autant qu’il devoit, que ſon propre genie luy avoit ſait egaler & ſurpaſſer meſme ceux à qui il vouloit deſerer toute la beauté de ſes ouvrages ; l’un plein d’amour pour un Prince dont le regne eſt ſi ſecond en merveilles, n’a rien voulu voir qui y peuſt eſtre comparé : l’autre a voulu ſignaler ſa reconnoiſſance pour ſes premiers maiſtres, dans les ouvrages deſquels il a puisé ces beautez immortelles qui ont enchanté l’Univers. Parmi la chaleur de cette diſpute, l’eſtime reciproque n’a ſait qu’augmenter entr’eux. Les Homeres & les Demoſthenes, ces premiers hommes dont nous ne pouvons trop eſtudier le gouſt, qui ſeront tousjours les modelles du bon & du beau, ſont demeurez dans tous leurs privileges ; mais nos Poëtes & nos Orateurs paroiſſent avec honneur à leurs coſtez : ſi nous ſommes inſerieurs par quelques endroits, nous ſommes ſuperieurs en beaucoup d’autres, & il eſt tousjours vrai que le ſiecle de LOUIS LE GRAND ſurpaſſe tous les ſiecles de l’Antiquité. Je laiſſe les comparaiſons qui ſont ſouvent injuſtes, & ſont tousjours odieuſes. Mais ſans exagerer, quelle autre Nation nous ſournit aujourd’huy les hommes excellents en toute ſorte de litterature & en toute ſorte d’Arts ? n’eſt-ce pas en ſrance que l’on les trouve, & n’eſt-ce pas la ſrance qui en peuple les autres Eſtats ? D’où vient cette ligue generale de tant de Princes contre nous, ſi ce n’eſt de la jalouſie qu’ils ont de tous nos avantages ? Point d’autre ſujet de guerre que nos proſperitez. La ſrance eſt trop puiſſante, elle eſt ineſpuiſable en ſoldats, en richeſſes : le bon ordre, la concorde & la valeur y regnent ſouverainement : le moyen que l’envie la puiſſe ſouſſrir ? Que vous eſtes abuſez, injuſtes ennemis de mon Roy ! la crainte vous met les armes à la main, que pouvez-vous craindre d’un Roy juſte qui vous a donné tant de preuves de ſa moderation ? Accouſtumez à voir dans voſtre parti des Princes qui ſe couronnent ſans titre, qui dethroſnent les legitimes Rois, qui cherchent par toutes ſortes de voyes à s’emparer des Royaumes où ils n’ont d’autre droit que leur injuſte ambition, vous croyez ſans doute que cette ambition d’envahir des Eſtats eſt naturelle à tous les Rois, & que leur pouvoir eſt la ſeule regle de leurs deſirs. Que voſtre crainte eſt vaine & mal ſondée ! LOUIS n’a d’autre regle que la raiſon dans tous ſes projets ; ſes ſoldats que l’exacte discipline & l’exemple ont rendu ſi braves, ne ſont armez que pour une juſte cauſe, tous vos eſſorts ne vaincront point des troupes invincibles. Noſtre puiſſant Monarque armé de juſtice & de pieté, et ſecondé de la valeur de ſes Sujets, ne perdra jamais rien des Eſtats que la Providence luy a conſiez ; mais pouvant tout auſſi, il ne voudra jamais que ce qui luy appartient legitimement. Desja de tous coſtez, la Victoire… mais je m’eſloigne inſenſiblement de mon ſujet, je me laiſſe charmer par une matiere qui eſt au deſſus de mes ſorces. Je n’ai voulu touteſois qu’appuyer en paſſant les idées de M. Perrault ſur la grandeur du ſiecle où nous vivons.

Il ne me reſte plus qu’à vous remettre devant les yeux en peu de mots toutes les bonnes qualitez d’un ſi aimable Conſrere. Le nombre & la diverſité de ſes Poëſies ſont connoiſtre la vivacité de ſon imagination, & la ſacilité qu’il avoit à compoſer ; & rien ne marque mieux cette heureuſe ſacilité que le Poème à M. de la Quintinie, Ouvrage digne d’eſtre aſſocié aux Georgiques du Prince des Poetes Latins.

La ſertilité de ſon Genie luy ſaiſoit continuellement produire mille nouveautez ingenieuſes qui ſervoient à eſgayer nos Aſſemblées publiques, & aujourd’huy meſme ſemble que ces lieux demandent encore de luy quelque choſe pour ſinir agreablement une journée qui ſait tant d’honneur à cette Compagnie.

Ipſete, Tytire, pinus
Ipſi te ſontes, ipſa haec arbuſta vocabant.[3]

Mais nous l’avons perdu, MESSIEURS, regrettons en luy le veritable modelle d’un honneſte homme, car la beauté de ſon eſprit n’eſtoit pas encore ce qu’il avoit de plus recommandable. C’eſtoit un homme vrai en toutes choſes, d’une candeur admirable dans ſes mœurs, & d’un attachement inviolable à la Religion & à tous ſes devoirs. Incapable de jalouſie ni de haine, plein de zele & de tendreſſe pour ſes amis, delintereſſé juſqu’à eviter meſme les gains les plus innocents, tousjours eſgal dans l’humeur, tousjours brillant, tousjours aimable dans la ſocieté. Voila, MESSIEURS, quel eſtoit le Conſrere que nous avons perdu, & je ne crains pas qu’on me reproche que l’amitié m’ait ſait exaggerer en quelque choſe. Je dois pluſtoſt craindre que vous n’ayez à me reprocher d’avoir mal reſpondu à voſtre attente & à celle du Public. Auſſi ſçay-je bien que c’eſt à vous à travailler ſur mon eſbauche & à la perſectionner.

Et en attendant les Eloges que vous luy preparez, permettez-moy pour accomplir le Reglement que j’ay renouvellé aujourd’huy, de joindre ici ſon Epitaphe.

 

Cy giſt PERRAULT, qui plein d’un beau Genie,
Eut dans tous ſes Eſcrits une grace inſinie,
Droit & ſimple en ſes mœurs, il chercha le vray bien,

Et ſceut unir en luy, dés ſa tendre jeuneſſe,
Le bel eſprit, & la ſageſſe,
Et l’honneſte homme, & le Chreſtien.

 

[1] Virg. 6. Aen.

[2] Malherbe.

[3] Virg. Ec.2.